Emmanuel Macron remonte sur les planches à huis clos<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'une réunion à l'Elysée.
Emmanuel Macron lors d'une réunion à l'Elysée.
©PASCAL ROSSIGNOL / POOL / AFP

Entrée théâtrale

Que peut-il bien sortir de concret d’une telle mise en scène ayant tous les attributs de la gadgétisation du débat politique ?

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Emmanuel Macron a convié ce mercredi les chefs des partis politiques à la maison d'éducation de la Légion d'honneur de Saint-Denis afin de trouver des "voies" pour faire "avancer" le pays, au-delà des clivages politiques, et faute de majorité absolue à l'Assemblée nationale. Quel bilan tirer de cette initiative ? Cette opération ne s’apparente-t-elle pas à un coup de communication ? Peut-on s’attendre à des avancées politiques réelles ?

Raul Magni-Berton : L'idée d'une grande rencontre des représentants des partis pour gérer le pays n'est pas nouvelle, et a été pratiquée avec moins de bruit par le passé. Dans certains pays, comme la Suisse, c'est même la norme. Il s'agit généralement d'un accord multilatéral issu des blocages ou de difficultés majeures que rencontre le pays. Ce n'est pas une initiative unilatérale de la majorité présidentielle. En France, il y a une ambiguïté car normalement, le président, dans son rôle constitutionnel d'arbitre, est parfaitement habilité à appeler les forces politiques à négocier des solutions communes. Mais dans son rôle de chef de gouvernement, que de fait le président a pris en France, cela n'a pas beaucoup de sens, puisque c'est alors l'une des parties qui prétend établir les règles du jeu de la discussion qui aura lieu. 

Jean Petaux : Je ne me risquerai pas à tirer le bilan d’une « opération » qui est encore en cours au moment où je réponds à vos questions. D’ores et déjà on peut quand même considérer que le fait qu’elle ait pu avoir lieu est un premier succès pour le président de la République. Succès fort limité mais succès quand même. A l’évidence les responsables des différentes formations politiques représentées au Parlement ont choisi de ne pas pratiquer la politique de la « chaise vide », considérant qu’il y avait sans doute plus à perdre à boycotter cette rencontre au format inédit (toutes et tous ensemble réunis comme dans un « séminaire de travail ») qu’à y participer. Si j’en crois les informations très partielles en provenance de Saint-Denis il semblerait que certains participants qui avaient annoncé qu’ils ne participeraient pas au diner se seraient ravisés compte tenu du fait que ce moment est aussi un « temps de travail ». Donc, globalement, il semble bien qu’Emmanuel Macron soit parvenu à atteindre un premier objectif : que sa « main tendue » ne demeure pas « dans le vide ». Il a, au moins dans la tenue de cette rencontre, montré aux Français qu’il cherche les voies du règlement politique d’un certain nombre de problèmes qui se posent au pays.

Est-ce suffisant pour parler d’un grand succès présidentiel ? Bien évidemment que non. Le calendrier fixé par le Président est d’ailleurs conçu pour qu’il n’y ait pas d’effets d’annonce (ou d’effets réels) au sortir de cette rencontre. Le fait de fixer un « séminaire gouvernemental » programmé le 6 septembre (dans une semaine exactement) pour, sans que l’expression ne soit formulée exactement ainsi, mais cela y ressemble précisément, que l’exécutif « recycle » les demandes et propositions qui auront été formulées le 30 août à Saint-Denis, montre bien qu’Emmanuel Macron entend conserver la maitrise de ce « récit », son rythme et surtout ses potentiels développements futurs.

Incontestablement Emmanuel Macron s’est donné les moyens d’avoir un « temps fort » de jeu, expression que l’on l’entendra souvent à partir du 8 septembre dans les commentaires des matchs de la coupe du monde de rugby. Il est bien trop tôt pour mesurer les retombées réelles de ce « coup politique » qui est, certes un « coup de com’ » mais qui va au-delà de cela tant il est vrai que la symbolique d’une classe politique qui discute et travaille de concert, dans un huis-clos propice à des discussions qui pourraient être constructives et déboucher sur des propositions concrètes, est une configuration qui recueille un soutien majoritaire dans l’opinion française. Même si, dans le même temps, ces mêmes Français, majoritairement, sont prompts à dénoncer une forme de consensus politique et partisan, entre les droites et les gauches qui, « finalement », se mettraient d’accord entre elles sur leur dos… Paradoxe de notre scène politique, du jeu de ses acteurs, et des réactions du public…

Au menu des discussions devaient figurer "la situation internationale", "l'efficacité" de "notre action publique", "la cohésion de la Nation", "la place de l'école", ainsi que les questions "d'intégration", de "pouvoir d'achat et d'inégalité". La gauche souhaiterait un référendum sur la réforme des retraites, tandis que la droite et le RN voudraient que les Français puissent se prononcer sur l'immigration. La majorité présidentielle a souhaité évoquer la réforme des institutions. L’opposition a-t-elle des chances de faire "céder" Emmanuel Macron sur certains enjeux clés ?

Raul Magni-Berton : L'opposition n'a pas les moyens de faire “céder” Emmanuel Macron sur des enjeux clés, puisqu'elle est divisée sur la plupart des enjeux. Par ailleurs, jusqu'ici le parti d'Emmanuel Macron n'a pas eu à négocier beaucoup, ni ne l'a souhaité, puisqu'il a gouverné longtemps en situation d'état d'urgence et, après, en utilisant le fameux 49-3. Il s'agit d'un gouvernement minoritaire - en termes de voix jusqu'en 2022, et depuis aussi en termes de sièges - qui parvient à agir comme s'il était majoritaire. 

Il est naturel, dans ce cadre, que l'opposition propose des référendums qui permettent à une majorité de votant de l'emporter, et que le gouvernement ne les souhaite pas. A la place, le gouvernement tente de sonder les convergences qu'il pourrait avoir avec tel ou tel parti afin de pouvoir continuer à gouverner. C'est le but principal de cette initiative. 

Jean Petaux : Ce qui importe, me semble-t-il, pour les différents responsables des partis présents à la réunion, surtout pour les partis qui ne se reconnaissent pas dans la majorité présidentielle, ce n’est pas tant de « faire céder » le chef de l’exécutif que de montrer à leur électorat d’abord et aux Français ensuite qu’ils ont présenté leurs propositions, sans se renier et sans concessions. Ce serait faire injure aux leaders des formations composantes de la NUPES,  que de les considérer comme naïfs, irénistes et/ou idéalistes au point qu’ils puissent imaginer, un instant, qu’Emmanuel Macron va reprendre la première de leurs quatorze propositions (non signées d’ailleurs par Fabien Roussel, secrétaire national du Parti Communiste Français) à savoir la tenue d’un référendum sur l’âge de départ à la retraite alors que certaines dispositions de la nouvelle législation entrent en vigueur le 1er septembre… Ce serait prendre le numéro 1 du RN pour un boyscout si on imagine qu’il peut espérer que l’organisation d’un référendum (qui serait, au passage, inconstitutionnel) puisse être reprise à son compte par le chef de l’Etat. L’exercice proposé par Emmanuel Macron (sorte de « brain storming » informel), la méthode présentée (pas d’ordre du jour fixé à l’avance, tout est « open » et chacun met sur la table ce qu’il a envie d’y mettre) contient en lui-même sa part de « mise en scène » et de rationalité, dirait Max Weber, non pas « en fonction du but à atteindre » mais en « fonction des valeurs » défendues par chacun.

Là encore, Emmanuel Macron a tout intérêt à ce que les différents participants présentent leurs priorités et les thèmes qu’ils voudraient voir repris par l’exécutif. Il pourra jouer, facilement, des contradictions inévitables qui vont ressortir de ce « déballage » et sembler « arbitrer » entre les exigences irrecevables, les propositions inconciliables entre elles et les réformes « raisonnables » qui le seront uniquement parce qu’elles seront soit originellement les siennes soit qu’il les aura adoptées au terme des débats… Lorsque les différents protagonistes de cet échange retrouveront leurs mandants, leurs militants et leurs électeurs, il leur reviendra, à chacun, « d’écrire et de raconter l’histoire » à leur avantage bien entendu. C’est la loi du genre. Et même si Emmanuel Macron n’aura en rien cédé sur « certains enjeux clés » (je reprends vos propres termes), je dirais même « surtout s’il ne cède rien », les différents responsables des différentes oppositions, auront tout loisir de se donner le beau rôle sur le mode : « Vous voyez comme il est : il nous fait venir pour, dit-il, écouter nos propositions. Nous les lui présentons. Et il n’en retient aucune… ». Finalement, ces mêmes responsables, seraient sans doute plus gênés si le chef de l’exécutif les prenait au mot sur certaines de leurs idées…

L’espoir du consensus formé par Emmanuel Macron a-t-il des chances d’aboutir ? Emmanuel Macron ne se trompe-t-il pas de méthode en cette rentrée politique ?

Raul Magni-Berton : A ce stade, c'est une stratégie, d'une part, pour sonder sur quels dossiers il est possible d'avancer et, d'autre part, pour montrer à l'électorat un esprit consensuel et ouvert. Il est difficile que les autres partis refusent le dialogue, mais il est encore plus difficile que ce dialogue donne lieu à un changement de ligne. Ce changement de ligne n'est pas l'objectif de Macron je pense. Son objectif est de sonder sur qui il peut s'appuyer pour quelle réforme. 

Jean Petaux :Il est compliqué de trancher entre plusieurs hypothèses quant aux intentions d’Emmanuel Macron : sincérité ? cynisme ? souci de trouver une ou des majorités de projets ? constat de l’impuissance législative provoquée par une majorité non seulement relative mais, de fait, introuvable ? Les idéologues ou les partisans pourront, aisément, choisir leur réponse, favorable ou hostile au chef de l’Etat en fonction de leur sensibilité et de leur orientation. Pour ma part, il me semble que s’il y a espoir de consensus chez Emmanuel Macron il est forcément tempéré, amendé, par un principe de réalité, celui qui veut qu’à huit mois des élections européennes, premières élections générales au suffrage universel depuis les législatives de juin 2022, aucune formation politique n’a intérêt à « faire la courte échelle » à la majorité présidentielle. Ces élections de juin 2024 seront essentielles dans la perspective des présidentielles de 2027 dans l’estimation des forces politiques en présence. On voit mal pourquoi et comment, chacun des partis en lice, abandonnerait son « couloir » pour rejoindre celui du président Macron et du gouvernement.

Ce constat, en revanche, ne signifie pas, selon moi, qu’Emmanuel Macron fait fausse route en prenant cette « initiative politique d’ampleur » selon la formule qu’il a, lui-même, imposée. Sa méthode n’est pas mauvaise. Il s’inscrit dans le droit-fil de son entretien fleuve au « Point », publiée le 24 août dernier et que j’ai eu l’occasion de commenter « à chaud » sur Atlantico. Si ce « coup » fait « pschitt », il pourra toujours dire aux Français qu’il a cherché à « sortir du cadre » dans lequel semble s’être enfermée la scène politique française. Cet argument pourra toujours lui servir dans l’hypothèse d’une éventuelle décision d’appliquer l’article 12 de la Constitution, autrement dit de dissoudre l’Assemblée nationale et de « revenir au peuple » pour que celui-ci tranche réellement la question de la majorité parlementaire législative, dans un sens ou dans un autre.

Cette "initiative politique d’ampleur" et cette réunion avec les chefs des partis ne sont-elles pas un ersatz du grand débat ou du Conseil national de la refondation ?

Raul Magni-Berton : Oui, il y a des choses en commun. En particulier, le style "on discute, puis je décide". C'est l'héritage des innovations délibératives qui, partout en France, surtout au niveau local, ont cru apporter de la fraîcheur en multipliant les instances délibératives, tout en gardant le même canal de décision qu'avant. Elles ont apporté surtout de la frustration, car les parties prenantes ont parfois mis beaucoup d'énergie pour faire réussir un dispositif qui, au final, n'aboutit à aucune décision, sauf quand les propositions de l'assemblée délibérative étaient déjà à l'agenda du décideur. C'est ainsi que les initiatives que vous avez mentionnées ont fonctionné, et que l'initiative politique d'ampleur fonctionnera. 

Jean Petaux :Un « ersatz », mot emprunté à la langue allemande d’ailleurs lors du premier conflit mondial, ce serait au sens littéral du terme, « un produit de remplacement, employé à défaut du produit normalement ou traditionnellement utilisé ». Très vite d’ailleurs le mot a pris un sens péjoratif puisque le « produit de remplacement » a souvent été un « produit de moindre valeur ».  Je ne pense pas que le mot « ersatz » soit pertinent ici pour qualifier la « rencontre de Saint-Denis », au moins tant que l’on n’en a pas dressé le bilan ou fait l’inventaire. Puisque vous évoquez le « grand débat » et le « CNR », je ne sais pas si ce fut « deux produits d’une valeur supérieure », mais il faut bien reconnaître qu’il n’en est pas sorti grand-chose, non plus. Même les « cahiers de doléance » qui ont été remplis lors du « grand débat » sont exclus de la consultation par les chercheurs alors qu’ils constitueraient une excellente et remarquable source d’information sur l’état de l’opinion des Français juste avant la grande coupure qu’a représenté la pandémie de Covid-19 et les confinements qui l’ont accompagnée.

Un séminaire gouvernemental doit se réunir le 6 septembre pour assurer le suivi de l'"initiative politique d'ampleur" d'Emmanuel Macron qui réunissait mercredi 30 août les chefs des partis politiques à Saint-Denis. Sur quoi peut déboucher ce projet ? Emmanuel Macron réussira-t-il à convaincre les leaders de l’opposition ? Ou le chef de l’Etat va-t-il écouter les chefs de parti et suivre leurs recommandations, avec notamment le recours à des référendums dans les mois à venir ?

Raul Magni-Berton : Compte tenu de ce que nous nous sommes dit jusqu'ici, la réponse est non. Il s'agit simplement d'une consultation, normale quand le gouvernement est minoritaire, pour savoir quels projets sont faisables et lesquels ne le sont pas. Ne pouvant plus avancer à coup de 49-3, il faut bien trouver l'appui d'un parti de l'opposition si l'on veut faire avancer des dossiers. Le reste, c'est un coup de com qui, selon moi, ne mériterait pas que l'on en parle. 

Jean Petaux :J’ai déjà, je crois, répondu aux questions que vous posez ici. Vous avez, néanmoins, parfaitement raison de vous interroger sur la suite des événements et le « SAV » de la rencontre de Saint-Denis. On voit bien que le président de la République est confronté, depuis sa réélection, à une triple paralysie. La première est celle née de la date de son départ de l’Elysée en 2027 qui est fixée, connue et incontournable même si, comme il l’a dit à vos confrères du « Point », il ne sent pas victime du syndrome américain, celui du second mandat du locataire de la Maison Blanche, le syndrome du « lame duck » (« le canard boiteux »). La deuxième est celle provoquée par l’état de « ni-ni » que connait l’actuelle scène parlementaire (« ni-majorité législative ; ni-cohabitation »). La troisième paralysie est celle de sa propre succession : pas de parti présidentiel et concurrence déjà lancée entre les candidats issus de sa propre majorité, à l’Elysée dans quatre ans.

Pour se sortir de cet état de « président empêtré » (j’emploie ici volontairement un terme cher à Raymond Aron parlant de « Gulliver », la super-puissance américaine…) Emmanuel Macron se doit de multiplier les tentatives, non pas de « désencerclement »,  mais de « désengourdissement ». Alors si cela doit passer par l’écoute ou la prise en compte de telles ou telles propositions, recommandations ou préconisations de tel ou tel chef de parti, même opposé à sa ligne politique, cela ne lui posera pas de problème. L’avantage de cultiver la disruption c’est qu’elle permet la distraction. Au sens étymologique du terme : « dis-traction : action de séparer, de tirer en sens inverse ». Y compris de ce que l’on a pu faire ou dire dans le passé… De Gaulle, Mitterrand, Chirac : autant de sources d’inspirations pour leur successeur actuel.

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