Emmanuel Macron ou l’anesthésie des Français par le coup de com’ permanent <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

COMMUNICATION

Emmanuel Macron use et abuse de la communication.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Depuis quelques jours, Emmanuel Macron multiplie sa présence médiatique, notamment par des conférences  de presse. Il va également être sur France 2 en prime time les 12 et 26 octobre. Que cherche Emmanuel Macron en agissant ainsi ?

Une occupation du terrain médiatique par surinvestissement n'a d'autre objectif que de toujours conserver la maîtrise de l'interprétation du contexte. Ce contexte est caractérisé par une situation d'extrême tension sur le plan international en raison de la guerre en Ukraine, du stress aigu sur le plan économique et social avec l'inflation et la récession qui parait s'annoncer, d'instabilité politique parce qu'il n'existe pas de majorité explicite à l'Assemblée nationale. Le Président à ce stade est confronté à trois risques majeurs : politique avec à tout moment un gouvernement qui peut être censuré, même si l'hypothèse dans l'immédiat est peu probable et avec une difficulté quasi insurmontable de décliner le logiciel de la réforme ; social et économique avec notamment la question énergétique et de la cherté de la vie qui peut servir d'aliment inflammable pour toute convergence en matière de mobilisations; interne à sa majorité car de facto le post-macronisme a déjà commencé dans la tête de ses deux principaux alliés, Édouard Philippe et François Bayrou qui ne cachent même plus leurs ambitions. La sursaturation a aussi pour but de rappeler que le Président reste le maître du jeu à l'intérieur de son propre camp politique.   

S'agit-il uniquement d'une stratégie de communication ou est-ce aussi une stratégie politique ? Avec quel objectif ?

La communication est " embedded" dans la politique. Et ce depuis tout le temps : il n'y a pas d'un côté le politique et de l'autre la com', les deux sont indissociables, même si le curseur doit être évalué dans le rapport action/expression. À mesure que l'action s'infléchit car tributaire de facteurs qui dépassent les élus, l'expression cannibalise l'action, l'hyper visibilité se substitue au volontarisme et à la maîtrise . Ne maîtrisant plus vraiment l'action, on surinvestit dans la scénographie et la parole, comme pour compenser un déficit de résultats. C'est la condition du politique post-moderne dans des démocraties devenues moyennes comme la France qu'illustre cette communication tout azimut. La fonction spectaculaire de la politique signifie d'abord l'affaissement du politique, mais surtout la dilution du symbolique dans le brownisme communicant. La symbolique suppose la ritualisation et la rareté ; force est de constater que si la rareté était l'étalon de la valeur pour le symbolique, la profusion est devenue le prisme dominant sous l'impact de la com'. Ce que signifie aussi cette agitation permanente, inaugurée notamment sous Sarkozy, théorisée par le conseiller de Blair, Alaistair Campbell, n'est rien d'autre qu'un changement d'âge : tout se passe comme si nous avions glissé de l'âge de la symbolique à celui de la com'. On est loin de l'écriture médiatique pensée par Pilhan. Macron, je l'ai écrit il y a 5 ans, est l'homme du " coup de com' permanent ".

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Pourquoi cette volonté d'occuper le terrain de la part du président de la République à ce moment précis ? 

Macron pense sans doute que la "politique-puzzle" sur laquelle il règne depuis 2017 l'autorise à cet acte d'ostentation continu où il entend apparaître dans ce monde qui renoue avec l'incertitude existentielle de l'histoire comme le seul , l'unique à la hauteur du moment. La réalité c'est que sa communication qui entend par sa surexposition tenir son image, contrôler au plus près les effets de son expression par une omniprésence nuit à la performativité de son expression. Il n'est plus écouté que d'une oreille distraite, tant la parole présidentielle est désormais banalisée. Pour autant, cette langue aussi roborative que répétitive ne vise pas à nous réveiller, elle est la matière première et fongible des commentateurs, mais ce bruit de fond a d'abord pour but de nous anesthésier. Macron est cette " seringue hypodermique " en laquelle le politiste américain Laswell vit dés les années 1930 la martingale des oligarchies pour maintenir leur assise et leur pouvoir. Le plus grand acte de résistance à opposer à un pouvoir " élitaire" comme celui d'Emmanuel Macron serait ... le silence !

Peut-on penser que sa stratégie va fonctionner ?

Elle opère pour trois raisons : le concours du mainstream qui se nourrit de cette com' nourricière ; les oppositions sont majoritaires mais inconciliables, d'où cette minorité de blocage que le macronisme est parvenu à opposer et à imposer au pays récalcitrant ; enfin la marginalisation du politique dans une société qui déprime et " s'anomise " toujours plus, et qui use d'une sorte de droit de retrait civique qui en creux favorise l'émergence d'une classe politique à laquelle est délégué un pouvoir perçu le plus souvent comme résiduel et sans prise. Sous cet angle, la com' ne ferait plus que mimer une réalité disparue : sa facticité dont personne n'est dupe n'en serait que plus acceptée, à défaut d'être crédible... 

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