Emmanuel Macron, le président qui ne changeait jamais vraiment… tout en étant ballotté au gré des événements<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron
Emmanuel Macron
©LUDOVIC MARIN / AFP

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Dans la tête des Français, le président donne l’impression qu’il ne change jamais sur le fond mais qu'il évolue au gré des circonstances.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Dans la lignée de la séquence POP2017, Bruno Cautrès accompagne BVA pour suivre le quinquennat. Nous vous proposons de découvrir le billet de cette semaine.

La dernière vague du Baromètre de l’Observatoire de la politique nationale réalisé en Juillet par BVA pour Orange et RTL est la première occasion de mesurer l’état de l’opinion après le remplacement d’Edouard Philippe par Jean Castex à Matignon. Cette importante étape du mandat d’Emmanuel Macron est l’un des éléments clef du « nouveau chemin » que le chef de l’Etat veut incarner. Le timing de ce changement constitue son défi le plus important : les spécialistes du calendrier parlementaire ont estimé que le nouveau Premier ministre ne disposerait que de… 15 mois effectifs pour réaliser l’ambitieux programme décliné dans son discours du politique générale du 16 juillet !

En choisissant un Premier ministre symbolisant, beaucoup plus qu’Edouard Philippe, un portrait inversé de ce qu’il représente aux yeux des Français, le chef de l’Etat a fait le pari du contraste d’image. L’accent régional de Jean Castex et son leitmotiv sur la question des territoires pourront-ils avoir un « effet cliquet » sur l’image d’Emmanuel Macron, lui permettant de retrouver la dynamique de 2017, contrariée par tant de crises ? Le pari est risqué car le changement de Premier ministre s’est accompagné d’une intense communication sur le thème d’un changement de direction de la politique menée. Les Français interrogés par BVA déclarent d’ailleurs, dans des vagues précédentes du baromètre, avoir davantage le sentiment qu’Emmanuel Macron « agit au jour le jour » plutôt qu’il ne sait où il va.

Mais donner le sentiment d’agir au jour le jour ne veut pas dire incarner une mobilité des choix et des politiques, une adaptation pensée et cohérente aux circonstances. Une donnée importante apparait, à cet égard, dans la dernière vague du Baromètre BVA : Emmanuel Macron ne semble pas incarner aux yeux des Français l’évolution de sa politique ou de son style présidentiel, lui qui ne cesse d’en appeler à de nouvelles étapes et de retoucher à a communication. Alors que le Président a déclaré que « plus rien ne sera comme avant » et qu’il vient de changer de Premier ministre (mais en conservant une part importante des ministres en poste), les Français ne trouvent pas qu’Emmanuel Macron a vraiment évolué !

Rentrons un peu dans le détail de ce paradoxe. On a proposé aux personnes interrogées de noter sur une échelle graduée de 0 à 10 l’évolution d’Emmanuel Macron (depuis son élection) concernant la politique qu’il mène et concernant son style, sa manière d’incarner le pouvoir.  La note de 0 correspond à l’opinion selon laquelle la politique menée ou le style n’ont pas du tout changé et la note 10 correspond à l’opinion exactement inverse. La note moyenne attribuée sur les deux dimensions est juste au-dessus de 4 sur 10 : la balance pèse donc davantage vers l’idée que ni le style ni la politique menée par Emmanuel Macron n’ont évolué depuis trois ans ! La distribution statistique des notes montre très clairement une forte asymétrie : il y a une plus forte concentration des réponses entre les notes 0 et 2 (pas d’évolution) qu’entre les notes 8 et 10.

D’un côté ces résultats sont désespérants pour un chef de l’Etat qui veut incarner le mouvement, la dynamique, le renouveau, les lignes qui bougent et qui consacre tant d’efforts à sa communication. D’un autre côté, cela confirme que le chef de l’Etat a stabilisé dans l’opinion publique une image et un style. Après tout, il s’agit d’une ressource politique importante pour celui qui a toujours dénoncé, chez ses prédécesseurs, le renoncement et les promesses non-tenues. Les clivages sociologiques et politiques jouent ici de tous leurs poids. Lorsque les Français créditent Emmanuel Macron d’une évolution, ce sont davantage les cadres supérieurs, les plus diplômés, les hauts salaires que les catégories populaires ou les chômeurs qui perçoivent cette évolution ! Ce sont aussi davantage les hommes et que les femmes. Politiquement, plus on se situe à droite (mais pas à l’extrême droite), plus on voit de l’évolution politique chez Emmanuel Macron tandis que l’électorat du centre gauche voit davantage d’évolution dans le style que dans la politique conduite.

La distance que l’on peut calculer entre les deux mesures (évolution de politique ou évolution de style) donne une mesure d’une grande richesse explicative : si la donnée la plus fréquente est l’absence d’évolution perçue dans les deux dimensions, certains segments de l’électorat montrent d’intéressants cas de figure de perception différentielle : certains voient davantage d’évolution dans le style que dans la politique suivie, pour d’autres c’est le contraire.

Les jeunes (notamment les 18-24 ans), les étudiants, les travailleurs indépendants, trouvent plus souvent que les autres que chez Emmanuel Macron c’est avant tout le style qui a changé plus que la politique suivie. En revanche, les seniors (plus de 50 ans), les retraités, les cadres supérieurs considèrent davantage que c’est la politique qui a changé plutôt que le style. Les ouvriers sont très concordants dans leur appréciation et ne voient pas d’évolutions que cela soit sur le style ou sur la politique suivie.

Les différences politiques sont encore plus parlantes : alors que 24% des personnes interrogées considèrent que la politique suivie par Emmanuel Macron a davantage évolué que sa manière d’incarner sa fonction, ils sont 34% à le penser parmi les électeurs de François Fillon, 35% parmi les sympathisants LR, 39% parmi ceux de l’UDI ! C’est sans doute là un indice de l’évolution de l’électorat de centre-droit vers Emmanuel Macron. Chez les sympathisants de LaRem ou du Modem, on crédite en revanche davantage Emmanuel Macron d’un changement de style, car on est déjà très convaincu sur la politique menée. Les sympathisants du centre-gauche (proches du PS ou de EELV) reconnaissent des changements de style et de politique mais l’expriment mezza voce. Enfin, les sympathisants ou les électeurs des deux extrêmes du spectre politique sont très concordants dans leurs appréciations : pour eux (surtout ceux qui sont proches du RN) rien n’a évolué chez Emmanuel Macron, ni le style ni la politique suivie !

Que retenir de toutes ces données ? A vouloir incarner une série de « moments » (acte 2 après les Gilets Jaunes, « nouveau chemin » aujourd’hui) pour tenter de sortir d’une image figée dans l’opinion depuis de nombreux mois, Emmanuel Macron prend le risque de se retrouver dans une étrange situation : perdre sur les deux tableaux en donnant le sentiment d’une ligne directrice devenue dépendante des situations et « en même temps » donner le sentiment de ne pas changer, en fait… Comme si, pour une partie importante de l’opinion, les inflexions, les étapes, les nouveaux chemins présidentiels n’étaient en fait qu’une série un peu brouillonne de « réinventions à l’identique »… A moins qu’Emmanuel Macron, stratège politique, n’ait fait sienne la phrase mythique du Guépard de Lampedusa, mis en scène par le film magistral de Visconti : « il faut que tout change pour que rien ne change »… A suivre, dès la rentrée de septembre !

Cet article a été initialement publié sur le site de BVA, cliquez ICI

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