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Emmanuel Macron et la défense de l’Europe : comment annoncer ce qui existe déjà
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Tribune

Annoncer des choses qui existe déjà a au moins un mérite, on ne sera pas surpris du résultat.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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En termes de défense, le président Macron nous a habitué depuis quelques mois à prendre les dossiers à bras le corps, sans tolérer une opinion différente de la sienne, le général Pierre de Villiers s’en souvient. Le président jupitérien qui fait de la défense un domaine réservé, s’érige par la même en bon connaisseur de celui-ci puisque la connaissance est un prérequis nécessaire à toute réflexion et, partant, à toute action. Notre président, europhile convaincu, est également un bon connaisseur de l’Europe qu’il a associée à son projet dès la publication – tardive – de celui-ci. Pour Emmanuel Macron, la France ne peut plus compter sans l’Europe, en particulier au niveau international. On pourrait se dire que la rencontre de ces deux domaines où le chef de l’Etat excelle donnerait naissance à une vision globale et puissante de la question de l’Europe de la défense ; pardon de la défense européenne puisque le terme précité n’existe pas dans les textes officiels. La conférence du Président à la Sorbonne le 26 septembre 2017, dans une enceinte qui depuis son origine avait une vocation d’édification de la jeunesse européenne, devait ainsi éclairer la vision macronienne de ces questions de défense continentale. 

Las, en se plongeant dans les déclarations du président, on se rend compte que, comme en matière de renseignement, celui-ci n’a fait que réinventer des organismes et des éléments qui existent déjà. Le président annonce une « force commune d’intervention » pour 2020. Manque de chance celle-ci existe déjà, elle s’appelle l’Eurocorps et occupe 1200 personnes dans un état-major sis à Strasbourg. L’Eurocorps est une structure multinationale pouvant actionner un certain nombre d’unités pré-activées comme la brigade franco-allemande. L’Eurocorps créé en 1992 voit depuis cette date son commandement tourner entre des généraux de 5 pays. Pis encore, en 2005 ont été créés des groupements tactiques de l’Union européenne, véritables unités constituées de 1500 hommes déployables en 10 jours selon une astreinte tournante. Cette initiative, terrestre, est également répliquée au niveau maritime avec Euromarfor et aérien avec le Groupe aérien européen, les deux ayant été créés en 1995. Les cadres existent donc depuis de nombreuses années et, comme toujours, il ne manque que la volonté politique de les utiliser. De nombreux pays, à commencer par l’Allemagne, refusent un déploiement opérationnel de ces unités ou une véritable activation de ces commandements interalliés sauf pour des opérations très limitées (comme Atalanta pour la lutte contre la piraterie dans l’Océan indien pour Euromarfor). L’extrême avatar de cette orientation a été l’annonce de la volonté d’intégrer des officiers étrangers dans nos forces à tous les niveaux, comme si le Président ignorait – ou alors il a de bien mauvais conseillers militaires - qu’il existe des officiers de liaison étrangers à de nombreux endroits, jusqu’au très stratégique centre de planification et de conduite des opérations (CPCO). Il s’agit ainsi d’un énième effet d’annonce de notre Président en ce domaine qui montre bien que ses orientations sont le fruit soit d’une méconnaissance – les militaires diraient d’un mépris – pour la chose militaire, soit d’un cynisme profond, tant ceux qui ont servi dans ces éléments-cadres européens savent bien que le problème n’est pas la structure mais la volonté de s’en servir. 

De la même manière, Emmanuel Macron a également déclaré, lors de la conférence à la Sorbonne, une volonté de créer une « agence européenne de l’innovation » sur le modèle de la DARPA américaine (sic). Là aussi, on hésite entre méconnaissance et mauvaise foi, car il existe non pas un mais deux organismes au niveau continental qui se chargent déjà de cette tâche. D’un côté l’Agence européenne de défense (AED), organisme communautaire, qui regroupe les pays de l’Union pour les faire coopérer – avec un succès plus que limité – sur le développement de la technologie de défense. De l’autre l’OCCAR, organisme hors-UE, qui rassemble les grandes puissances militaires européennes comme membres (France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Espagne, Belgique) ainsi que des membres associés, y compris hors-Europe comme la Turquie. L’OCCAR est responsable de la mise en œuvre de programme multilatéraux dont certains sont des réussites (frégates FREMM, système de missiles PAAMS, blindé Boxer) et d’autres sont plus mitigés comme l’A-400M. L’AED et l’OCCAR faisant déjà plus ou moins doublon, on se demande si la pensée complexe du président revient à créer un nouveau comité Théodule européen pour les chapeauter ou s’il s’agit d’une fusion (et dans ce cas que faire des extra-européen de l’OCCAR qui collaborent à certains projets ?). Sans même parler des modalités de financement de cette « DARPA européenne » dont on se demande d’où viendront les crédits et comment ils seront utilisés et répartis. 

Au final il ne reste de cette conférence, dans le domaine de la défense, que des effets d’annonce. Cette situation qui est la patte de la communication macronienne en termes de défense revient à superposer de nouveaux noms sur des organismes qui existent déjà – à l’exemple du Centre national du contre-terrorisme qui n’est qu’une modification de forme du Conseil national du renseignement - pour masquer le vide abyssal de la réflexion sur ces sujets. En poussant toujours plus loin le curseur de la défense européenne, le président jupitérien se rapproche plus des deux écueils de la réalité : le refus allemand d’intervenir où que ce soit (sauf à l’Est, et encore…) et la question de la dissuasion nucléaire qui ne pourra être mutualisée. Quand il les heurtera de front, il y a peu de chance que les effets d’annonce puissent rattraper la réalité crue : seule la France veut d’une (vraie) défense européenne. 

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