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Mais où nous mène le paradoxe du "nouveau monde" avec un Emmanuel Macron battant son record d’impopularité tout en n’ayant aucun concurrent qui parvienne à prendre le vent ?
©SYLVAIN THOMAS / AFP

Contradiction

D'après le dernier sondage IFOP/JDD publié 25 juin, le chef de l'Etat atteint son plus haut niveau d'impopularité auprès des Français, avec 58% de mécontents. Pourtant, on observe une certaine incapacité des oppositions à capitaliser sur cette impopularité.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Selon le dernier sondage IFOP/JDD publié ce 25 juin, Emmanuel Macron atteint son plus haut niveau d'impopularité auprès des Français, avec 58% de mécontents (son précédent niveau le plus élevé étant de 57% au mois d'août 2017). Dans un contexte où les tensions internes à la majorité se font plus nombreuses, ou l'impopularité s'accroît, mais paradoxalement ou les oppositions ne parviennent pas à capitaliser sur cette situation, comment peut-on expliquer cette situation ? Quels sont les risques de voir une telle configuration toucher un point de rupture ? Avec quelles conséquences ?

Vincent Tournier : Les chiffres bruts donnent le sentiment qu’Emmanuel Macron est très impopulaire. En fait, sa popularité résiste plutôt bien si on la compare à celle de ses prédécesseurs. Avec 40% de Français qui se déclarent satisfaits de son action, le président obtient un score sensiblement supérieur à celui de Nicolas Sarkozy à la même époque (il obtenait aux alentours de 35-37%) et très supérieur à celui de François Hollande (qui n’avait que 26% de satisfaits). Bien sûr, la popularité du président peut s’effondrer brutalement, mais pour l’instant, elle se maintient à un niveau assez élevé. On est donc très loin d’un éventuel point de rupture. N’oublions pas que les prédécesseurs d’Emmanuel Macron sont passés par des phases d’impopularité encore plus marquées, ce qui ne les a pas empêché de gouverner jusqu’au terme de leur mandat. On pourrait d’ailleurs dire que l’impopularité est devenue la norme, elle n’étonne ni ne scandalise plus vraiment. Ce qui, autrefois, aurait été jugé indigne, nécessitant des réformes en profondeur, voire un changement de régime, est désormais perçu comme une sorte de banalité. Les journaux n’en font pas leur une et ne harcèlent pas le pouvoir en place. Cette résignation a pour avantage d’éviter de créer le sentiment que l’on est sur le point d’entrer dans une crise politique majeure, mais il ne faudrait pas en déduire que tout va bien et que les problèmes vont disparaître d’eux-mêmes. Le monde politique et le monde médiatique ont beaucoup progressé dans leur capacité à créer des illusions rassurantes, mais personne n’est vraiment dupe sur l’ampleur des difficultés qui nous attendent.

Christophe Boutin : Effectivement, la cote de popularité d’Emmanuel Macron baisse, mais très faiblement (1 point), et sans s’effondrer pour autant comme cela a pu être le cas pour ses prédécesseurs : s’il y a effectivement 58% de mécontents de sa politique, il y a encore 40% de satisfaits, à comparer avec les 37% de Nicolas Sarkozy et les… 26% de François Hollande à la même période de leur mandats respectifs. Et il est tout aussi intéressant de voir comment se module cette perte de popularité : si Macron perd des points dans trois catégories, celle des retraités, des ouvriers et des cadres supérieurs, il en gagne partout ailleurs. De plus, il regagne de la confiance à gauche (FI, PS), à l’exception des Verts – le poids de ses renoncements - et en perd un peu à droite (LR). On peut penser au vu de ces mouvements qu’il paye auprès de certaines catégories sociales sa politique fiscale, mais gagne des points auprès des autres par ses prises de position sociétales – lors de la crise de l’Aquarius par exemple. 

Il est tout aussi intéressant de noter que le Président regagne des points à gauche, là où existe pourtant une opposition affirmée, avec chez FI à la fois un programme et un leader, et ce malgré les troubles sociaux qui perdurent, quand il en perd à droite sur ses seuls faux pas. Comme vous le constatez, les sondages à droite ne traduisent pas un effet de bascule, la – légère - baisse d’Emmanuel Macron ne profitant pas vraiment à cette dernière, puisque le RN reste stable quand LR est toujours en perte de vitesse, totalement plombé par ses dissensions internes.

Nous sommes toujours, un an après son arrivée au pouvoir, face à la difficulté de bâtir un discours d’opposition à Emmanuel Macron. Les éléments ne manquent pourtant pas si l’on se place du point de vue de la droite classique, de la politique européenne à la politique fiscale en passant par la politique migratoire ou sociale, mais chacun de ces éléments conduit en fait à diviser cette opposition car, sur chaque dossier, une partie d’entre elle, variant selon les cas, peut se trouver finalement plus près de l’approche de LaREM que de celle de l’autre partie de ce qui devrait composer « son camp ».

Les choses peuvent-elles durer indéfiniment ainsi ? On serait tenté de répondre favorablement, tant du moins que les forces d’opposition, quelles qu’elles soient, n’auront pas défini une série d’éléments sur lesquels elles n’entendent pas transiger, un dénominateur commun qui ressemble, par exemple, à l’appel d’Angers. Mais le problème est que même si ces choix sont faits nous risquons d’assister, pour des raisons de politique dite politicienne, mais qui ont leurs justifications (par exemple le choix stratégique de conserver un parti, même diminué, mais autonome, avec ses propres élus), plutôt qu’à la création d’un vaste rassemblement de l’opposition, à la multiplication d’écuries ayant peu ou prou le même discours mais plus concurrentes qu’autre chose.

Les élections européennes de 2019 vont en ce sens être révélatrices : quelles divisions à droite lors de la campagne d’abord, combien de listes ? Quels résultats ensuite pour les différents partis ou groupes qui composeront cette opposition à la ligne résolument européiste d’Emmanuel Macron ? Quels choix d’alliances enfin pour leurs élus au sein du parlement européen. Ces élections européennes pourraient être le juge de paix de l’opposition de droite, ce qui serait souhaitable avant les scrutins locaux de 2020.

Comment expliquer cette relative résistance d’Emmanuel Macron ?

Vincent Tournier : Si on regarde en détail les chiffres du sondage IFOP, on voit que la popularité d’Emmanuel Macron est très élevée dans les couches supérieures de la société. En mai dernier, on était quasiment dans un rapport de un à deux entre les cadres et les ouvriers : 58% des cadres se déclaraient satisfaits de son action contre seulement 30% des ouvriers. Si on compare les résultats entre mai et juin, on voit apparaître des évolutions très intéressantes. Le niveau de satisfaction est très stable chez les ouvriers (+ 1%) mais il baisse chez les cadres (- 6%) et chez les retraités (- 4%). Surtout, la satisfaction augmente fortement chez les commerçants et chefs d’entreprise (+ 14%), et elle augmente aussi parmi les professions intermédiaires (+ 5%) et les employés (+ 6%). Autrement dit, si le président continue d’être soutenu par les milieux aisés, on assiste à un rééquilibrage : il perd un peu chez les cadres, sans doute dans les milieux de gauche qui jugent négativement sa politique migratoire ou sa politique sociale, mais il gagne du terrain dans les professions libérales, tout en renforçant sa position dans les couches intermédiaires. Le président continue donc d’être soutenu par les couches supérieures de la société, avec un soutien qui glisse plutôt de la gauche vers la droite. Dans tous les cas, son assise électorale reste solide. Les opposants ne peuvent pas aller très loin, non seulement parce qu’ils sont fortement divisés entre eux, mais aussi parce qu’ils ne bénéficient pas de relais dans les élites, qu’elles soient administratives, scientifiques, culturelles, médiatiques ou intellectuelles.

Existe-t-il des précédents à une telle situation politique ou l'impopularité ne semble pas pouvoir s'exprimer au travers d'une sérieuse opposition politique au pouvoir en place ? Quels en sont les enseignements ?

Christophe Boutin : Il y a eu des cas, bien sûr, en France ou ailleurs, et même dans les systèmes bipartisans – Royaume-Uni par exemple – où la combinaison de la faiblesse du leader de l’opposition et des divisions internes de cette dernière a conduit à sauver des pouvoirs pourtant menacés. Mais cela suppose, comme dans le cas présent, que le rejet du titulaire du pouvoir reste limité. Car lorsque ce n’est pas le cas s’applique la doctrine bien connue du « tout sauf… » (« tout sauf Sarkozy, sauf Hollande…), les électeurs faisant un tel vote de défiance émotionnel, on pourrait dire presque irrationnel, que, parfois, ils se trouvent ensuite fort surpris de leur choix en écoutant le nouveau titulaire du pouvoir ! En dehors de ce cas extrême, que nous avons connu en France et qui a existé aussi ailleurs, l’enseignement à tirer est, sans surprise, qu’il y a, sauf circonstances exceptionnelles, une nécessité de cohérence, sinon de cohésion, pour parvenir au pouvoir.

Vincent Tournier : Il n’est guère évident de trouver un précédent avec un exécutif impopulaire qui parviendrait à se maintenir au pouvoir envers et contre tout, sans avoir besoin de recourir à la force. En principe, la logique démocratique veut qu’un pouvoir impopulaire cède la place à ses opposants dans le cadre d’une alternance électorale. Si on était cynique, on pourrait presque dire que la démocratie est plus efficace qu’un régime autoritaire pour maintenir au pouvoir un gouvernement qui n’est pas soutenu majoritairement par la population. Mais en même temps, ce n’est pas la faute du président si ses opposants ne sont pas capables de proposer une alternative crédible. Et puis le peuvent-ils de toute façon ? Il n’est pas évident que l’alliance qui vient de se produire en Italie entre la gauche contestataire et la droite nationaliste puisse se reproduire ailleurs. Cette alliance a pu se réaliser parce que la crise économique est très profonde en Italie, et aussi parce que les partis en question sont relativement nouveaux. En France, cela fait des décennies que les partis radicaux passent leur temps à se critiquer mutuellement, ce qui rendrait très coûteux leur éventuel rapprochement puisque cela les obligerait à admettre qu’ils se sont lourdement et constamment trompés dans leurs analyses.

Comment expliquer l'incapacité des oppositions à capitaliser sur l'impopularité ? Comment comprendre également l'incapacité des mouvements sociaux à véritablement "prendre" sur le terrain ? Cette situation est-elle plus le fait de la structuration de ces oppositions ou faut-il y voir une forme de lassitude de la population ?

Vincent Tournier : Toute proportion gardée, on est un peu comme à l’époque du retour du général De Gaulle, lorsque le pouvoir avait contre lui les communistes d’un côté, les poujadistes et les nationalistes de l’autre. Comme ces deux oppositions se sont neutralisées mutuellement, un boulevard a été créé au centre. Le général de Gaulle a su habilement en tirer profit en réunissant autour de lui des personnalités qui venaient d’horizons différents, et en menant une politique à la fois très sociale et très nationale. La situation d’Emmanuel Macron n’est pas très différente, sans être directement comparable : en réunissant des personnalités de centre-droit et de centre-gauche, il coupe l’herbe sous les pieds des opposants, lesquels ont du mal à trouver un angle d’attaque. Par ailleurs, ce qui rend très difficile la tâche de l’opposition, c’est que les clivages dans la société française sont aujourd’hui intenses et variés : il y a des clivages sociaux, territoriaux, culturels et bien sûr idéologiques, ce qui ne facilite guère la constitution de majorités électorales solides.

Un autre élément qui conforte le pouvoir actuel, c’est que le président contrôle mieux le Parlement que ne le faisaient Nicolas Sarkozy et François Hollande. C’est la conséquence de la crise des partis traditionnels. On a beaucoup dénoncé les anciens partis comme l’UMP et le PS, mais on a oublié que ceux-ci avaient un mérite  c’est qu’au fil des années, ils avaient acquis une certaine autonomie par rapport au pouvoir exécutif, ce qui leur permettait de faire remonter des critiques, d’instaurer un débat. Avec la République en Marche, les poussées contestataires sont étouffées ou mises en retrait : on a affaire à un parti qui est entièrement voué à la cause de son chef et dont les membres ont un faible degré d’expérience politique, ce qui renforce leur dépendance à l’égard de l’exécutif.

Plus généralement, force est de constater qu’Emmanuel Macron bénéficie du soutien d’une grande partie des élites actuelles. Il suffit d’écouter les grands médias, de lire la presse pour voir que celui-ci bénéficie d’un regard compréhensif. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Emmanuel Macron n’est pas pris en grippe par les grands médias comme avaient pu l’être Nicolas Sarkozy et même de François Hollande. C’est aussi l’une des raisons qui peut expliquer l’échec des mouvements sociaux depuis septembre 2017 : aucun d’entre eux n’a été en mesure de faire entendre la légitimité de son point de vue. Ce manque de relai dans l’espace public va de pair avec un appauvrissement alarmant du débat public. Nous vivons une période où les passions reviennent avec force au point de vouloir interdire toute confrontation  rationnelle et argumentée. L’information se réduit à une succession de vagues émotionnelles qui ne tolèrent aucune discussion, comme on a pu le voir récemment avec la question des enfants de migrants aux Etats-Unis. L’hypersensibilité de certaines causes conduit à exclure les points de vue minoritaires ou dissidents. Les débats ont tendance à disparaître, avec la complicité active de certains médias, ce que l’on a encore pu constater ce samedi lors du passage de Nicolas Dupont-Aignan chez Laurent Ruquier. On n’est parfois pas loin d’une forme de racisme idéologique.

Christophe Boutin : Un Président qui baisse légèrement en confiance, c’est vrai, et ce sans que l’opposition n’en profite, pas plus à gauche qu’à droite d’ailleurs. Et, par ailleurs, vous avez raison, des mouvements sociaux qui ne parviennent pas à s’unir, une « convergence des luttes » annoncée à coups d’éditoriaux et de mégaphones qui ne débouche sur rien ou presque. Faiblesse des oppositions ? Oui, nous l’avons dit, mais pas seulement : encore une fois, si le PS est aux abonnés absents et LR occupé à s’entre-déchirer, restent un RN et FI qui, tous deux, disposent de leaders assumés et de programmes assurés. Mais leur positionnement « aux extrêmes » - positionnement sur lequel il y aurait beaucoup à dire – rend difficile les alliances avec eux.

En dehors de cela, on peut évoquer pour expliquer ce que vous appelez la lassitude des populations la portée conjointe de deux éléments. Un individualisme exacerbé d’abord, qui semble plus fort que jamais dans les populations occidentales en général, et donc en France aussi. Un individualisme qui obère la reconnaissance de solidarités, et ce d’autant plus qu’il semble difficile, sinon interdit, de définir un ennemi commun qui fédère. Tant que l’on n’est pas directement victime de la politique menée, ou qu’on l’est moins que d’autres, on fait le dos rond. Second élément ensuite, un discours ambiant venant des titulaires du pouvoir, et porté par les commissaires de l’Union européenne comme par nombre nos élus nationaux ou locaux, assénant qu’il n’y a pas d’autres politique à mener que celle, raisonnable, sérieuse, pragmatique et réfléchie des experts qui nous dirigent.

Pour voir perdurer cet état de fait, le pouvoir peut, il suffit de relire Machiavel, manipuler certaines peurs pour éviter les révoltes. Mais il lui faut aussi maintenant délégitimer tout ce qui pourrait remettre en cause le sacro-saint principe TINA (There Is No Alternative). Or, sur le point focal des prochaines élections, l’Europe, on se rend bien compte qu’il y a d’autres alternatives. On voit en effet, sur les trois éléments centraux de l’identité, de l’insécurité et de l’immigration, d’autres politiques menées par des partis, mais aussi maintenant par des États, quand plane toujours l’ombre d’un Brexit qui, pour l’instant, n’a pas amené sur la Tamise les conséquences catastrophiques annoncées par les « experts ». Face à la montée des tensions, nos populations pourraient bien devenir moins « lasses »…

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