Emeutes à Ferguson : pourquoi il est si difficile pour les Blancs américains de comprendre les discriminations dont sont victimes les Noirs<!-- --> | Atlantico.fr
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La ville de Ferguson aux États-Unis s'est à nouveau embrasée.
La ville de Ferguson aux États-Unis s'est à nouveau embrasée.
©Reuters

Colorblind

La ville de Ferguson aux États-Unis s'est à nouveau embrasée après que la justice ait prononcé un non-lieu à l'encontre du policier accusé d'avoir tiré sur Michael Brown, un jeune noir âgé de 12 ans. Parmi les revendications portées par les communautés noires américaines, la mise à mal du profilage racial dont elles sont victimes : un Noir américain a ainsi 20 fois plus de risques de mourir par arme à feu qu'un Blanc.

François Durpaire

François Durpaire

François Durpaire est historien et écrivain, spécialisé dans les questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France. Il est également maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est président du mouvement pluricitoyen : "Nous sommes la France" et s'occupe du blog Durpaire.com

Il est également l'auteur de Nous sommes tous la France : essai sur la nouvelle identité française (Editions Philippe Rey, 2012) et de Les Etats-Unis pour les nuls aux côtés de Thomas Snégaroff (First, 2012)

 


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Atlantico : L'affaire Michael Brown a ravivé le débat sur le racisme et les inégalités entre Noirs et Blancs aux Etats-Unis. Selon un sondage Huffingtonpost/ Yougov (voir ici), plus de 3/4 des Noirs interrogés ont estimé que l'assassinat de M. Brown reflétait un contexte global dans la façon dont la police traite les hommes noirs, contre seulement 40% des Blancs. Comment expliquer cette différence de perception d'un même événement entre Blancs et Noirs aux Etat-Unis ?

François Durpaire : Cette différence de perception s'explique car les Noirs et les Blancs possèdent une histoire différente. Et cette histoire s'inscrit dans un rapport de dominés/dominants. Les Noirs ont été dominés et se perçoivent encore comme dominés. Il y a eu l'esclavage qui a ensuite fait place à ségrégation raciale. Cette différence ne touche pas tous les aspects de la société américaine.

Sur de nombreuses thématiques, les Noirs et les Blancs sont d'accord, ils sont Américains. En revanche, ils ne sont pas d'accord sur le rôle joué par la race dans la société américaine. Les Blancs  estiment que l'on en fait trop et que la race ne joue pas un rôle prépondérant. Une enquête du Pew Research center réalisée au mois d'août après les événements de Ferguson montre que 80% des Noirs estiment que c'est un problème racial contre plus de 30% des Blancs. Et 47% des Blancs pensent qu'il ne s'agit pas d'une question raciale, que cet événement est ponctuel et qu'il relève de la délinquance.  

Il y a deux sujets qui fâchent et qui sont très clivant entre les Blancs et les Noirs. 60% des Noirs estiment que la police a sur-réagi, contre un plus de 30% des Blancs. La justice est un sujet encore plus clivant. Combien de Noirs avaient confiance en la justice dans l'affaire Michael Brown ? 18%. 76% des Noirs n'avaient pas confiance en la justice. 52% des Blancs avaient pour leur part confiance en la justice. L'écart est considérable.

Car la police et la justice ont été, dans l'histoire des Noirs-Américains, les instruments de la répression sur les Noirs. Lorsque les Noirs ont milité pour les droits civiques, ils ont fait appel à la justice pour renverser les décisions de justice. Cette histoire date des années 1950. Les années où dans le sud des Etats-Unis, les avocats noirs parcouraient le pays pour porter plainte et évidemment se retrouvaient perdants. Des jurys blancs les déboutaient systématiquement. C'est la Cour suprême qui leur donnait raison et c'est ainsi qu'en 1954, l'école a été "déségréguée" suivie des transports publiques en 1955.

Comment expliquer cette incapacité des Blancs à comprendre ce qui s'est passé à Ferguson, et plus largement les discriminations dont la communauté noire peut-être victime ?

On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Il y a encore 10 ou 15 ans, nous aurions été face à des chiffres différents. Or, si on lit ce pourcentage dans le sens inverse. 54% des Noirs souhaitaient inculpation, contre 23% des Blancs. 54% ce n'est pas 90% des Noirs et on trouve 23% des Blancs qui estiment qu'il doit être inculpé.

Quand on voit les images en boucle de Ferguson, on se dit que l'Amérique n'a pas changé mais c'est faux. Lorsque l'on regarde de plus près les manifestations à Washington, New-York, il y a une majorité de Blancs solidaires qui demandent la justice pour Michael Brown. C'est une Amérique qui est plus complexe que par le passé. Ce qui est en jeux, c'est ce que dénoncent les jeunes Noirs-Américains.

A savoir, que toute une génération de Noirs-Américains est victime de profilage racial. Quand vous naissez noir américain, vous avez 20 fois plus de risques de mourir par arme à feu que si vous êtes nés Blancs. Mais un Noir né en 2014 a plus de chances de faire des études supérieures qu'un Noir né en 1984 et encore plus qu'un Noir né en 1964.

Aux discriminations liées à la couleur de peau s'ajoutent celle liées à l'environnement social, comme le révèle une étude du Pew Research Centre en 2014 (voir ici). La difficulté d'avoir un débat intelligible au sujet du racisme est-elle liée au fait que l'environnement social des Blancs est plus favorable ?

Ce qui relève de la discrimination raciale peut parfois être résumé à des questions sociales. Mais là encore de plus en plus de Blancs comprennent qu'une partie des problèmes tient aux préjugés raciaux. Il y a surtout une imbrication de questions sociales et de questions raciales. L'environnement social explique ces écarts.

Premièrement, les Noirs sont plus présents dans les prisons, non pas parce qu'ils sont plus agresseurs que les Blancs mais parce qu'ils ont moins les moyens de se payer un bon avocat. Et dans un système accusatoire, si vous ne pouvez pas vous défendre, vous augmentez les risques de condamnations. Il y a aussi un environnement racial et ce qui est dénoncé. Beaucoup de jeunes Noirs-Américains estiment que dans la tête d'un policier blanc, un Noir ressemble à un Noir. Et quand on lui dit de chercher un Noir avec une capuche, tous les Noirs avec des capuches sont interpellés.

Les solutions proposées par Barack Obama et Eric Holder, le ministre de la justice, si on lit entre les lignes de leur discours, se dirigent vers des politiques d'affirmative action, notamment dans la police et la justice. Et Ferguson n'est pas l'illustration d'une Amérique en noir et blanc, mais d'un endroit où nous sommes restés dans une poche pauvre noire, avec des instituions majoritairement blanches. L'Amérique, dans beaucoup d'autres municipalités, ne présente pas cette image. 

Le manque d'interaction entre les communautés empêche-t-il de comprendre les réalités que peuvent vivre les Noirs ?

Quand on a des interactions dans les voisinages, de la mixité à l'école et du mariage entre les communautés, on apprend à connaitre l'histoire de l'autre et les différentes cultures qui forgent ce pays. Il y a une augmentation de cette mixité aujourd'hui dans les grands centres urbains où des familles fêtent Hanoukka et Noël.  Mais le degré de mixité dépend des communautés.

Par exemple, la communauté hispanique a un degré de mixité élevé. En revanche, la communauté noire reste pour le moment une des communautés les moins mixtes. Il y a des progrès énormes ont été faits mais la mixité chez les Noirs elle a aussi moins augmenté que chez les autres communautés. Il aurait été intéressant dans le sondage cité précédemment de savoir ce que pensent les hispaniques de l'affaire Brown. Car ils représentant cette Amérique qui n'est ni noire, ni blanche. Car l'Amérique d'aujourd'hui est beaucoup plus complexe.

Comment améliorer la compréhension et faire avancer le débat, alors même que les réalités sociales et raciales sont si différentes ?

L'éducation est bien évidemment le meilleur moyen de lutter contre les préjugés raciaux. Des  dispositifs avaient été mis en place après la mort de Martin Luther-King par Jane Elliot. Elle allait dans les écoles et essayait de montrer aux Blancs Américains ce que signifiait un préjugé racial. Car le racisme ne se combat pas uniquement à coup de lois antidiscriminatoires. Car les Américains ont mis en place des lois d'affirmatives actions. Ce travail de pédagogie doit se faire dans les écoles bien sûr mais aussi dans les médias.

Propos recueillis par Carole Dieterich

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