Eloge de la bonté en politique selon Mikhaïl Gorbatchev <!-- --> | Atlantico.fr
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Darius Rochebin publie « Dernières conversations avec Gorbatchev » aux éditions Robert Laffont.
Darius Rochebin publie « Dernières conversations avec Gorbatchev » aux éditions Robert Laffont.
©AFP

Bonnes feuilles

Darius Rochebin publie « Dernières conversations avec Gorbatchev » aux éditions Robert Laffont. Pendant vingt-cinq ans, Mikhaïl Gorbatchev s'est confié à Darius Rochebin comme il ne l'avait jamais fait, pour nous raconter, dans ces pages inédites, le miracle que fut son destin : un sursaut d'humanisme dans un système inhumain. Extrait 2/2.

Darius Rochebin

Darius Rochebin

Darius Rochebin est journaliste chez LCI, où il mène des grands entretiens comme précédemment pour le Journal de Genève et la télévision suisse. 

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Darius Rochebin : Quelle est la principale qualité d’un homme ou d’une femme politique ?

Mikhaïl Gorbatchev : C’est une question difficile. En tout cas, il faut être conscient que l’on ne réussit jamais rien tout seul. Dans mon discours de départ, le 25 décembre 1991, j’ai remercié tous ceux qui avaient combattu avec moi pour la bonne et juste cause. Il n’y a pas de surhomme : c’est de la blague, ou alors c’est une croyance dangereuse.

Dangereuse ?

Oui. Qui sont les surhommes ? Les dictateurs. Les Hitler, les Mussolini!

Le guide, le chef : Führer, Duce, Caudillo. Ou «Vojd». C’est ainsi qu’on désignait souvent Staline.

Oui, avec les différences entre ces hommes et aussi les parentés.

Peut-on mettre l’humour au rang des qualités essentielles pour un homme d’État ?

Bien sûr. Et particulièrement l’humour sur soi-même. Celui qui ne sait pas se regarder de l’extérieur, rire de lui-même, celui-là ne sera jamais un bon dirigeant. L’autodérision est le plus sûr des contre-pouvoirs.

C’était l’idée du chevalier de Méré, un moraliste du XVIIe siècle : il faut se voir de l’extérieur, «s’imaginer qu’on joue un personnage de théâtre, cette pensée donne une liberté de langage et d’action qu’on n’a point quand on est troublé de crainte et d’inquiétude ».

Je suis d’accord avec votre chevalier !

Quand nous avions des entretiens télévisés, vous m’avez souvent fait rire. Si un projecteur vous aveuglait, vous plaisantiez : «C’est la Loubianka ici! »

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Mikhaïl Gorbatchev regrettait-il autant l’Union soviétique que Vladimir Poutine ?

C’était de l’humour noir, dans ce cas ! Je n’aurais pas voulu être interrogé à la Loubianka, le siège du KGB. Mais c’est vrai. Les projecteurs de télévision sont toujours aveuglants. On dirait que vous voulez me faire avouer quelque chose. J’ai tout dit!

Vous m’avez taquiné quand je vous questionnais sur la publicité pour une marque de maroquinerie, après votre départ du Kremlin. Je vous demandais si ce n’était pas indigne de vous.

Mais oui. Où était le mal ? Vous n’aimiez pas ce sac ? Il était élégant pourtant.

Est-ce que ça n’était pas un puissant symbole ? À la fin, le capitalisme a cette extraordinaire capacité à tout récupérer.

Il n’y avait rien là de dramatique. J’ai dû trouver des appuis et des sponsors pour réaliser mes actions, et pour financer ma fondation. Voilà tout.

Vous étiez demandé partout. Vos conférences étaient rémunérées à la hauteur de votre notoriété planétaire.

Nous avions besoin d’argent, assurément. À l’époque d’Eltsine en particulier, les autorités russes ne m’ont pas facilité la tâche.

Il vous arrive de critiquer le monde actuel, mais vous ne dites pas : «C’était mieux avant.» Vous n’êtes pas un passéiste.

Regarder en arrière ne sert à rien. Et pour ces publicités, qui ont fait couler beaucoup d’encre, j’ajouterai ceci. Je ne me suis jamais pris au sérieux. Mais je n’ai jamais rien bradé : ni mes idées, ni mes actions. J’ai  toujours défendu l’héritage moral de Gorbatchev. Je veux que les futures générations sachent ce que j’ai fait.

La question reviendra toujours. Comment le «miracle Gorbatchev » est-il advenu? Qu’est-ce qui vous a émancipé d’une certaine conception soviétique et russe de l’autorité?

J’étais loin d’être unique en mon genre. Parmi les Soviétiques, au lendemain de la guerre, beaucoup ont accédé à un savoir de qualité, comme moi, comme Raïssa. C’était la clef. Malgré la propagande, malgré l’idéologie, cette culture a eu un effet libérateur sur nos esprits. Et cela, nous le devons au régime soviétique.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes.

Le niveau d’instruction était élevé. Dans les sciences, dans la littérature, dans les métiers techniques, une génération d’enfants de paysans et d’ouvriers a pu s’élever grâce aux écoles et aux universités. Tout ce savoir a été le terreau du changement, même si ça n’amenait pas forcément à une opposition active. Le savoir affranchit l’homme de toutes les tutelles, de façon naturelle. J’en suis persuadé. C’est pourquoi je pense que la démocratie l’emportera à la fin.

Encore aujourd’hui, on dit que certains classiques français sont davantage lus dans les pays d’Europe orientale qu’ils ne le sont en France !

Balzac, Hugo, nous les dévorions déjà, bien sûr, quand nous étions étudiants. Et quand on atteint un certain niveau de conscience, on ne peut plus réfléchir de manière primitive, on ne peut plus croire à des idées simplistes. On ne « gobe » plus aussi facilement les mensonges. La connaissance, c’est la liberté ! On en vient naturellement au doute, on réfléchit par soi-même.

Il semble que tout en vous rejette les idéologies, les absolus, les « avenirs radieux» et autres «Grands Soirs ». Comment définir votre pensée politique ?

J’ai souvent dit que je me considère comme un social-démocrate. C’est une manière équilibrée, pragmatique, de concevoir l’action politique. Toute vision manichéenne et tout esprit de système sont dangereux. On en arrive à faire le mal au nom d’une idée, d’une nation ou d’un chef.

Tzvetan Todorov, qui fut élevé dans la Bulgarie communiste, a résumé cela en une formule : « La tentation du Bien est beaucoup plus dangereuse que celle du Mal. » Il affirme que les pires crimes de l’histoire ont été commis au nom d’un «Bien» suprême. On tue, on torture au nom d’une classe, d’une race, d’un Dieu, d’un but terrestre ou céleste…

Rien ne justifie jamais de faire le mal. J’ai commis des erreurs. Mais je ne me suis jamais écarté de cette morale.

Vous resterez dans les manuels d’histoire. Que voulez-vous qu’on dise de vous ?

Que j’étais un bon type.

C’est tout ?

C’est beaucoup.

Il y a eu deux guerres mondiales. En faudra-t-il une troisième ?

Pourquoi pas la paix?

Un équilibre a pris fin avec la chute de l’URSS. La Chine a de grands appétits. Les États-Unis ne se laisseront pas faire. N’est-ce pas toujours la guerre qui a fixé un nouvel ordre du monde ?

Croyez-moi, il ne faut pas regretter l’ancien. Je suis fier d’y avoir mis fin.

L’histoire montre…

L’histoire ne montre rien du tout. Elle est ce qu’on en fait.

Vous m’avez souvent parlé de l’optimisme qui est une force d’entraînement. Avez-vous pu conserver cela ?

Pourquoi l’aurais-je abandonné ? En 1995, on m’a invité à un forum à San Francisco avec George Bush et  Margaret Thatcher. Nous devions raconter notre expérience du pouvoir. Chacun devait condenser en quelques mots son testament politique. J’ai dit : «Le  monde appartient aux optimistes et aux idéalistes.» Je le pense toujours.

Extrait du livre de Darius Rochebin, « Dernières conversations avec Gorbatchev », publié aux éditions Robert Laffont

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