Élections en Hongrie : le bastion conservateur de l’Europe est resté debout <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre hongrois Viktor Orban donne sa première conférence de presse après la victoire de son parti FIDESZ aux élections législatives, à Budapest, le 6 avril 2022.
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban donne sa première conférence de presse après la victoire de son parti FIDESZ aux élections législatives, à Budapest, le 6 avril 2022.
©Attila KISBENEDEK / AFP

Fidesz

Une semaine avant le premier tour des présidentielles en France, les Hongrois se sont rendus aux urnes pour décider de l’avenir politique de leur pays aux élections législatives. Les électeurs ont renforcé leur soutien à Viktor Orbán dont le parti a remporté pour la quatrième fois la majorité des deux tiers des mandats parlementaires. Comment expliquer cette victoire écrasante du conservateur de centre-droite hongrois, qualifié par Emmanuel Macron comme son « adversaire politique » sur la scène européenne ?

Ákos Bence Gát

Ákos Bence Gát

Ákos Bence GÁT est responsable de communication et des affaires internationales du Danube Institute, ancien élève de Sciences Po Paris et de l’ENA.

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A la suite des victoires spectaculaires répétées aux élections législatives depuis 2010, et en comptant son premier mandat entre 1998 et 2002, Viktor Orban a dirigé la Hongrie en tant que premier ministre pendant 16 ans, ce qui le place en Europe à côté d’Angela Merkel en termes d’expérience gouvernementale. Depuis le changement du régime de 1989, quand ce pays de l’Europe centrale s’est libéré du joug communiste, l’homme fort de la droite hongroise, le président du parti Fidesz a passé autant de temps au pouvoir que dans l’opposition. C’est ce bilan qui tournera en positif lorsqu’il commencera son nouveau mandat en 2022. Aux élections législatives du 3 avril dernier, l’alliance du Fidesz et des démocrates chrétiens (KDNP) a obtenu plus de 54% des suffrages exprimés, soit un nombre record de plus de 3 millions de votes, face à la liste de l’opposition unie arrivée deuxième avec 34% des suffrages, et avec un écart de plus d’un million de votes.

Pendant les douze dernières années, la Hongrie a souvent été à la Une des journaux en Europe occidentale, et les organes médiatiques sympathisant de la gauche libérale n’ont pas épargné le pays et son gouvernement. La gauche a saisi toute opportunité pour coller l’étiquette d’une « dictature » ou d’un « régime autoritaire » à la Hongrie depuis l’accès au pouvoir de Fidesz-KNDP mené par Viktor Orbán. Le soutien populaire continu de Viktor Orbán montre que la réalité est bien différente. D’une part, depuis 2010, la Hongrie est gouvernée d’une manière efficace au profit des citoyens, d’autre part, une nouvelle fois, l’opposition était incapable d’offrir une alternative crédible et convaincante. Voici une explication rapide du contexte permettant de comprendre la situation actuelle de la Hongrie.

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En fait, en 2010, le Fidesz-KDNP a hérité d’un pays en pleine crise politique et économique. Le gouvernement socialiste-libéral précédent mené par Ferenc Gyurcsány a entrainé le pays dans une crise politique profonde avec des manifestations répétées à partir de l’automne 2006, dépassant tous les records tant en termes du nombre des citoyens indignés que de violence policière appliquée contre les manifestants. La principale cause en était la révélation au public du discours scandaleux prononcé par le premier ministre de l’époque aux membres du Parti socialiste hongrois (MSZP) à Balatonőszöd, dans lequel il a dit avoir menti volontairement et systématiquement aux électeurs. Ferenc Gyurcsány ayant refusé de démissionner, l’impasse politique s’est installée durablement. De plus, le pays est entré en crise économique à cause de la politique gouvernementale plusieurs années avant que la crise économique mondiale de 2008 n’éclate.

En 2010, le Fidesz – digne de son nom faisant allusion au nom latin « fides » – signifiait le seul espoir d’un peuple souffrant depuis des années des mesures de restriction budgétaires graves, et d’un chômage extraordinaire. La gravité de la situation est également illustrée par un emprunt de sauvetage contracté par le gouvernement auprès du FMI en 2009 pour éviter la faillite de l’État. Les tensions sociales de l’époque ont été aussi illustrées par l’essor du parti d’extrême droite Jobbik qui tenait des propos ouvertement antisémites et anti-roms, et qui organisaient régulièrement des marches paramilitaires dans les rues.

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Face à ces défis, le premier ministre Orbán n’a pas opté pour une cure visant seulement les symptômes, mais pour une réforme profonde du pays, tant au niveau économique et politique que constitutionnel. Il a mis en place une politique gaulliste, au centre duquel se trouve la protection de la souveraineté nationale, un État fort jouant un rôle actif dans l’économie, avec des mesures adaptées aux besoins hongrois et refusant d’appliquer automatiquement les consignes jusqu’alors non-discutables du FMI et de l’Union européenne.

Cette politique non-orthodoxe inspirée du pragmatisme politique et des valeurs conservatrices affirme clairement que les nations fortes et les traditions chrétiennes ont leur place dans l’UE du 21e siècle et refuse une immigration illégale sans contrôle. Elle a valu au gouvernement beaucoup de critiques de la part des institutions et des élites européennes. Cependant, les résultats économiques avant la crise de la Covid et la capacité de résistance économique du pays au choc provoqué par la pandémie font preuves d’une réalité bien différente de l’image répandue dans le monde occidentale. Les observateurs avisés ne peuvent pas passer à côté du succès de la politique de la droite conservatrice en Hongrie : entre 2010 et 2019, la dette publique a diminué de 80% à 65,5%, le taux de chômage est descendu de 11,3% à 3,5%, la proportion des personnes en risque de pauvreté ou d'exclusion sociale a baissé de 29,9% à 18,9%, le déficit budgétaire a été tenu sous 3% du PIB, et il y a eu des années avec une inflation quasiment nulle. A partir de 2013, le pays a connu une croissance économique dépassant le moyen européen, avec des taux de croissance du PIB réel entre 4,3% et 5,4% à la fin des années 2010. En plus d’une politique économique bien réfléchie, une série de mesures innovatrices soutenant les familles ont permis l’augmentation du taux de fécondité de 1,25 en 2010 à 1,56 en 2020. Ce progrès est vital pour ce pays de moins de 10 millions d’habitants, souffrant d’un vieillissement de la population. L’exemple peut être également instructif pour toute l’Union européenne dont les leaders semblent être convaincus que l’immigration est la seule solution au déclin démographique.

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Le succès du modèle conservateur hongrois susceptible d’inspirer les conservateurs d’autres pays et les tentatives du Fidesz pour réorganiser la droite européenne inquiètent une bonne partie de l’élite politique européenne actuelle dont les membres n’ont pas hésité à apporter leur soutien à l’opposition unie face à Viktor Orbán. Mais qui incarnaient cette opposition devant apporter le « renouveau politique » en Hongrie ?

Pour les élections de 2022, plusieurs partis politiques ont décidé de former une liste électorale commune et un pacte pour présenter des candidats uniques contre les candidats du Fidesz-KDNP dans les circonscriptions électorales individuelles. Le parti le plus fort de ce camps était la Coalition Démocratique (DK) dirigée par l’ancien premier ministre discrédité, Ferenc Gyurcsány et sa femme, Klára Dobrev, membre du Parlement européen. L’alliance de l’opposition comprenait également l’ancien parti d’extrême droite, le Jobbik dont les représentants ont fait un virage à 180 degrés sans pour autant pouvoir nier leurs propos tenus il y a quelques années. A ce mélange original s’ajoutait le parti Momentum, formé par des jeunes qui sont entrés en politique non pas avec des messages positifs mais pour faire avorter la candidature de la Hongrie pour organiser les jeux olympiques de 2024. Bien qu’ils aient promis un nouveau souffle à la politique hongroise, les membres de cette formation semblent se contenter parfaitement d’un discours anti-Orbán acharné, qui ne les différencient en aucune manière des partis classiques de l’opposition de gauche. Le camps du « changement » comprenait également l’ancien parti socialiste (MSZP) en état de ruine, ainsi que le reste d’un parti vert (LMP) et celui du parti « dialogue » (PM) présent sur la scène politique hongroise non pas en raison d’un véritable soutien populaire, mais par le fait que son leader est l’actuel maire de Budapest, Gergely Karácsony. A la tête de cet ensemble se trouvait un candidat au poste de premier ministre, Péter Márki-Zay, maire d’une ville moyenne du Sud de la Hongrie, qui avait remporté les primaires de la gauche tout en se déclarant être de droite, et qui tenait des propos controversés tout au long de la campagne. Malgré tous leurs efforts de marketing politique au plan national et international, cette coalition incohérente portait l’ombre du passé et n’a eu véritablement en commun que l’anti-orbanisme et une volonté affichée pour suivre les tendances politiques et idéologiques à la mode au niveau européen.

Le contraste entre le gouvernement avec des résultats indéniables et la coalition forcée de l’opposition était déjà criant. A cela s’est ajoutée la guerre en Ukraine qui a considérablement monté les enjeux des élections aux dernières semaines de la campagne. Le premier ministre Viktor Orbán a opté pour une politique mesurée et réfléchie. Il a condamné fermement l’invasion russe, il a déclaré son soutien pour toute sanction économique décidée par l’UE, mais il a mis en garde contre toute mesure pouvant mener à l’escalade de la guerre au niveau international ou risquant de mêler la Hongrie au conflit armé. En revanche, l’opposition n’a pas exclu que la Hongrie puisse participer à la guerre, et elle s’est montrée ouverte à l’envoi des armes et des soldats hongrois au front ukrainien. Avec des propos excessifs, le candidat premier ministre de l’opposition s’est précipité pour montrer son attachement sans conditions à ce qui serait décidé en Occident, pour faire la différence de Viktor Orbán qu’il a décrit comme pro-Poutin déniant les valeurs occidentales. Cette stratégie a été manifestement erronée dans le contexte d’une guerre mortelle qui ne se battait pas sur le terrain des symboles, mais qui exigeait des vies humaines chaque jour. Selon les résultats du scrutin, les Hongrois ont jugé ce comportement irresponsable et dangereux pour leur pays.

Les élections hongroises ont été décisives non seulement pour la Hongrie, mais aussi pour toute l’Europe. Les Hongrois se sont donnés une chance de poursuivre les progrès commencés en 2010 et ont dit non au retour du passé. En Europe, l’un des derniers bastions du conservatisme, résistant aux ambitions hégémoniques de l’idéologie libérale est resté debout. La question est de savoir si d’autres pays rejoindront la Hongrie dans l’avenir ou si elle devrait continuer à tenir le fort sur une scène politique européenne inégale.

Ákos Bence GÁT,

ancien élève de Sciences Po Paris et de l’ENA

Responsable de communication et des affaires internationales de Danube Institute

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