Élections au Gabon : comment l’opposant Jean Ping dénonce un système clanique et corrompu... auquel il a participé pendant 18 ans<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Ping avait déjà lui-même suscité le scandale, voilà plusieurs mois de cela, en évoquant les "cafards" à propos des étrangers, réels ou supposés…
Jean Ping avait déjà lui-même suscité le scandale, voilà plusieurs mois de cela, en évoquant les "cafards" à propos des étrangers, réels ou supposés…
©Reuters

Stratégie du déni

Ce samedi 27 août, le scrutin présidentiel au Gabon opposera l'actuel président, Ali Bongo, à celui qui occupa plusieurs portefeuilles ministériels sous Omar Bongo, Jean Ping. Si ce dernier promet d'incarner une véritable alternance à ce qu'il qualifie de "dictature d'un clan", il est peu probable que son élection entraîne un véritable bouleversement.

Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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Atlantico : Le scrutin présidentiel de ce samedi 27 août au Gabon opposera l'actuel président Ali Bongo, au principal candidat de l'opposition Jean Ping. Sur quels terrains ces deux hommes se sont-ils affrontés au cours de la campagne électorale ? Auprès de quels électorats ont-ils chacun le plus de chances d'obtenir des voix ?

Frédéric Encel : Le problème, c’est que sur le fond les grands sujets sociaux, sociétaux et économiques n’ont été abordés qu’à la marge, et que sur la forme la campagne n’a pas toujours été à la hauteur des enjeux. Reste qu’on ne peut mettre les deux principaux candidats sur le même plan. Ali Bongo Ondimba, au moins, a parlé de mesures et de perspectives concrètes car devant défendre son bilan, que les instances internationales s’accordent à estimer, au pire, mitigé, au mieux, correct, surtout au regard de l’effondrement des cours du brut. Jean Ping, lui, a tapé principalement "sous la ceinture", autrement dit ad hominem, contre la personne du candidat Bongo plutôt que sur son action depuis qu’il est au pouvoir. Pire : soutenu par un quarteron d’affairistes et de lobbyistes français controversés  – piliers de la vieille Françafrique – l’entourage de l’opposant a mis en cause son appartenance ethnique, niant ses origines "purement" gabonaises et délégitimant par conséquent jusqu’à sa candidature actuelle et celle de 2009 ! En clair, Ali Bongo serait un étranger. Or Jean Ping avait déjà lui-même suscité le scandale, voilà plusieurs mois de cela, en évoquant les "cafards" à propos des étrangers, réels ou supposés… On est là dans une dérive dangereusement outrancière pour ne pas dire racialiste. Ailleurs sur le continent, au Rwanda en particulier, on se souvient où avaient mené il y a à peine plus de vingt ans ce type d’orientations, sans parler de l’Europe des années 1930…

Quant aux électorats, je vous dirais que grâce au ralliement de l’ancien Premier ministre Casimir Oyé Mba, Jean Ping obtiendra sans doute des suffrages supplémentaires chez les Fang de l’Estuaire, lesquels constituent numériquement un poids électoral important. Il est vraisemblable que les citoyens nordiques du Woleu-Ntem le rejoindront également par défiance vis à vis d'Ali Bongo. En revanche, le candidat du PDG (Parti démocratique gabonais) peut compter sur le Haut-Ogoué et, de façon transversale et non clanique, sur la plupart des fonctionnaires, des électeurs des classes moyennes et des ouvriers, et sans doute simplement sur tous ceux qui se souviennent du passé de Jean Ping.  

Justement, Jean Ping fut ministre d'Omar Bongo de 1990 à 2008. Il dénonce maintenant la dictature d'un clan, d'une dynastie. Peut-il être crédible dans ce rôle d'opposant ? S'il remportait l'élection, incarnerait-il vraiment une alternance à la présidence des Bongo ?

Deux bonnes questions auxquelles on doit répondre par la négative.

En premier lieu, lorsqu’on a fidèlement occupé et assumé non seulement des postes ministériels importants mais multiples et sur presque deux décennies, on ne peut que difficilement stigmatiser a posteriori un système prétendument "dictatorial", "clanique" et "corrompu". Dans ce schéma, de deux choses l’une : soit on regrette sincèrement d’avoir servi un régime qu’on sait réellement odieux, et alors on affirme publiquement qu’on s’est trompé en demandant leur indulgence aux citoyens, soit on opte sciemment pour un simple angle d’attaque électoraliste qui risque de ne pas convaincre beaucoup d’électeurs. Or aucun regret public n’a été exprimé… Mais Jean Ping n’est pas le seul à avoir longtemps incarné un grand baron du pouvoir à Libreville, puisque les deux personnalités s’étant très récemment ralliées à lui en se désistant en sa faveur, Casimir Oyé Mba et Guy Nzouba Ndama, furent respectivement Premier ministre et président de l’Assemblée nationale de longues années durant.   

En second lieu, je ne crois pas beaucoup à une authentique alternance en cas de victoire de l’opposition, même s’il faut être prudent ; parfois l’éthique de responsabilité dépasse l’éthique de conviction, pour reprendre le fameux concept wébérien. Si l’on s’en tient à la faiblesse générale des propositions mais aussi et encore au passé du leader de l’opposition, il faut pas mal d’imagination pour entrevoir un réel bouleversement… 

Président de l'Union Africaine de 2008 à 2012, Jean Ping était opposé à une intervention en Libye et a sévèrement critiqué l'action française. Dans quelle mesure son élection aurait-elle un impact sur les relations franco-gabonaises ? 

Le Gabon a toujours été l’un des enfants chéris de la France parmi ses partenaires d’Afrique subsaharienne. Sur certains dossiers de politique internationale, on a pu enregistrer des divergences mais jamais elles ne furent profondes ni pérennes. Le positionnement critique de l’actuel challenger du candidat Bongo vis-à-vis de Paris est là encore sujet à caution ; s’agit-il d’une simple posture électorale ou d’une conviction profonde ? Et l’affaire libyenne (critiquable par ailleurs), Ping ne l’avait-il pas dénoncée comme l’un des hauts responsables de l’Union africaine, ce qui aurait été tout à fait légitime ? Difficile à dire, mais la Libye est loin derrière nous, et aujourd’hui il va de soi que par rapport à un Ali Bongo très favorable au maintien de l’alliance franco-gabonaise – respectueuse au demeurant de la souveraineté du Gabon et n’excluant pas des bisbilles de temps à autres – et à l’action de la France contre les djihadistes au Sahel notamment, Jean Ping correspondrait à un saut vers l’inconnu. Or pour nombre de Gabonais, la stabilité du pays (entre autre grâce à cette alliance) représente sans cesse davantage un bien extrêmement précieux au regard des soubresauts et des violences qui secouent une partie du continent. Au nord, par exemple, le Cameroun voisin s’avère fragilisé, à la fois par les assauts des barbares islamistes de Boko Haram et par les aléas d’une succession au pouvoir qui s’approche à grands pas. La présence militaire française, même allégée ces dernières années, demeure un vrai gage de sécurité en cas de tentatives d’infiltrations. Qu’adviendrait-il de la stabilité si la situation s’aggravait et qu’un président gabonais décidait de rompre avec la France ou, à tout le moins, de casser la relation privilégiée ? Et quid des nombreux partenariats, économiques et culturels ? Et du commerce énergétique ?...   

Etat pétrolier, le Gabon souffre de la chute du cours du pétrole et ce malgré les efforts de diversification de l'économie entrepris sous Ali Bongo. A quel point la baisse du cours du pétrole a-t-elle affecté le niveau de vie de la population ? Dans quelle mesure la situation économique et sociale du pays risque-t-elle de compromettre les chances de victoire d'Ali Bongo ? 

L’économie gabonaise est mono-exportatrice, autrement  dit plus de 90% des revenus de ses échanges s’engrangent via un seul secteur d’activité. En l’occurrence, vous avez raison, il s’agit bien sûr du pétrole. En dépit des efforts dont vous mentionnez l’existence, l’or noir est demeuré absolument déterminant. Hélas pour le Gabon, il rapporte bien moins qu’autrefois. Prenez ces deux chiffres et dates emblématiques : pendant la précédente campagne électorale gabonaise de 2009, le baril était monté à 135$. Pendant celle de 2016 qui s’achève, il aura avoisiné les 40$ ! Dans ce genre de situation assez exceptionnelle, à l’instar d’autres Etats comme le Venezuela, l’Algérie ou le Nigéria, c’est bien évidemment tout le tissu social qui menace de se déchirer. Est-ce que les plus démunis sanctionneront le candidat Bongo en se focalisant sur les derniers mois (l’effondrement du baril ne date que de 2015), et choisiront son challenger (ou un autre candidat) dans l’espoir d’une meilleure redistribution des revenus pétroliers, des revenus raréfiés et qui ne réapparaitront pas par miracle au vu de la conjoncture mondiale ?

Vous savez, c’est une leçon universelle et sempiternelle, y compris bien entendu en France ; par gros temps, les conseilleurs et autres contempteurs s’en donnent à cœur joie contre le capitaine. Pas illégitimement du reste car nul ne le contraint à rester à la barre. Le tout est de savoir si le remplacer – et en l’espèce par un officier de quart ayant déjà manœuvré – garantirait une sortie de tempête sans (trop de) dommages. C’est ce à quoi les Gabonais auront librement à répondre demain…

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