Election présidentielle en Côte d’Ivoire : ne pas rejouer les luttes du passé<!-- --> | Atlantico.fr
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Côte d'ivoire élection présidentielle
Côte d'ivoire élection présidentielle
©ISSOUF SANOGO / AFP

Campagne électorale

Malgré une validation du Conseil constitutionnel du pays, les opposants contestent à Alassane Ouattara, le président sortant, le droit de se présenter une troisième fois.

Nicolas Tenzer

Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris et non-resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA). Il écrit des articles de fond sur les questions internationales et de sécurité notamment sur son blog Tenzer Strategics (107 articles parus à ce jour). Il est l’auteur de trois rapports officiels au gouvernement français, de milliers d’articles dans la presse française et internationale et de 23 ouvrages, dont le dernier Notre Guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire.

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L’élection présidentielle fin octobre en Côte d’Ivoire paraît comme hantée par un passé douloureux.

Alors que, à la suite du décès brutal et prématuré en juillet du candidat du Rassemblement des républicains (RDR) Amadou Gon Coulibaly, le président sortant Alassane Ouattara s'est considéré dans l'obligation de se représenter et de briguer un troisième mandat, estimant nécessaire d’offrir une chance à son projet politique de perdurer, les ombres du passé jaillissent à nouveau sur un pays dont la présidentielle de 2010 avait provoqué des conflits sanglants causant la mort de plus de 3000 personnes.

Malgré une validation du Conseil constitutionnel du pays, les opposants contestent à Alassane Ouattara, le président sortant, le droit de se présenter une troisième fois. Son principal concurrent, l’ancien président (1993-1999) et jadis son allié, Henri Konan Bédié, appelle à la désobéissance civile. Il paraît aussi largement animé par des frustrations anciennes, en dépit d'une large participation des membres de son parti au gouvernement Ouattara. D’autres anciens opposants, l’ancien président Laurent Gbagbo, relaxé en première instance par la Cour pénale internationale, et l’ancien Premier ministre et chef rebelle, Guillaume Soro, l’un et l’autre en exil, sont, quant à eux, interdits de concourir en raison de condamnations par contumace et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) vient de contester cette décision du Conseil constitutionnel ivoirien et de demander leur réintégration sur les listes électorales, créant à un mois du scrutin un nouvel élément d’incertitude.

Dans ce contexte explosif, des émeutes sporadiques ont éclaté faisant plus d’une dizaine de morts et le président français a fait part de son inquiétude au président ivoirien lors d’un déjeuner à Paris le 4 septembre dernier, déjeuner sur lequel de nombreuses spéculations sont apparues, notamment celle d’une demande de report de la présidentielle, afin de permettre aux personnalités ayant exercé ces fonctions par le passé, dont le président sortant, de se retirer. La France se refuse toutefois, à raison, de prendre parti dans cette élection malgré la demande des candidats d’opposition.

La jeunesse ivoirienne, au-delà de la diversité de ses opinions, en appelle à un renouvellement de la scène politique nationale, occupée par des personnalités de 86 ans (Bédié), 78 ans (Ouattara) et 75 ans (Gbagbo), dans un pays où 77% de la population a moins de 35 ans. Le renouvellement de la classe politique, des candidats à la présidentielle et des chefs de parti, est une priorité absolue si l’on entend qu’elle retrouve une légitimité. C’est également un enjeu majeur pour le président sortant, Alassane Ouattara, qui doit, s'il est réélu le 31 octobre, organiser de manière urgente sa « succession » afin de consolider les acquis de sa présidence – avant le décès subit d’Amadou Gon Coulibaly, on se souvient d’ailleurs qu’Alassane Ouattara s’était illustré par ses prises de position en faveur de l’émergence d’une « nouvelle génération ».

En effet, celui-ci n’a aucunement à rougir de ses résultats sur le plan économique et social. Depuis 2011, l’accès à l’eau de la population a bondi de 55 à 80% ; le taux d’électrification de 33 à 80% ; et les progrès sont aussi remarquables en termes de construction de routes, de scolarisation (scolarité obligatoire étendue à 16 ans au lieu de 6 ans) et d’accès à la couverture gratuite des soins. Malgré d’importantes disparités régionales et un taux de pauvreté qui reste important – ce que traduit un faible index de développement humain (IDH) ‑, le Trésor français relevait les transformations structurelles effectuées au cours de la dernière décennie, une croissance soutenue – avant la crise de la Covid-19 ‑ et une inflation faible.

Il considère que le principal défi est de faire de la Côte d’Ivoire une économie « plus inclusive ». Le FMI table même sur une croissance de 8,7% pour le pays en 2021, ce qui en ferait l’économie la plus dynamique de l’Afrique subsaharienne. Il reste certes encore d’importants défis à relever, comme le suggère la Banque mondiale, qui supposent une vision de long terme et un consensus pour conduire des réformes majeures, notamment dans le secteur agricole. Même si l’indice de perception de la corruption, mesuré par Transparency International, reste encore trop élevé, l’ONG a toutefois fait état de progrès notables depuis 2012. En matière de liberté de la presse, la Côte d’Ivoire a aussi progressé de la 96e place en 2013 à la 71e en 2019, selon Reporters sans Frontières.

Le retour à des troubles politiques graves, à une incertitude quant au gouvernement du pays et à une réapparition des rivalités passées, casserait la dynamique positive engagée mêlant recherche de réconciliation nationale et progrès économique et social. Nul ne peut – surtout pas l’auteur de ces lignes – dire aux Ivoiriens ce qu’ils doivent faire et pour qui ils doivent voter, ni comment ils doivent gérer les troubles liés à la préparation de la présidentielle du 31 octobre. Mais l’apaisement des tensions, le retour à un dialogue entre les forces politiques et la préparation sereine, de tous les côtés de l’échiquier politique, à une relève des générations sont des impératifs nationaux dans un pays qui ne manque pas de talents prometteurs.

Nicolas Tenzer, chargé d’enseignement à Sciences Po Paris, spécialiste des questions internationales, ancien président de l’Initiative pour le développement de l’expertise française à l’international et en Europe (IDEFFIE), président fondateur du Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique (CERAP) et directeur de la publication et de la rédaction de la revue Le Banquet. Il est aussi l’auteur de trois rapports officiels au gouvernement, dont deux sur la stratégie internationale, et de 22 ouvrages, notamment de La crise africaine. Quelle politique de développement pour la France ? (avec F. Magnard), Paris, PUF, 1988, Philosophie politique, Paris, PUF, 1994 (2e ed. 1998), Quand la France disparaît du monde, Paris, Grasset, 2008, Le monde à l’horizon 2030. La règle et le désordre, Perrin, 2011, La France a besoin des autres, Plon, 2012, et Resisting Despair in Confrontational Times (avec R. Jahanbegloo, Har-Anand, 2019).

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