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Election présidentielle 2017 : la politique française enfin ubérisée par le numérique
©Reuters

Présidence 2.0

Internet a joué un rôle discret mais profond dans l’élection présidentielle de 2017. La politique française a été ubérisée. L’amateurisme numérique des partis dominant traditionnels a contribué à leur élimination. A l’inverse, les candidats alternatifs et radicaux ont su exploiter l’effet de levier du web pour amplifier leurs campagnes et leurs résultats.

Arnaud Dassier

Arnaud Dassier

Arnaud Dassier est entrepreneur, actif en Ukraine depuis 2006, ancien élève du DEA d’études russes de Sciences Po, et marié à une femme d’origine ukrainienne.

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Benoît Thieulin

Benoît Thieulin

Benoît Thieulin est le fondateur de l'agence La Netscouade et président du Conseil National du Numérique.

En 2006-2007, il a participé à la campagne Internet de Ségolène Royal, notamment à travers la création du site Désirs d'Avenir.

 

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Une campagne électorale réussie sur le web, c’est avant tout la conjonction de deux éléments qui entrent en synergie : la puissance militante et la qualité des contenus. Force de projection et créativité, afin de toucher, de mobiliser et de convaincre, le plus grand nombre possible d’électeurs. Que ce soit pour construire une force militante ou gagner la bataille des idées, la capacité d’anticipation et de préparation longtemps en amont de l’élection joue un rôle clé. 

Mobilisation de la puissance militante

La puissance militante sert à amplifier la capacité à relayer les messages, sur internet mais aussi, et surtout, sur le terrain. Autant l’influence électorale du militantisme sur les réseaux sociaux reste à démontrer, autant les études menées aux Etats-Unis démontrent que les conversations entre deux personnes, les yeux dans les yeux, peuvent faire changer d’avis à un électeur dans un cas sur quatorze (alors que les conversations téléphoniques ne sont efficaces qu’une fois sur cent, et les tracts une fois sur mille !). C’est à partir de ce constat qu’ont été organisées les campagnes d’Obama, qui visaient essentiellement à recruter des sympathisants sur internet et à les mobiliser pour mener des opérations ciblées sur le terrain. 

Dans une moindre mesure, faute de moyens équivalents, cette approche a été appliquée avec succès par Hollande en 2012, de manière expérimentale, et par Emmanuel Macron, de manière plus systématique. Son mouvement, En Marche, a été lancé au printemps 2016 d’abord et avant tout sous la forme d’un site web de recrutement, et a démarré avec une vaste opération de porte-à-porte dans toute la France (la grande marche). En un an, le site web d’En marche a enregistré 230.000 soutiens qui ont généré 9 millions d’euros de dons. Cette stratégie de mobilisation s’est aussi traduite par l’appel téléphonique de 6 millions de Français via un message enregistré d’Emmanuel Macron, une semaine avant le premier tour. Emmanuel Macron, qui ne bénéficiait du soutien d’aucun parti politique installé, n’aurait probablement jamais pu gagner l’élection présidentielle sans ces soutiens, et donc sans Internet. Il a aussi eu raison de se donner un an pour construire cette plateforme de campagne, là ou des candidats traditionnels, misant seulement sur les médias, auraient quitté le gouvernement et se seraient déclaré quelques mois avant l’élection. 

De son côté Jean Luc Mélenchon s’est distingué en faisant confiance à une équipe professionnelle qui a mis en place une organisation de campagne libre et décentralisée, chacun pouvant créer un comité de soutien, sans validation préalable, et l’animer avec les outils mis à sa disposition sur Internet.

L’amateurisme numérique des partis traditionnels

A l’inverse, les partis traditionnels ont paradoxalement fait étalage de leur faiblesse militante et de leur amateurisme. Alors que Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Hollande avaient su, chacun à leur manière, innover et dominer sur le web, les Républicains et le PS sont passés à côté de l’élection de 2017, faute de préparation et d’ambition. Ils ont même été d’un conservatisme « réactionnaire » stupéfiant, le directeur de campagne de François Fillon n’hésitant pas à déclarer, sans fournir aucune preuve, que son candidat avait gagné la primaire grâce à la distribution d’un document de 4 pages à 1,5 millions de Français…

Faute de campagnes de marketing web entre 2012 et 2016, comme ils avaient su le faire entre 2005 et 2006, les Républicains ont abordé la dernière ligne droite de la campagne avec un fichier de sympathisants moins garni que celui dont ils disposaient en 2007, dix ans plus tôt. Les primaires, auxquelles ont participé 4,4 millions de Français, auraient pu être l’occasion de combler ce déficit, à l’image du PS qui avait collecté 600.000 emails lors des primaires de 2012. Las, les organisateurs ont oublié de demander aux votants de laisser volontairement leurs emails… Sans cette tragique négligence, le candidat de la droite aurait pu aborder la campagne avec plus d’un million d’emails et de numéros de téléphone (oups !). Au lieu de cela, la campagne de François Fillon a du se contenter de 300.000 emails rassemblés par ses propres soins. Un chiffre très faible pour un parti politique puissant, créé en 2002, à comparer au million de Français se déclarant spontanément « UMP / LR ». Le budget Internet de la campagne de François Fillon – moins de 400.000 euros, soit 2,5% du budget total de campagne, est le plus faible consacré au numérique par un candidat de droite depuis 2002... De même, sur Facebook, qui réunit aujourd’hui plus de 30 millions de Français, les candidats traditionnels se sont distingués par leur faiblesse, François Fillon confinant à moins de 400.000 « Likes », là ou Marine Le Pen en compte plus de 1,5 millions et Jean Luc Mélenchon plus d’un million.

A force de rater ses rendez-vous avec Internet, la droite a fini par rater son rendez-vous avec les Français, qui eux, contrairement aux responsables de LR, vivent au 21ème siècle. De son côté, le Parti Socialiste a été si inexistant sur le web qu’il n’y a rien à en dire. Alors que nous aurions pu nous attendre à une amplification de la campagne expérimentale de porte-à-porte organisée via Internet en 2012, rien n’a été fait.

Créativité des contenus

Il est toujours possible de compenser un manque de puissance par un surcroit de créativité dans la conception des contenus, ce qui assurera une diffusion spontanée sur les réseaux sociaux. Malheureusement, de ce point de vue, l’édition 2017 aura été relativement pauvre. Le succès des vidéos YouTube de Jean-Luc Mélenchon et de Ridicule TV, des montages vidéos illustrant de manière très drôle les facilités rhétoriques du candidat Macron, lancé par quelques militants fillonistes, et vus par des centaines de milliers d’électeurs, n’ont pas eu d’équivalent. A l’inverse de 2012, on a vu très peu d’infographies sur les réseaux sociaux, pour valoriser les programmes. Par contre, on a pu assister à une multiplication des « fake news » et autres contenus négatifs, pour dénoncer l’oligarchie médiatico-financière censée soutenir la candidature de Macron, le fascisme de Marine Le Pen ou de François Fillon et de leurs soutiens révisionnistes ou réactionnaires, ou le chavisme de Jean-Luc Mélenchon sur fond de catastrophe vénézuelienne. Ces contenus négatifs n’ont, semble-t-il, pas fait bouger les lignes. 

Anticipation et radicalisation 

Au final, si les campagnes web n’ont pas fait la différence, à l’exception notable d’Emmanuel Macron, avec son mouvement En Marche, largement organisé sur Internet, et de Jean-Luc Mélenchon, avec ses vidéos Youtube (25 millions de vidéos vues) et sa campagne web décentralisée, quelques candidats ont bien profité du travail idéologique effectué par leurs soutiens depuis des années. En effet, si Le Pen ou Mélenchon ont pu faire des résultats aussi importants, c’est aussi parce que leurs militants ont gagné la bataille idéologique, à laquelle ils se consacrent beaucoup d’énergie, jour après jour, depuis 10 ans. Des médias web comme fdesouche, Dreuz et Boulevard Voltaire, ou des Youtubeurs comme Osons Causer, ont fourni les idées et les sympathisants qui ont alimenté le débat politique, les électeurs et les campagnes des candidats radicaux.

Faute de faire ce travail de fond, faute d’avoir profité de leurs moyens financiers importants pour identifier et fédérer leurs soutiens depuis 2012, faute d’avoir su s’entourer d’équipes professionnelles et créatives, faute, au fond, d’avoir misé sur la puissance politique du web, les candidats du PS et de LR ont été ubérisés. Pour survivre, il va leur falloir se réinventer, et parmi la palette d’outils à leur disposition, le numérique devra figurer en haut de la liste. Sinon, tels des dinosaures analogiques, ils disparaitront de la scène.

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