Education nationale : le casse-tête du recrutement de nouveaux enseignants<!-- --> | Atlantico.fr
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Des enseignantes s'entretiennent avec leurs élèves dans leur classe le premier jour de la nouvelle année scolaire à l'école Cuvier de Toulouse, le 1er septembre 2022
Des enseignantes s'entretiennent avec leurs élèves dans leur classe le premier jour de la nouvelle année scolaire à l'école Cuvier de Toulouse, le 1er septembre 2022
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Paul Brighelli publie « L’école à deux vitesses » aux éditions de L’Archipel. Dans cet essai choc contre l'exclusion scolaire, Jean-Paul Brighelli fustige la faillite du système éducatif. Monter le niveau d'exigence, c'est élever le niveau de tout un peuple. Sans quoi nous allons droit vers une déflagration qui ne serait pas seulement scolaire. Extrait 1/2.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est délégué Education de Debout la France. Professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français, il est également l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012). 

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Nous manquons déjà d’enseignants, nous allons en manquer bien davantage. Et ça ne s’arrangera pas de sitôt, à moins de renverser la table. Malgré les mirifiques hausses de salaire promises, et la perspective d’exercer un métier de fainéant tout rempli de vacances, et en dépit de la grande mansuétude programmée des examinateurs, le ministère de l’Éducation peine cette année encore à trouver, dans maintes spécialités, plus de candidats que de postes à pourvoir. Quelle malédiction s’exerce ainsi sur le recrutement futur des maîtres ?

En fait, même si le ministère leur promettait la lune – un salaire de départ supérieur à 2 000 euros après six ans d’études, et une première nomination à côté de chez eux –, la situation n’aurait que peu de chances de s’améliorer. Il en est des enseignants comme des médecins (on sait que les déserts médicaux s’accroissent chaque année) : c’est moins un hypothétique numerus clausus qui est en cause que l’épuisement du vivier. Le problème est avant tout démographique.

Un regard sur les modifications démographiques depuis la dernière guerre permet de saisir la situation – et les réalités antérieures. Les boomers ont fourni le gros des troupes, dans l’enseignement comme dans d’autres corps, à partir des années 1970, quand ils sont arrivés en âge de travailler et d’enseigner. En ces années 2020, la plupart d’entre eux sont désormais à la retraite – même moi, qui ai cotisé quarante-neuf ans, fait cours pendant quarante-cinq ans et suis parti, contraint et forcé, à soixante-sept ans accomplis. Remplacer poste pour poste ces départs massifs est parfaitement impossible, et les revendications syndicales sur le dédoublement des classes sont une plaisanterie douloureuse : aux myriades d’enfants des années 1950-1960 ont succédé des classes creuses (1970-2000) qui, arrivées à l’âge adulte, ne fournissent pas assez de candidats pour se substituer à leurs aînés. Et ce, alors qu’un nouveau baby-boom, autour des années 2000, a notoirement augmenté le nombre d’élèves.

Ou, si vous préférez : pour dix profs qui partent, cinq tout au plus se présentent. Et il ne saurait y en avoir davantage, sauf à inciter les quinquagénaires à entrer sur le tard dans une profession peu lucrative (et à l’âge mûr on n’a pas la même perception du lucratif qu’à vingt ans, où 2 000 euros sont encore une somme), mal considérée et démesurément pénible, voire dangereuse. Qui risquerait une décapitation pour 2 000 euros par mois ? Ou même une agression d’un parent courroucé parce qu’on ne reconnaît pas le génie intrinsèque de Mon chéri-Mon cœur – ou simplement qu’on lui a confisqué son portable ?

Nous nous retrouvons donc aujourd’hui avec une masse d’élèves – ce qui génère de la part du ministère une offre assez copieuse de postes, d’autant qu’il faut mécaniquement remplacer les retraités – auxquels le faible nombre d’adultes quasi trentenaires ne peut fournir d’enseignants ni de docteurs : voir la grande misère de la médecine scolaire, sans parler des carences atroces de personnels spécialisés pour les élèves handicapés, balancés de ce fait parmi des camarades qui ne sont pas forcément sympas, face à des maîtres qui ne sont pas formés pour les suivre.

Auditionné le jeudi 26 janvier par la délégation à la prospective du Sénat, Jacques Attali, auteur d’Histoires et avenirs de l’éducation, est revenu sur deux tendances négatives pour l’éducation : une « dictature de l’ignorance », liée à une démographie croissante – trop de jeunes à la cervelle vide et aux certitudes létales –, et une « barbarie technologique », liée au temps passé sur les jeux vidéo (de moins en moins) et les réseaux sociaux (de plus en plus).

La confrontation d’enseignants mal formés, recrutés à la va-vite (le ministère est en train d’explorer la piste de la titularisation de personnels sans concours), et de jeunes crétins qui croient tout ce qu’ils trouvent sur TikTok et sont persuadés qu’« influenceur » est une situation d’avenir n’a aucune chance de bien se terminer.

C’est l’éternelle histoire du quantitatif et du qualitatif. Autrefois, la qualité du maître contrebalançait sans peine l’ignorance des masses qu’on lui confiait. Aujourd’hui, le rapport s’est tellement détérioré que les foules adolescentes ignares l’emportent aisément sur des maîtres trop peu nombreux et très mal formés. Ajoutez à cela que la loi Jospin (1989) a donné aux jeunes hilotes le pouvoir de s’exprimer à leur gré, et que certains inspecteurs s’inquiètent lorsque la salle de classe n’est pas animée d’un brouhaha permanent, signe, paraît-il, d’une effervescence intellectuelle… Et ceux qui croient qu’embaucher plus d’adultes permettra de réduire les tensions sont victimes d’une très dangereuse illusion. La seule chose qui peut contrarier les certitudes glauques des petits barbares, c’est la qualité des maîtres. Bien plus que leur nombre.

Or les consignes pédagogiques prodiguées par les IUFM/ Espe/Inspe (seule l’étiquette change, le contenu est toujours imbuvable), additionnées aux manques flagrants de maîtrise académique des néoprofs, plus le manque chronique de maîtres, incitent l’administration à recruter plus bas, toujours plus bas, ne permettant guère de se montrer optimiste.

Et, pour reprendre le diagnostic de Jacques Attali, ce déséquilibre entre la masse des jeunes et le déficit des adultes entraîne une montée de la barbarie intellectuelle. Sans encadrement sérieux, les jeunes penchent fatalement vers le côté obscur de l’ignorance, là où les certitudes les plus glauques, les fanatismes les plus dangereux s’expriment à l’air libre, puisque aucun savoir réel ne vient les contrebalancer. 

Extrait du livre de Jean-Paul Brighelli, « L’école à deux vitesses », publié aux éditions de L’Archipel

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