Education : quel est vraiment l’ampleur du déclassement des enseignants ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Manifestation appelée par des syndicats d'enseignants pour dénoncer "un désordre indescriptible" à cause des mesures du nouveau gouvernement contre Covid-19, à Strasbourg, dans le nord-est de la France, le 13 janvier 2022.
Manifestation appelée par des syndicats d'enseignants pour dénoncer "un désordre indescriptible" à cause des mesures du nouveau gouvernement contre Covid-19, à Strasbourg, dans le nord-est de la France, le 13 janvier 2022.
©PATRICK HERTZOG / AFP

Une profession dévalorisée ?

Si certains critères confirment une dégradation des conditions de vies économiques et sociales, d’autres éléments relativisent les discours les plus catastrophistes

Charles Dennery

Charles Dennery

Chercheur, Docteur en économie

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Atlantico : Quelle est la réalité du déclassement des enseignants ? Sur les salaires, vous estimez qu’on calcule souvent mal la réalité des choses, pourquoi ?

Charles Dennery : La première chose, c'est que l'estimer par rapport au SMIC n'a pas grand sens. Je dirais que l'on ne peut pas demander à augmenter le SMIC pour le rapprocher du salaire médian et se plaindre d'avoir été rattrapé. Mesuré par rapport au SMIC, tout le monde est déclassé, parce qu'il a progressé plus vite que le reste. Regardez par exemple par rapport au salaire médian, l'exemple que certains prenaient d'un professeur certifié qui commençait à 2.2 SMIC en 1980 et maintenant, c'est plutôt 1.2 SMIC. En terme de salaire médian, 2.2 SMIC ça faisait plus ou moins 100 % du salaire médian en 1980, et aujourd'hui 1.2 SMIC ça fait 75 % du salaire médian à peu près. Ça montre donc surtout que le SMIC en pourcentage du salaire médian a beaucoup progressé et montre un déclassement par rapport au salaire médian qui est de 25 %. Ce n'est pas du tout négligeable, mais ce n’est pas aussi apocalyptique que le –50 % dont certains veulent parler.

Vous analysez les raisons économiques structurelles qui peuvent expliquer le ratio entre le salaire des enseignants et le salaire médian. Quelles sont-elles ?

Tout d’abord, la « prime au diplôme » a baissé. Évidemment, en 1950 ou 1980 il y avait encore assez peu de gens qui avaient le Bac ou un diplôme du supérieur, et donc, avoir un diplôme était beaucoup plus valorisé qu'aujourd'hui. Forcément, le rendement relatif d'un diplôme va baisser en fonction du nombre de gens qui l'obtiennent, en général, sauf certaines exceptions où un diplôme gagne en valeur dans le temps. Globalement, la valeur des diplômes a baissé, et forcément ça joue sur cette idée de prime au diplôme. En général ça signifie que le salaire des diplômés progresse mais moins vite que celui des non-diplômés ; dans certains cas extrêmes il peut même baisser, ou progresser moins vite que l’inflation. Si on regarde les chiffres de l'INSEE, on observe ainsi une baisse de salaires des jeunes diplômés dans les années 90. Génériquement, une licence ou un master aujourd'hui n'a plus la même valeur que ça a pu avoir autrefois.

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Un autre cadre d’analyse, c’est la « maladie des coûts » de William Baumol. Ce qui permet les gains de pouvoir d'achat et de richesse ce sont des gains de productivité, et plus l'économie est productive, plus le pouvoir d'achat augmente et les salaires par la même occasion. Toutefois, tous les secteurs n'ont pas les mêmes gains de productivité à la même vitesse, en général, c'est dans l'industrie où l'on observe les gains de productivité les plus marqués. L'exemple classique est l'agriculture et la construction, et quelqu'un qui travaille dans ces domaines aujourd'hui est bien plus productif aujourd'hui qu'avant. Il y a des métiers dans lesquels la productivité ne suit pas à la même vitesse, et que soit les salaires dans ces métiers vont stagner, soit on observera un mécanisme de concurrence entre secteurs, ce secteur devra augmenter ses salaires et donc ses prix, et la maladie des coûts se caractérisera le fait qu'un secteur qui progresse moins vite, les prix augmenteront plus vite que dans les autres secteurs, parce qu'il faut maintenir un certain salaire pour les gens qui y travaillent. Pourquoi ce mécanisme ne joue-t-il pas pour les enseignants ? Il y a peu de substitution et de possibilités d'aller ailleurs, ils ont plus de mal à exiger une hausse de salaire pour rester. 

Vous soulignez aussi le problème de la grille des salaires et de la retraite des fonctionnaires ; le système public est il à revoir ?

Lorsqu'on parlait du déclassement de 25 % en début de carrière, il faut bien voir que le poids des dépenses publiques et de la masse salariale dans l'éducation n'a pas baissé de 25 % en 40 ans. Une des choses qui l'explique, c'est que l'espérance de vie a augmenté, et comme pour les fonctionnaires la retraite et plus généreuse que dans le privé, le fait de rajouter des années d'espérance de vie coûte plus cher à l'Etat. En plus, pour ce dernier, les pensions de retraite sont encore mieux indexées que le traitement des salaires, le coût des retraites est une dépense pré engagée, et il faut ensuite ajuster le budget, ce qui limite les possibilités de revalorisation financières.

Vous écrivez que les enseignants sont arc-boutés sur l’échelle indiciaire. Qu’entendez-vous par là ?

En général, quand ils arrivent à obtenir des revalorisations auprès du ministère, ce qui va beaucoup intéresser les syndicats, c'est de revaloriser les grilles en fin de carrière juste avant la retraite, ou d'augmenter le nombre de gens promus à la classe exceptionnelle juste avant de partir à la retraite, avec la règle du public sur les 75 % des six derniers mois, on va pouvoir augmenter significativement sa retraite. On se demande parfois si les syndicats enseignants ne sont pas parfois des syndicats de retraités enseignants que des jeunes enseignants. En même temps, on a cette idée que les enseignants qui choisissent ce métier savent qu'ils ne seront pas très bien payés, mais que c'était la promesse d'une carrière dynamique, avec une grille dynamique et une bonne pension. Les jeunes restent attachés à ce système, comme une pyramide de Ponzi, où ils ne sont pas complètement sûrs d'en bénéficier, mais que si le système était abrogé, ils n'en profiteraient pas.

Ce qui nuit aussi aux enseignants, c’est d’une certaine façon leur altruisme vis-à-vis des autres fonctionnaires. Chaque corps de fonctionnaire cherche à obtenir des primes pour sa maison, et y arrive, plus ou moins bien selon les cas. Alors que les enseignants se méfient des primes, qu’ils associent à la crainte du petit chef tyrannique (alors que le reste des fonctionnaires sait très bien que la plupart des primes sont statutaires et non discrétionnaires ou arbitraires). Ils préfèrent réclamer une hausse du point qui profiterait à tous les fonctionnaires, et ils se condamnent à l’échec en ne pensant pas assez à eux-mêmes.

Qu'en est-il de la qualité de l’environnement de travail ? Avons-nous des pistes à propos des revalorisations ?

C'est difficile de chiffrer le rôle de l’environnement de travail dans le sentiment de déclassement, mais la qualité de l’environnement est évidemment un facteur essentiel de satisfaction au travail, avec le salaire. Pour les enseignants, il y a peut-être plus de violences que par le passé (quand ils étaient jeunes enseignants ou même élèves), des parents plus désagréables, plus de contraintes extra-scolaires, peu de soutien de la hiérarchie, et la baisse de niveau. C'est une perte de statut si on a l'impression que son emploi est moins intéressant, moins prestigieux et moins intellectuel que l'on pensait qu'il serait. 

Il faudrait bien sûr régler les problèmes de violences, d'insécurité, etc. Mais c'est très incantatoire. Il y a un effort financier à faire, au moins en début de carrière. Pour dégager des marges de manœuvre financières qui permettront de vraies revalorisations, il faudra revoir l'ordre de priorité des dépenses publiques. On a un phénomène de pecking order, où les dépenses de retraite, de santé, sociales et celles des collectivités territoriales sont « pré-engagées » par rapport à celles de l'Etat (car ce sont des dépenses très peu flexibles, ou que les collectivités sont autonomes). Donc une fois que ces dépenses progressent, quand il reste des économies à faire, ce sera sur le reste du budget de l'Etat, c’est à dire beaucoup les enseignants. D'une certaine façon, il faut réussir à remettre de la priorité sur l'idée qu'il faut investir dans la jeunesse. Il faudra accepter de restreindre d'autres dépenses publiques, pour gagner en marges de manœuvre.



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