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Comment a-t-on pu oublier l'économie réelle à ce point ?
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(Dur) retour à la réalité

Il y a sur les marchés financiers 200 fois plus de transactions purement financières que d'investissements concrets et le secteur financier représente désormais 6% du PIB européen contre 4% à la création de l'euro. Un système devenu fou ?

Robin Rivaton

Robin Rivaton

Robin Rivaton est chargé de mission d'un groupe dans le domaine des infrastructures. Il a connu plusieurs expériences en conseil financier, juridique et stratégique à Paris et à Londres.

Impliqué dans vie des idées, il écrit régulièrement dans plusieurs journaux et collabore avec des organismes de recherche sur les questions économiques et politiques. Il siège au Conseil scientifique du think-tank Fondapol où il a publié différents travaux sur la compétitivité, l'industrie ou les nouvelles technologies. Il est diplômé de l’ESCP Europe et de Sciences Po.

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Atlantico : Il y a sur les marchés financiers 200 fois plus de transactions relevant de la stricte spéculation que d'investissements concrets, c'est à dire que les acteurs du marché se vendent et s'achètent en permanence beaucoup plus de produits financiers qu'ils n'injectent d'argent dans des projets créant de la richesse matérielle. La durée de détention des actifs est d'ailleurs devenu beaucoup plus courte qu'il y a 10 ans. Les investisseurs ont-ils oublié l’économie réelle ?

Robin Rivaton : Economies réelle et financière sont intimement liées. Il est difficile de délier les activités de spéculation et d’investissement. L’étape qui suit la transaction financière, c’est la réutilisation de ces fonds dans l’économie réelle. Il est délicat de scinder les deux aspects.

Par contre, nous pouvons observer un décrochage entre les deux sphères lorsque l’une des deux croît plus vite que l’autre. C’est ce qui s’est passé lors de la décennie 2000-2010. Alors qu’en 2002, le secteur financier représentait quatre fois le PIB de l’Union européenne, il est passé à six fois en 2007, au début de la crise. L’argent qui circule dans cette sphère financière ne sert pas qu’à soutenir les investissements de l’économie réelle mais aussi à nourrir des flux spéculatifs inutiles pour l’économie réelle.

Des volontés de maîtriser cet écart et de le réduire ont été annoncées par nos gouvernements dès le début de la crise, il y a deux ans. Y a-t-il eu le moindre résultat ?

Il y a une tentative de rééquilibrage depuis le G20 de Pittsburgh en 2009. Une partie de l’argent, parfaitement virtuel, a fui la sphère financière. Il y a eu une modeste évolution de la situation et pour reprendre les chiffres que je viens de citer, le volume de la sphère financière est revenu à 5,5 fois le PIB de l’Union européenne.

Beaucoup des points évoqués à Pittsburgh, qui visaient à réglementer la finance, sont restés en suspens. La séparation entre les banques de dépôt et les banques d’investissement a été remise au goût du jour la semaine dernière au Royaume-Uni par la commission Wickers sur la réforme bancaire britannique. Ces changements sont longs à mettre en place. Il y a une complète cassure de la réglementation financière qui bloque à l’échelon national. Aucun effort n’est fait au niveau multinational et les acteurs n’hésitent toujours pas à se tourner vers les Etats les plus permissifs.

Au niveau européen, il y a actuellement une négociation sur un règlement EMIR qui permettrait un contrôle et un suivi des produits dérivés. Ces fameux produits servent à la base à financer l’économie mais sont souvent détournés de manière à n’être utilisés que pour la spéculation. [NDLR : Ce règlement EMIR serait la traduction de l’engagement des Européens pris au G20 de réguler le marché des produits dérivés de gré à gré. L'enjeu est de permettre la transparence de ces marchés afin de réduire les risques qui y sont attachés puisque ces transactions se font hors du système bancaire classique. La réduction des risques se ferait en instituant des chambres de compensation qui serviraient d'intermédiaires entre acheteurs et vendeurs et en s’assurant de leur solvabilité en demandant des dépôts de garantie].

Problème, le 19 décembre, la discussion prévue à ce sujet a été complétement bloquée par le Royaume-Uni qui ne veut pas du tout en entendre parler. 

Pourquoi est-il si difficile de réformer l’équilibre économique ?

La sphère financière a pris une telle importance dans l’économie générale, en terme de croissance des Etats notamment, qu’elle est devenue essentielle. Elle a été un facteur majeur de la progression de nos pays ces dernières années. En 1950, la finance représentait environ 3% du PIB américain. Elle est montée à plus de 10% peu avant la crise et se trouve aujourd’hui aux alentours de 8%.

Lorsqu’un tel pourcentage de votre économie dépend directement de la finance, vous ne pouvez pas vous permettre de la sacrifier. C’est ce qu’on observe au Royaume-Uni. Dans le domaine des produits dérivés, chaque banque a son propre fonctionnement et refuse toute forme de régulation centrale européenne.

Si le marché devient plus transparent grâce à un rassemblement des chambres de compensation, il devient plus difficile de spéculer au détriment des acteurs les moins informés.

Du coup, il reste plus intéressant de spéculer sur les marchés financiers que d’investir dans l’économie réelle ?

C’est le mal originel des banques. Le ratio du retour sur fonds propres est devenu la règle d’or. Elles se sont rendues compte qu’il était beaucoup plus rentable de faire de l’investissement sur les marchés financiers parce qu’il est rentabilisé à court terme et plus profitable malgré un risque accru. Le prêt sur l’économie réelle est engageant à long terme et réduit de fait les disponibilités en liquidités des établissements bancaires.

C’est la réglementation qui a alimenté cette situation. Dans le domaine bancaire, Bâle II et Bâle III ont sacralisé les fonds propres des banques et les ont poussés à sortir des activités les moins rentables. Parfois, ces activités moins rentables étaient directement liées à l’économie réelle. En les incitant à les abandonner, les banques ont été amenées vers la spéculation. C’est pour cette raison que les activités spéculatives ont pris une telle place dans une banque comme la Société générale.

Comment soutenir et protéger malgré tout l’économie réelle ? Comment la stimuler ?

La sphère financière joue un rôle crucial dans l’économie. Elle dépend complètement de la capacité de certaines personnes à mobiliser de l’épargne et d’autres à pouvoir l’investir pour favoriser le développement économique. La question est de savoir qui assure ces rôles. On se rend compte aujourd’hui que les banques ont de plus en plus de mal à jouer ce rôle, notamment pour des investissements à moyen et long terme. Dans les projets d’infrastructures, les banques et l’Etat sont dans l’incapacité de prendre part au financement. La grosse question est donc de savoir qui peut le faire.

Il faut revoir les réglementations des secteurs bancaire et de assurance. La part des actions, dans le portefeuille d’actifs d’Axa est passée de 20% en 2000 à 10% en 2007. Ces acteurs qui jouent un grand rôle dans l’apport d’argent aux entreprises ne sont plus incités à le faire.

Une autre piste évoquée par Nicolas Sarkozy et ses partenaires européens est de laisser la sphère financière se développer tout en la taxant en retour. Cette taxe sur les transactions financières pourrait générer des recettes suffisamment élevées et être réinjectée dans l’économie réelle. La question de la faisabilité, avec l’opposition très forte du Royaume-Uni notamment, continue cependant de se poser.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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