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Du magot caché de Raymond Barre aux questions sur la gestion du patrimoine d’Emmanuel Macron, pourquoi personne n’a-t-il le courage de s’attaquer au monstre fiscal français ?
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évasion fiscale

Qu’il s’agisse de cas de fraude avérée, d’optimisation fiscale parfaitement légale ou de stratégies patrimoniales contraintes, les personnalités politique sont souvent confrontées au poids et à la complexité du système fiscal français dans leur vie personnelle. Pourquoi n’en tirent-ils aucune conclusion quant au big bang à mener pour revenir à un système simple où le consentement à l’impôt ne soit plus compromis par le ras-le-bol fiscal des Français ?

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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L'affaire d'évasion fiscale révélée à propos de Raymond Barre nous rappelle que les hommes politiques s'ils ont le pouvoir d'agir contre l'évasion fiscale sont pour autant tout aussi touchés par celle-ci que les autres concitoyens. 

Atlantico : Raymond Barre, Jérôme Cahuzac, et autres politiques auraient été pris la main dans le sac en pleine évasion fiscale. Dans un autre registre, pas illégal cette fois, la fortune accumulée par Emmanuel Macron lors de son passage à la Banque Rotschild n'apparaît pas dans son patrimoine lorsqu'il se présente comme homme politique. Y a-t-il une petite histoire de la dissimulation fiscale en France qui toucherait nos politiques ?

Jean-Philippe Delsol : Raymond Barre, décédé en 2007, aurait donc dissimulé pendant des années, en Suisse, une fortune s’élevant à environ 11 millions de francs suisses. Pourtant il avait en son temps dénoncé les fraudeurs.
Jérôme Cahuzac a pratiqué le même jeu de dissimulation sur des sommes plus modestes. Mais lui ne s’est pas contenté de dénoncer la fraude, il a été celui qui organisait sa traque et, pire, mis en accusation il s’est parjuré devant l’Assemblée.
Le dernier rapport annuel d’activité de 127 pages de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique  révèle pour 2018 que sur les 35 dossiers de contrôle visant les membres du Gouvernement clôturés par ses soins, 21 - pas moins ! - ont donné lieu à des redressements fiscaux, le rappel moyen s’élevant à € 10 788, soit € 11 930 pénalités incluses, ce qui est loin d’être négligeable.
Ces cas, nombreux et parmi d’autres, démontrent que les hommes politique non seulement ne sont pas plus vertueux que les autres, mais qu’ils le sont plutôt moins. Comme l’a écrit un des chroniqueurs réguliers de l’IREF, Thierry Benne, « Si les quelque 16 millions de foyers fiscaux français acquittant effectivement l’impôt sur le revenu prenaient les mêmes libertés fiscales que les ministres redressés évoqués ci-dessus, ce ne sont pas moins de 9,6 millions de redressements (= 16 000 000 x 60%) qu’il faudrait délivrer pour un montant en principal global de quelque... 104 milliards d’euros (= 9 600 000 x 10 788) en droits simples ».
Eric Verhaeghe : À l’époque où Raymond Barre est arrivé au pouvoir, les prélèvements obligatoires en France représentaient un peu moins de 35% du PIB. La France était à cette époque à parité avec l’Allemagne et avec le Royaume-Uni, mais elle présentait déjà cette étrange particularité d’avoir des taux élevés d’imposition pour des assiettes étroites d’imposition. Autrement dit, peu de gens payaient l’impôt sur le revenu, mais ceux qui le payaient étaient fortement taxés. Face à la crise des années 70, la réaction française fut différentes des stratégies allemandes et britanniques. Au num de la solidarité et de la redistribution des richesses, la France a assumé de paver un enfer fiscal, poussant désormais ses prélèvements obligatoires à 47% du PIB, quand l’Allemagne et le Royaume-Uni sont demeurés sous les 35%.
Les raisons pour lesquelles les élites françaises ont bâti un enfer fiscal sont bien connues. Elles reposent toutes sur une idéologie délétère de la protection et de la déresponsabilisation. Nos élites considèrent que la plèbe est un agrégat de grands enfants qui doivent être protégés à grands coups de minima sociaux et d’interventions publiques en tous sens. Pour mettre en oeuvre cette politique invasive où l’État et ses clones tendent à se substituer à la décision individuelle, il faut évidemment une armée de fonctionnaires ou d’assimilés fonctionnaires qui pondent jour après jour des décrets, des arrêtés, des circulaires, des demandes de pièces justificatives qui sont autant de leviers pour mettre la société française sous contrôle et même sous surveillance.
Bien entendu, cette machine à produire de la réglementation ne va pas sans son inévitable armée de contrôleurs. Entre les services fiscaux, les URSSAF, les douaniers, l’administration ne manque pas de bras, au-delà des simples forces de l’ordre et de justice, pour vérifier que les assujettis sont réellement des sujets au sens de l’Ancien Régime, c’est-à-dire des applicateurs zélés d’une réglementation incontrôlable qu’ils n’ont pas choisies et contre laquelle ils ne peuvent rien.
L’enfer fiscal n’est pas infernal seulement par les montants qu’il prélève, mais il l’est aussi par la complexité de la réglementation sur laquelle il repose, et qu’aucun citoyen n’est en mesure de connaître seul. Il l’est encore plus par les moyens intrusifs de contrôle qu’il se donne pour vérifier que cette réglementation indigeste est correctement appliquée.

Atlantico : Il y a quelques semaines déjà, le Canard Enchaîné révélait que la Haute autorité pour la transparence de la vie publique avait transmis 30 dossiers de responsables publics à la justice pour 2018 et que plus de la moitié des ministres ont eu une rectification fiscale l'an dernier. Mais la HATVP soulignait qu'à "l'exception d'un cas, tous les contribuables concernés étaient de bonne foi". Alors que les ministres sont mieux accompagnés, censés être mieux formés et ont moins intérêt à déraper que le commun des mortels, comment expliquer qu'ils soient également sujets à des écarts ?

Jacques Bichot : La première explication est la complication de la fiscalité française. J’utilise ce mot de préférence à « complexité », car la complexité peut être fort utile, voire indispensable, tandis que la complication est une complexité inutile, et même, le plus souvent, nocive. L’ordinateur sur lequel j’écris est complexe, et le réseau internet grâce auquel mon message sera délivré à Atlantico l’est encore davantage. Certes, ils comportent quelques aspects de complication (des procédures inutilement longues, chronophages et agaçantes), mais dans l’ensemble l’utilisateur de l’informatique bénéficie à la fois des avantages de la complexité technique et de la simplicité d’usage.
Il n’en va pas de même, hélas, pour la fiscalité. Le calcul et le recouvrement des impôts et taxes dus par des millions d’agents, particuliers ou entreprises et autres personnes morales, est inévitablement complexe. Mais le « travail » du contribuable pourrait être raisonnablement simple si les règles fiscales étaient moins nombreuses, s’il n’y avait pas une multiplication des cas particuliers et une valse incessante des dispositions à appliquer. Cela n’est hélas pas réservé à notre fiscalité : le rapport annuel de la Cour des comptes, rendu public il y a quelques jours, indique par exemple qu’en matière de retraites « la part des dossiers sans erreur de portée financière parmi les attributions et révisions de droits s’établit à 86,5 % contre 87,7 % en 2017 ». Autrement dit, environ un nouveau retraité sur 8 ne perçoit pas exactement ce qui lui est dû, que ce soit un peu plus ou un peu moins (en général, les erreurs ne portent pas sur des sommes très importantes). La complication de nos systèmes de retraite est la cause la plus importante de ces erreurs, comme la complication de nos impôts est la cause principale des erreurs fiscales.
Rappelons aussi que les erreurs sur la TVA sont fréquentes. Cet impôt souvent applaudi pour sa simplicité n’est pas si simple que cela : il y a des taux différents, des exonérations … et des fraudes, le « carrousel » de TVA en particulier, qui fait perdre des milliards d’euros chaque année à l’Etat français, et qui n’épargne pas ses homologues européens.
Reste que les erreurs sur les déclarations de revenus des membres du Gouvernement sont beaucoup plus fréquentes : plus de la moitié si l’on en croit les révélations du Canard enchaîné relayées par divers organes d’information. 21 dossiers de déclaration fiscale, sur 35, donnant lieu à des rectifications, cela fait beaucoup ! Et il ne s’agit pas, sauf dans un cas, de tentatives de fraude : la « bonne foi » a été reconnue dans 20 cas sur 21. Certains crieront à l’indulgence excessive au bénéfice des « puissants », mais je crois plutôt que les homme politiques se trouvent dans une situation plus délicate que le contribuable moyen, parce que la réglementation concernant leurs différentes rentrées d’argent est compliquée : certains frais sont déductibles, d’autres pas, certaines primes font partie du revenu imposable, d’autres pas, etc. Regardons notre propre situation, avec deux composantes pour la CSG, une déductible et l’autre pas : pour cette seconde partie, nous payons de l’impôt sur un revenu que nous n’avons pas reçu ! Je ne connais pas le détail des traitements, primes et remboursements de frais des membres du Gouvernement, mais j’imagine que cette incongruité fiscale à laquelle nous sommes tous soumis doit se retrouver sous d’autres formes, plus alambiquées, pour nos ministres. 

Le patrimoine d'Emmanuel Macron et notamment ses gains chez Rotschild soulèvent plusieurs questions. Ils auraient tout bonnement "disparu". Quelles questions posent cet épisode de l'ancienne vie du président ? 

Jean-Philippe Delsol : Quant à Monsieur Macron, il n’existe aucune preuve qu’il aurait fraudé. Mais c’est vrai que beaucoup de professionnels s’interrogent sur la question de savoir comment il a été rémunéré de son intervention dans l’opération de vente Pfizer à Nestlé pour près de 9 milliards d’euros. Nicolas Lecaussin le raconte très bien dans son dernier ouvrage, 2019 : Les donneurs de leçons : Pourquoi la France est en vrac !, Les Editions du Rocher.
C’est vrai qu’indépendamment de la commission représentant plusieurs millions d’euros qu’il aurait dû recevoir au titre de la réalisation de l’affaire Pfizer/ Nestlé, les revenus courants, si on peut dire, de M Macron pendant les deux bonnes années où il a travaillé chez Rothschild ont été supérieurs de l’ordre de  3 millions d’euros et lors de l’entrée en vigueur de la loi sur la transparence, il déclare à la HATVP, le 24 octobre 2014, un patrimoine net de 155 000€. Qu’a-t-il donc fait de son argent alors qu’il a toujours soutenu avoir mené une vie sobre? C’est d’autant plus troublant qu’il a dit avoir dû emprunter pour payer ses impôts  en avançant des explications dénuées de sens. En effet, il disait manquer d’argent du fait des charges sociales à payer avec son revenu fiscal de référence alors que le revenu fiscal de référence est calculé après charges sociales!

Quelles pistes pourraient permettre de simplifier l'usine-à-gaz de la fiscalité française ?

Jacques Bichot : Le diagnostic est simple dans son principe : arrêter de considérer l’impôt comme un moyen de manipuler le comportement des citoyens. A cet égard, le long et triste épisode des gilets jaunes devrait faire réfléchir nos dirigeants : les citoyens qui sont obligés de beaucoup se servir de leur voiture ont été meurtris par la suffisance hautaine du Gouvernement qui, pour diminuer les émissions de gaz carbonique, a décidé d’augmenter les taxes sur le gas-oil. Dans la présentation qui a été faite de cette mesure, il s’agissait moins de réduire le déficit public (objectif irréprochable, sauf aux yeux de quelques inconscients) qui d’inciter les ruraux à moins utiliser le seul moyen de transport pratique à la campagne. Mesure aussi bête et méchante que l’interdiction des voies sur berge à Paris, et que les projets visant à réduire très fortement la circulation sur le « périph » parisien. Nous sommes submergés par une fiscalité infantilisante qui se propose d’influencer nos comportements dans le sens qui plait à nos seigneurs de l’Elysée, de Matignon, de Bercy, du palais Bourbon et quelques autres lieux où beaucoup pensent qu’ils doivent guider les Français comme un troupeau de moutons. Il en résulte une profusion de dispositions hétéroclites, dont les grandes lignes sont arrêtés par des personnages imbibés d’idées convenues : les « yaka » et les « faukon » découlant du prêt-à-penser politiquement correct. Chaque fois qu’un problème prend une certaine importance médiatique, la plupart des hommes politiques sortent une ou deux idées, assorties d’une ou deux taxes, pour lui apporter une réponse spécifique. Cette absence de vision d’ensemble, cette soumission aux idées convenues et à l’actualité, explique le recours incessant à des modifications inutiles, modifications qui consistent pour bon nombre d’entre elles à tripatouiller un dispositif fiscal déjà rendu incompréhensible et agaçant pour les contribuables par les tripatouillages précédents, et qui deviendra encore plus onéreux à faire fonctionner, et encore plus susceptible de déboucher sur des erreurs multiples. 
Eric Verhaeghe : Assez logiquement, cet arsenal fiscal produit de la fraude et de l’évasion vers des paradis fiscaux.
De la fraude, qui n’en a pas connu la tentation ou qui n’en a pas été victime au vu de la cascade de règles qui sévissent? Elles sont si nombreuses, si complexes, si obscures, que personne ne peut jurer les respecter toutes. L’État lui-même est incapable de garantir la clarté fiscale nécessaire pour éviter la fraude. L’abondance du contentieux fiscal prouve bien que tout n’est pas clair dans les règles, souvent élaborées directement par les services de Bercy. En réalité, tout contribuable est un fraudeur potentiel dès lors que sa déclaration de revenus ne se limite pas à remplir la case « salaires » et qu’elle comporte des éléments supplémentaires dont il est difficile de comprendre les règles d’imposition.
L’évasion fiscale est le stade qui suit immédiatement la fraude délibérée ou inconsciente. Et des évasions fiscales, il en est de nombreuses sortes. On pensera ici aux libérés de la sécurité sociale, qui sont des travailleurs non salariés épuisés par une protection sociale extrêmement coûteuse et très avare de prestations. Ceux-là ont frauduleusement fait le choix de s’assurer à l’étranger pour respirer et avoir le sentiment de profiter du fruit des 70, des 80, des 90 heures hebdomadaires passées à travailler.
Là où l’Allemagne et le Royaume-Uni ont choisi de laisser respirer ceux qui avaient envie de travailler en maîtrisant leur fiscalité, la France a fait le choix inverse, et elle a produit de l’évasion, de l’instabilité juridique, du contentieux… et, in fine, une économie atone et un chômage de masse.

Les époques changent et les perceptions aussi. Qu'est-ce qui différencie une évasion fiscale comme celle de Raymond Barre et celle de Jérôme Cahuzac, par exemple, plus récente ? Dans l'attitude, les perceptions de l'opinion, et le poids de la fiscalité au moment de l'évasion ? 

Jean-Philippe Delsol : Les époques changent en effet. Beaucoup de Français avaient il y a 30 ans un compte à l’étranger sans avoir vraiment conscience que ça n’était pas très très régulier. La pénalisation en blanchiment d’argent des comptes étrangers non déclarés date « seulement » des années 1990. Ce n’est pas pour autant que la faute de ces hommes politiques est amoindrie quand ils dénonçaient eux-mêmes ce qu’ils pratiquaient. Si les Français n’était pas toujours conscients de leurs actes, eux l’étaient donc pleinement. 

N'est-il pas étonnant que ces politiques, dépositaires d'une autorité publique et parangons de vertus, agissent comme des évadés fiscaux ? En quoi le fait d'être un politique et de dissimuler une partie de sa fortune à l'impôt peut-être une circonstance aggravante, au moins d'un point de vue moral ? 

Jean-Philippe Delsol : On peut soutenir légitimement que le droit et la morale devrait respecter la liberté de chacun de placer son argent dans le pays de son choix avec la fiscalité du pays de dépôt. La concurrence fiscale qui serait ainsi attisée entre les pays permettrait peut-être que les contribuables soient mieux respectés, chaque pays cherchant à garder leurs comptes par l’attrait de la fiscalité y afférent plutôt que par la contrainte. Ce serait assez sain. Mais dès lors que l’état de droit d’un pays interdit la détention non déclarée d’un compte a l’étranger, les hommes politiques en charge de la législation doivent, plus que d’autres, y satisfaire et d’une manière génrale veiller à respecter les lois qu’ils édictent.
 La réalité est que, comme l’écrivait Lord Acton, «  Le pouvoir tend a corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument ». Ces gens là se croient tout permis. Ils perdent le sens des limites qui est pourtant le secret de la sagesse.

Quels freins empêchent les responsables politiques de réformer en profondeur ce système fiscal alors même qu’ils sont les premiers concernés par sa lourdeur et sa complexité ? 

Jacques Bichot : Il y en a certes plusieurs, mais je me concentrerai sur l’essentiel : le manque d’intelligence fiscale. J’ai eu la chance, il y a quelques décennies, de passer des heures à discuter avec un génie fiscal, Maurice Lauré, l’inventeur de la TVA. Je garde précieusement l’exemplaire dédicacé de son ouvrage majeur, Science fiscale, paru aux PUF en 1993. Ajoutons à cette somme de 400 pages la moins volumineuse Philosophie de l’impôt, de Philippe Nemo (PUF, 2017), ainsi que Les coulisses de la politique fiscale, de Michel Taly, ancien directeur du service de la législation fiscale (PUF, 2016) et nous aurons entre les mains l’essentiel de ce qu’il faut comprendre avant de se risquer à engager une réforme fiscale d’envergure – réforme dont nous avons grand besoin, mais qui ne saurait être réalisée sans avoir préalablement acquis une bonne connaissance (pas seulement technique !) de la question fiscale. Primo, le technicien estime que notre système fiscal atteint un niveau de complication et d’incohérence tel qu’il est nécessaire de « lancer une refonte globale du code général des impôts par ordonnances ». Pas un de ces rafistolage auxquels nous ont habitué nos dirigeants, mais une « refonte globale », parce que notre système fiscal a été trop longtemps maltraité pour retrouver la santé grâce à quelques granulés homéopathiques. Secundo, le philosophe nous engage à nous détourner de « l’arbitraire fiscal, largement responsable du climat de défiance, de fuite et généralement de mécontentement qui caractérise les pays comme la France. » Il propose un principe simple et fort : « le citoyen paie l’impôt pour que l’Etat lui rende certains services, et il doit donc y avoir égalité de valeur, au moins approximative, entre les impôts payés et les services rendus. » La notion de service rendu étant ici entendue en un sens large : les citoyens aisés demandent au service public de prendre en charge pour leur compte et avec leur argent une partie importante de la solidarité qu’ils entendent avoir avec leurs concitoyens dans le besoin. Tertio, l’inventeur de la TVA, constatant que « La fiscalité directe française est engagée dans la spirale sans fin des mauvais rendements et de la complexité », préconisait il y a déjà un quart de siècle « le remaniement de fond en comble des impôts sur le revenu », qui est possible, explique-t-il, puisque les Etats-Unis l’ont fait dans le courant des années 1980. Puisque, depuis cette époque, rien de vraiment réfléchi n’a été mis en œuvre dans notre pays, retroussons nos manches : comme disait à ses enfants le laboureur de Jean de La Fontaine, « travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins ».
Eric Verhaeghe : Raymond Barre a fait partie de ceux qui ont nourri l’administration française dans son inclination à multiplier les règles, à toujours augmenter les impôts, pour recruter toujours plus de fonctionnaires toujours plus avides de réglementations et de primes au rendement ou au mérite, faux nez d’une augmentation sans limite de leur rémunération sur le dos des contribuables. Année après année, goutte après goutte, le poison de prélèvement obligatoire s’est écoulé dans les veines des Français, sous le regard narquois d’une classe politique parfaitement informée des dégâts de sa politique.
Sans un compte en Suisse, sans un échappatoire fiscal, la France n’est pas viable pour ceux qui souhaitent construire un patrimoine. L’affaire Barre le rappelle. La France est un pays où l’on ne peut s’enrichir impunément, et où la richesse est mise sous une surveillance étouffante.
Le paradoxe tient évidemment au fait que cette suffocation réglementaire et fiscale est essentiellement construite par des élus qui eux-mêmes ne la supporte pas, mais qui la mette en oeuvre, à la manière de la nomenklatura soviétique. On a un peu oublié que les responsables communistes parlaient égalité, mais s’accordaient des datcha de luxe. C’était des croyants de l’égalité, mais pas des pratiquants. Depuis leur disparition, la classe politique française a pris le relais.

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