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Du Coronavirus au nucléaire, le principe de précaution à géométrie variable
©MIGUEL MEDINA / AFP

Ambiguïtés

La fermeture des frontières pour ralentir la propagation du coronavirus et mieux détecter les malades est jugée inutile par ceux qui, d'ordinaire, font du "principe de précaution" la pierre angulaire de leur combat.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Atlantico : Les écologistes demandent l'application d'un principe de précaution poussé à l’extrême sur certains sujets, comme le nucléaire (avec par exemple la fermeture de la centrale Fessenheim qu'ils considèrent comme trop vieille bien que l'ASN n'ait pas noté de risque au niveau de la sécurité). A l'inverse, sur d'autres sujets, comme le coronavirus, cette demande disparait : la fermeture des frontières pour ralentir la propagation du virus et mieux détecter les malades, par exemple, est jugée inutile par ces mêmes écologistes. Comment expliquer cette ambiguïté sur le principe de précaution ? 

Loïk Le Floch-Prigent : La question que vous me posez sur le principe de précaution, je me la pose depuis le départ de cette invention, car en temps qu’industriel issu du monde scientifique je connais essentiellement le risque créatif et la nécessité de l’apprécier. C’est dire que cette avancée que l’on pensait généreuse était ambiguë puisqu’elle pouvait signifier qu’en l’absence de certitudes absolues il fallait s’abstenir, ce qui est la négation même de la beauté, de l’attrait et des résultats de l’activité scientifique, technique et industrielle. Mais on pourrait aussi étendre cette idée au monde de l’art, les créateurs ont le goût du risque et on espère toujours en avoir beaucoup !

Mais il y a une autre ambiguïté, celle des écologistes. L’écologie est la science des écosystèmes et de leur évolution, et le mot a été confisqué par l’écologie politique qui y a vu une trajectoire de prise de pouvoir avec une utilisation de la peur comme argument majeur. L’écologie politique a donc sauté sur l’occasion de l’inscription de cette notion de précaution comme arme fatale de destruction de notre appareil scientifique et industriel, en commençant par le combat contre l’énergie nucléaire. Le résultat est consternant puisque l’on va fermer une des plus belles et les plus sures de nos centrales nucléaires pour satisfaire une doctrine et non des faits. La catastrophe qui en résulte c’est à la fois une augmentation du prix de l’électricité puisque cette centrale gagnait de l’argent et pouvait encore le faire pendant une vingtaine d’années, mais c’est aussi un mauvais coup pour la décarbonation espérée puisque l’Allemagne remplacera les importations espérées par le fonctionnement d’une centrale à gaz, tandis que nous ferons de même avec du gaz. Autrement dit l’écologie politique préfère la lutte anti-nucléaire à la lutte pour le climat et contre la pollution, elle l’avait assumée en Allemagne, mais elle continue de le nier en France malgré l’évidence.

Il est clair que l’affaire du coronavirus vient enrichir cette contradiction entre une doctrine affichée, la précaution et la réalité des postures, car désormais le dogme principal devient celui de la nécessité d’ouvrir notre pays à tous… sans précaution. Ce n’est donc pas ambigu c’est simplement mensonger, l’écologie politique utilise le concept de précaution quand cela l’arrange, elle est attachée à la doctrine et non à la protection de la population, c’est-à-dire à l’écologie elle-même. C’est désolant.

Le principe de précaution n'est pas non plus réclamé sur des sujets comme la nourriture bio (les steacks bio ont été épinglés dans un test récent de 60 millions de consommateurs) ou les éoliennes. Ne serait-il pertinent, pour les écologistes, que lorsqu'il est anti-industrie et anti-science?

Comme vous le soulignez, cela ne nous étonne pas, nous savons que le concept de nourriture bio est loin d’être parfait et recouvre des réalités nombreuses. Beaucoup d’agriculteurs préfèrent d’ailleurs les notions de « naturel » et de « qualité », considérant que l’important n’est pas le label mais la satisfaction du client, c’est ainsi d’ailleurs qu’ils estiment que des produits « bio » venus de l’étranger obéissent à des règles fort différentes des nôtres et que des produits nocifs sont souvent autorisés chez ceux qui bénéficient de l’étiquette. Dans la mesure où les associations de consommateurs s’inquiètent, on pouvait espérer que l’écologie politique s’inquiète, mais elle est trop occupée à conquérir le pouvoir municipal.

Pour moi le scandale le plus évident est de poursuivre la construction des fermes éoliennes alors que l’on sait qu’elles n’ont aucun intérêt économique et industriel, qu’elles renchérissent le coût pour le contribuable et que leur intermittence perturbe l’ensemble des réseaux électriques nationaux et européens. La démonstration en est faite en Allemagne et conduit à un ralentissement international de cet engouement pour la gratuité du vent. Mais plus grave encore pour moi, les écosystèmes marins des premiers kilomètres sur les côtes sont considérablement affectés par les ancrages de ces engins de plus en plus hauts, détruisant la faune et la flore marines de façon irrémédiable : les coraux ne sont pas seulement dans les zones exotiques, on en a aussi en Bretagne et sur les côtes françaises. Il est ahurissant de voir des supposés défenseurs de la nature, avides de mettre en avant à tout bout de champ le principe de précaution piétiner l’environnement et les associations de défense de la nature comme les rassemblements des artisans-pêcheurs en demandant que l’on arrête de regarder les recours de la population. Dans le concert actuel les fermes éoliennes en mer, ancrées dans les premiers kilomètres le long des cotes est certainement le plus grand scandale écologique de notre pays, la négation de la protection de la nature et le mépris de la population existante comme de l’avenir de nos enfants. Quand, en plus, elles sont placées sur le chemin des oiseaux migrateurs comme celles envisagée au Cap Fréhel, qu’elles vont défigurer un des plus beaux sites de la Bretagne, on passe de l’indignation à la révolte : l’écologie doit rester la défense des écosystèmes et de l’environnement, la précaution n’est pas l’absence des risques, mais leur appréciation, être écologiste ce n’est pas être anti-science et anti-industrie, pas plus qu’anti-nucléaire, ce n’est pas défendre des labels, ce n’est pas appartenir à une religion nouvelle, ce n’est pas rêver d’une dictature universelle célébrant le « bien » c’est au contraire croire en l’homme et à sa capacité à comprendre et agir.

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