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Droite techno : pourquoi le gaullisme a généré sa propre incapacité à se renouveler
©Ordifana75 / Wikipedia / CC

Figé dans le temps

Du fait de son rôle historique dans la formation du cadre de notre activité collective, la droite gouvernementale porte une responsabilité particulière dans son présent démantèlement (Deuxième partie).

Alexis Carré

Alexis Carré

Alexis Carré est doctorant en philosophie politique à l'ENS (travaillant sur le libéralisme et la question de la guerre).

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La première partie de cet article est à lire sur ce lien
L'échec de la formation majoritaire à droite lors du dernier scrutin présidentiel marque indéniablement un moment important dans l'histoire de la Cinquième République. L'éviction des Républicains, lointains héritiers de l'UNR, parti fondateur du régime, et du PS, celui de sa consolidation pacifique, ne saurait rester sans conséquences profondes. Mais plus encore, la dispersion de l'électorat, si elle se confirme lors des élections législatives de juin, pourrait nous amener vers une parlementarisation des institutions contre laquelle ce même régime avait pourtant été tout spécialement conçu. Un tel paradoxe pose question. 

Pluralisme :

Il faut ensuite se poser la question de la pertinence initiale d'une figure présidentielle monopolisant la légitimité politique au sein du gouvernement. L'impossibilité du gouvernement de coalition sous la Cinquième République (dont certains peuvent se réjouir s'ils n'ont rien de mieux à faire) manifeste surtout un problème de cohabitation des personnalités qui existe également au sein des partis politiques. Il faut d'ailleurs préciser que ce problème s'est résolu d'une manière différente à gauche et à droite. Les uns ont choisi la cohabitation des courants, ce qui est très différent d'une cohabitation des personnes, puisqu'un courant est par essence subalterne au parti et statique (son existence est établie), tandis qu'une cohabitation de personnalités vise au pouvoir en général et se cristallise dans une rivalité dynamique. Le représentant d'un courant voit son existence assuré par le fait qu'il permet au parti d'agréger un électorat spécifique, sans que le programme qui l'y autorise puisse constituer une plate-forme générale en vue des élections (les écologistes ont fait leur fond de commerce de cette nécessité qu'a le PS de voir toutes ses clientèles internes représentées). Les éléphants du PS, qui font au mieux de très bons ministres mais toujours de mauvais présidents, parce qu'il est difficile de les départager et qu'ils manquent généralement d'une dimension nationale, sont le produit typique et symptomatique de cette forme d'organisation collégiale. La candidature de Benoît Hamon, lâchée par les réformistes, incarne à cet égard le déraillement de ce système.

Le conflit interne, du côté de la droite républicaine, s'est vécu sous le paradigme de la lutte à mort. Qu'il y ait ou non en son sein une personnalité à l'amplitude suffisante pour commander au parti dans sa globalité, l'émergence d'une rivalité devait nécessairement aboutir à la victoire d'un des deux éléments au détriment de l'autre plutôt qu'à leur coopération (ce qui devrait arriver dans le cas où les deux personnalités ne peuvent accomplir seules le travail nécessaire à la victoire). L'amour excessif de l'autorité favorise si peu l'apparition des grandes personnalités au sein de cette famille politique qu'elle amène souvent ceux sur lesquels il exerce son empire à se satisfaire de peu, pourvu qu'il y ait un chef. Et un chef, nous disait Jacques Chirac, est fait pour cheffer. La volonté de se doter d'un représentant unique quel qu'il soit a en effet contribué à ce que les leaders gaullistes soient dispensés de posséder les qualités dont la mise en œuvre permet le rassemblement du parti dans des circonstances hostiles. François Fillon, abattant coup sur coup Nicolas Sarkozy et Alain Juppé a montré les limites de ce système. Au-delà de ces différences, ce qui ressort de cette comparaison c'est que le fonctionnement interne de la faction considérée est dans chacun des cas si étranger à celui des affaires politiques en général qu'il échoue à devenir une répétition de la vie politique chargée de distinguer les individus les plus aptes. 

Inexpérience des dirigeants :

Cet état d'impréparation se retrouve aussi, comme nous le disions, dans le fait que les représentants politiques ont été, ou bien recrutés au sein de l'administration, ou bien marqués à force de temps par son caractère. Mais ces qualités et ces défauts, que l'on retrouve dans toutes les bureaucraties du monde, sont dans notre pays accentuées par une série de caractéristiques malheureuses. Plus qu'ailleurs la fonction publique y existe ainsi comme une communauté d'individus, dotée de règles propres, distincte du reste de la société. Comment une institution où tous les aspects de la vie individuelle sont remis à des tiers ou à des règlements impersonnels peut-elle prétendre éduquer une élite à l'art de la décision, de l'initiative et du commandement ? Il n'est d'ailleurs pas anodin que le recrutement des cadres de l'administration se fasse très précocement et sur la base de concours. Si les compétences mesurées sont dotées d'une certaine réalité, rien n'indique qu'elles aient le moindre lien avec l'aptitude à gérer les affaires publiques, et dans tous les cas, leur prise en compte précoce produit, en ce qu'elle limite le recrutement à une catégorie d'individus sans expérience auxquels une place est ensuite garantie, un sentiment de sécurité et d'irresponsabilité dommageable à l'industrie des fonctionnaires de l’État. Ce phénomène est d'ailleurs ancien et n'a jamais eu pour seul objet de garantir la qualité du service public. La stratégie des monarques d'Ancien Régime depuis la création des intendants, et de tous les gouvernements révolutionnaires d'ailleurs, fut de privilégier la promotion de cadres nouveaux au mépris des personnalités établies de telle sorte à pouvoir bénéficier d'une communauté d'individus devant l'intégralité de leur statut et de leur avancement au seul pouvoir central. Il faut à ce titre se méfier du récit de nos divisions « gauloises », qui servit trop souvent de prétexte à cet autocratisme déguisé. Qu'on donne ensuite à ce système le nom de méritocratie n'est qu'un effet grammatical par lequel on obtient commodément l'assentiment de ceux, quels qu'ils soient, que l'on distingue. Moins que de leur mérite c'est de la docilité et du conformisme de ces technocrates dont on est ainsi assuré ; car il est mesuré au moment le moins pertinent de leur carrière et de telle sorte à  ne jamais dépendre de ce qu'ils font ou décident. Ces maux pourraient encore ne toucher que l'administration, mais en raison de notre héritage interventionniste ces mentalités et routines sont transmises aux grandes entreprises issues des privatisations et par là au reste de l'économie. Or si les sociétés qui font de la bureaucratie la destination de leurs individus les plus brillants étaient mieux gérées que les autres, alors la France n'occuperait pas en Europe la place qui est aujourd'hui la sienne. Un tel mode de sélection est, pour autant qu'on le sache, inutile ; il est même contre-productif.

Il ne s'agit pas ici particulièrement d'abonder dans une disqualification péremptoire de toute excellence bureaucratique. L'armée de la Troisième république dut en grande partie sa modernisation, après la défaite de 1870, à l'énergie et à la compétence des polytechniciens. La stabilité de la haute administration sous la Troisième République fut aussi assurée par des recrutements similaires dans les grands corps de l’État. Néanmoins il s'agissait là encore d'utiliser dans des proportions raisonnables des hommes dotés d'une expérience propre. Ils bénéficiaient en plus de leur formation, souvent scientifique, d'un mode de vie et d'une éducation bourgeoises de nature à les préserver de l'esprit d'abstraction. L'élaboration d'un circuit fermé autour de l'ENA, malgré les efforts entrepris pour la réformer, est d'une toute autre nature. Elle se fonde sur la présomption qu'il existe une voie, parallèle et supérieure à celle de l'action politique elle-même, capable de former des individus aux tâches du gouvernement. Un tel système où les grands corps se servent de l’État, au moins autant qu'ils le servent, peut fonctionner de manière tolérable tant que les ambitions des individus les composant s'inscrivent dans une logique nationale où les intérêts convergent raisonnablement. Elles tendent de plus en plus à construire un fossé entre ces derniers et la population qu'ils administrent dès lors que leur programme devient d'engager celle-ci dans un processus de mondialisation et de transfert de souveraineté où manquent les dispositifs institutionnels en mesure d'assurer cette convergence des intérêts entre le peuple et ses représentants. Que l'on soit favorable ou hostile à ce projet global ne change rien à l'inadaptation structurelle de nos élites à en prendre la direction. Le résultat du référendum de 2005 a clairement mis au jour leur réticence à répondre sérieusement à la question de savoir si le changement qu'elles proposaient s'effectuerait dans des termes avantageux pour ceux qui les avaient portées au pouvoir. L'incertitude politique dans laquelle nous vivons depuis lors illustre l'incapacité de nos institutions à engager la classe dirigeante qui en est le produit dans ce questionnement.

Technocrates et vassaux :

Le dernier problème, et certainement le plus grave pour la droite elle-même, est que ce système qui allie un réseau de loyautés personnelles à des savoirs exclusivement positifs tend à rendre ceux qu'il forme incapables de faire face à un combat de nature philosophique — c'est-à-dire concernant une question politique et morale globale plutôt qu'une question technique à propos d'un domaine d'expertise spécifique. Cette tare du gaullisme historique s'est d'abord manifestée dans l'incapacité de ses représentants à identifier les paramètres de la lutte contre les socialistes et l'ignorance consécutive de la dimension politique de questions telles que celles des programmes scolaires ou de l'organisation de l'enseignement supérieur. Il s'en est naturellement suivi l'impossibilité pour eux de formuler une réponse cohérente et globale à ce défi étant donné que tout l'édifice gaulliste reposait sur une fiction, des savoirs fragmentés, et des loyautés personnelles qui les dispensaient de rechercher à un même degré la cohérence intellectuelle de leurs adversaires. Or ni les communicants et leurs récits (narratives), ni les experts et leurs rapports, ni les barons du parti et leurs promesses, n'étaient de taille à faire face à l'offensive concertée, massive et organisée qui mit à partir des années 80 les moyens de l’État au service de corporations dont les intérêts divergeaient de ceux de la société civile.

La volonté de retrouver l'usage de ses moyens d'action est une aspiration normale, et le gaullisme fut au moins pour un temps une réponse crédible à cette aspiration. Néanmoins il est inexact de prétendre que ce dernier puisse être totalement étranger à la crise politique actuelle. Les vices contre lesquels nous nous débattons ont trouvé dans les lois qui nous furent données le 4 octobre 1958, sous l'impulsion du général de Gaulle, une aide aussi malheureuse qu'inattendue. L'illusion gaulliste trouva son origine dans la conviction qu'au contraire des idées générales, il suffisait d'une grande volonté, d'une volonté à l'échelle de la nation, pour assurer l'unité de l'ensemble des moyens et de l'ensemble des loyautés générés par l'activité sociale. La France contemporaine est le produit de ce dispositif auquel on a simplement ôté son ingrédient magique, la volonté du grand homme. Reste un appareil, parfois impotent, parfois monstrueux, obstacle continuel à l'action, et qui n'accomplit rien lui-même, tout juste occupé à sa propre préservation au détriment de la société qu'il était censé servir. Il est évident qu'un régime dans lequel seuls des programmes révolutionnaires (au sens strict) donnent crédit à la volonté de reprendre le contrôle des moyens d'action, dont l’État fait bien évidemment partie, est un régime malade. L'objet n'est toutefois pas ici d'attribuer une responsabilité lointaine à nos problèmes, car il était de notre ressort d'adapter, de contester ou de renouveler un héritage qui ne convenait plus à de nouvelles circonstances. Au lieu de cela les libéraux et conservateurs français ont préféré une vassalité de principe dans le confort de laquelle ils pouvaient prétendre accomplir leur devoir. Taisant nos désaccords nous n'avons plus eu besoin de la force et des connaissances qu'auraient exigées de nous le désir et la nécessité de les surmonter. Le défi de la droite parlementaire d'ici le 18 juin, second tour des législatives, et au-delà, sera de reconstruire une unité véritable sur les cendres de cette unité fictive qu'avait permis l'héritage ambigu du gaullisme. À défaut de quoi sa voix disparaîtra entre le parti du progrès sans limite, et celui du peuple sans élite, c'est-à-dire sans direction véritable.

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