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Droit de vote des étrangers : le gouvernement peut-il prendre le risque d'une nouvelle réforme sociétale ?
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Stratégie dangereuse

François Hollande a annoncé jeudi que le projet d'ouvrir le droit de vote pour les étrangers aux élections locales sera lancé après les municipales de 2014. Nouvelle loi sociétale et nouvelle confrontation populaire en vue ?

Guillaume  Bernard

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011).

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Atlantico : François Hollande a annoncé lors de sa conférence de presse qu'un projet de texte ouvrant le droit de vote aux étrangers, comme annoncé dans son programme, serait proposé après les municipales. Après le psychodrame de la réforme du mariage pour tous, et alors qu'il est au plus bas dans les sondages de popularité, comment le gouvernement peut-il arriver à faire accepter cette réforme ?

Guillaume Bernard : Une partie de l’opinion est, sans doute, acquise à cette idée ; mais parmi ceux qui y sont favorables, nombre des personnes ne se rendent vraisemblablement pas compte des implications symboliques quant au lien social et aux conséquences politiques ne serait-ce que pratiques. Par exemple, le fait que des étrangers (c’est déjà le cas pour des ressortissants des États membres de l’Union européenne) puissent élire des conseillers municipaux, c’est leur permettre de participer, indirectement, au pouvoir législatif puisque, en l’état actuel des choses, les élus locaux constituent la principale cohorte des grands électeurs qui désignent les Sénateurs. Cela signifie que la souveraineté législative ne serait plus exclusivement nationale. Cette intention de l’Exécutif heurte une très grande part de nos concitoyens, y compris de gauche, car elle remet en cause un principe fondamental de l’ordre "républicain" : la nécessité de la citoyenneté pour participer à l’élaboration de la volonté générale. Octroyer le droit de vote (et d’éligibilité ?) aux étrangers c’est revenir sur la distinction fondamentale depuis 1789 qui distingue, d’un côté, les droits appartenant à tout homme (les droits civils) et ceux, spécifiquement reconnus aux citoyens (les droits politiques).

D’où procède cette volonté ? Deux raisonnements peuvent conduire à une telle position. D’un côté l’idéologie du "creuset républicain" qui pose comme principe que, petit à petit, les populations étrangères se laisseront nécessairement dépouiller de leurs spécificités culturelles (ou du moins les relègueront dans la sphère privée) pour adhérer (c’est la théorie contractualiste du lien social) aux valeurs républicaines (de l’ordre public). Cette position, qui élude l’aspect démographique, repose sur l’hypothèse qu’il n’y a pas de différence entre le processus de "francisation" des provinces qui a eu lieu au cours des derniers siècles et celui qui concerne aujourd’hui les immigrés. De l’autre l’idéologie multiculturaliste. Son but n’est pas d’obtenir des étrangers qu’ils abandonnent leur identité d’origine, qu’ils s’assimilent et que, d’une certaine manière, ils se convertissent à la France, mais qu’ils puissent continuer à vivre en étrangers, selon leurs coutumes, et qu’à terme l’identité française en soit transformée. Certaines populations étrangères ou d’origine immigrée étant devenues très importantes voire prédominantes dans certains lieux, donner le droit de vote à tous les habitants d’une commune revient à se résigner à abandonner certains territoires de la République à des influences politiques culturellement exogènes. Cette position repose sur l’hypothèse que l’identité française aurait déjà évolué par le passé et ne serait pas restée, jusqu’à très récemment (grosso modo les Trente glorieuses), globalement stable.

Ce choix de proposer un texte après les municipales - un scrutin qui s'annonce difficile pour le PS - n'est-ce pas une manière de botter en touche en ne s'aliénant pas l'opinion des nombreux élus socialistes qui jouent leur place ? Que penser de cette stratégie ?

Effectivement, les élections municipales devraient être plutôt difficiles pour le PS, encore qu’il faudra faire sans doute une distinction entre, d’un côté, les grandes métropoles où la gauche pourrait tirer son épingle du jeu et, de l’autre, les villes moyennes et petites. Il est assez courant que, par un effet de balancier, lorsqu’un bord politique contrôle les manettes nationales, il perde les élections locales qu’il avait auparavant gagnées. Il est tout à fait possible que l’Exécutif repousse la mise en œuvre du droit de vote des étrangers, qui heurte les catégories populaires de gauche, pour éviter que celles-ci ne basculent (le processus ayant commencé) vers le Front national. Comme il est également possible, mais pour d’autres raisons, que d’autres franges de son électorat le sanctionne en se radicalisant (et en votant pour le Front de gauche), il veut limiter les risques d’une trop grande hémorragie.

Pourquoi selon vous François Hollande essaie-t-il coûte que coûte de faire passer des lois sociétales à la popularité discutable ? Essaie-t-il de se forger un nouvel électorat pour pallier les médiocres résultats économiques ?

Il faut croire que l’idéologie l’emporte sur le réalisme et que certaines élites se considèrent justifiées dans leur comportement par un sens inéluctable de l’histoire et du progrès… De manière plus basique, il est également possible que, tout simplement, la stratégie électorale "terra novienne" soit encore à l’œuvre. L’idée du think tank Terra Nova consiste à construire une majorité (pour la gauche modérée) par une addition de minorités (supposées "bien-pensantes") tandis que les catégories populaires, parce qu’elles désirent rester enracinées, doivent être abandonnées à leur triste sort de "réactionnaires" et, au final, à l’extinction. C’est ainsi que le discours politique doit être segmenté de manière à s’adresser à diverses "communautés" en satisfaisant certaines de leurs revendications. En offrant le droit de vote aux étrangers, l’Exécutif socialiste espère capter cet électorat. Ceci n’est cependant pas certain. Les immigrés attachés à des valeurs morales voteront-ils pour les promoteurs du mariage homosexuel (à moins qu’ils n’y trouvent un intérêt…) ? De même, les immigrés ayant constitué un patrimoine (notamment professionnel, comme dans le commerce) se prononceront-ils pour les partisans d’une forte fiscalité nécessaire au fonctionnement de l’État-providence ? Quant à l’extrême gauche, le prolétaire (qui est toujours supposé faire, un jour, la révolution) a pris la figure de l’immigré : elle souhaite donc le voir être intégré aux forces politiques légitimes.

Alors que François Hollande aura du mal à réunir la majorité nécessaire des deux-tiers des parlementaires pour modifier la constitution, le droit de vote des étrangers a-t-il une chance sérieuse d'être mis en place en France lors du quinquennat ?

Il est tout à fait possible que le pouvoir tente de rallier l’électorat d’origine étrangère mais devenu de nationalité française par un simple effet d’annonce. Mais, qui vous dit que la mesure ne sera vraiment pas mise en œuvre ? Qui vous dit que la gauche n’obtiendra pas le secours de supplétifs classés à droite ? Ce qui a contraint l’essentiel (pas tous) des élus nationaux de l’UMP à s’opposer (du moins tant qu’elle n’était pas votée et promulguée) à la loi instituant le mariage homosexuel, c’est la mobilisation populaire (qui a surpris tout le monde). Sans cela, auraient-ils pris la même position ? Il est possible d’en douter. Pour le droit de vote des étrangers, la majorité requise est plus importante, ce qui rend l’adoption de cette mesure plus aléatoire, mais cependant pas impossible (ce qui révèlerait d’ailleurs, une nouvelle fois, la profonde distorsion existant généralement entre les électeurs et leurs élus). En tout cas, il est certain qu’un tel sujet constitue un facteur fort de clivage et sera susceptible de contribuer au remodelage du système partisan.

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