Double poussée FN et UDI au Sénat : les surprenantes leçons de l’étude du détail de la carte électorale <!-- --> | Atlantico.fr
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La nouvelle composition du Sénat.
La nouvelle composition du Sénat.
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Les sénatoriales au crible

Avec 8 sénateurs supplémentaires, l’UDI enregistre une progression notable tandis que le FN fait son entrée avec deux sénateurs, David Rachline et Stéphane Ravier. Des résultats que l'UMP et les commentateurs qui auraient tendance à s'emballer un peu vite devraient analyser en profondeur.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : 8 sièges gagnés (Aveyron, Finistère, Tarn, Haute-Vienne, Ille-et Vilaine, Bas-Rhin, Français de l'étranger et Côte-d'Or) pour un perdu (Somme), ces sénatoriales sont a priori un bon cru pour l'UDI. Cependant, quand on regarde dans le détail, l'UDI a-t-elle réellement récupéré des grands électeurs au détriment de l'UMP ou davantage au détriment de la gauche ?

Christophe Bouillaud :Il me semble qu’on peut parler d’un certain rééquilibrage au profit de l’UDI ou du centre en général, par exemple dans le Finistère, ou dans l’Aveyron. Dans ce dernier département, alors qu’en 2008, il n’y avait pas de candidature centriste, en 2014, c’est un UDI (Jean-Claude Luche), président du Conseil général, qui se fait élire avec 515 voix au premier tour, et un UMP (Alain Marc), d’ailleurs membre en fait du Parti radical valoisien, avec 485 voix au second tour, prenant ainsi à eux deux les deux sièges détenus auparavant par la gauche. Ces voix supplémentaires traduisent sans doute à la fois le renouvellement municipal du printemps, mais aussi des élus "sans étiquettes", élus ou réélus, qui ne veulent plus voter pour le PS. C’est sans doute aussi le cas dans le Finistère, où les candidats UMP et UDI progressent de concert.

Concernant le FN, les résultats montrent des scores élevés dans le Sud-Est de la France et au Nord-Est. Le FN a-t-il raflé des grands électeurs uniquement dans certaines régions ou de façon relativement généralisée sur le territoire ?

Christophe Bouillaud :Pour répondre précisément à cette question, il faudrait savoir très exactement pour chaque département de combien de suffrages le FN disposait en principe. Nous n’avons pas cette information. Par contre, ce qui est frappant au vu des résultats de dimanche, c’est de constater que, si le FN n’est certes absent d’aucun département, il se trouve souvent très loin si l’on range les candidats par ordre d’arrivée. En Dordogne, avec 27 voix au premier tour, le candidat FN arrive dernier, tout comme dans les deux départements de la Corse (avec 2 et 5 voix respectivement). Dans le Cher, avec 14 voix, le candidat FN n’a que deux candidats derrière lui. Dans le Finistère, avec 31 voix, le candidat FN est avant-dernier. Dans les territoires, où il n’est pas particulièrement implanté, le FN ne semble guère drainer des voix supplémentaires par rapport à ses grands électeurs naturels. Il reste donc, au prisme des sénatoriales, un petit parti dans beaucoup de départements. Surtout, vu les scores de départ, comme il est totalement improbable d’y élire un sénateur FN, cela n’attire sans doute pas les grands électeurs.

Plus précisément, dans le Var, le FN disposait de 215 grands électeurs, mais David Rachline a pourtant recueilli 401 voix. Même chose dans les Bouches-du-Rhône, où Stéphane Ravier disposait de 210 grands électeurs et a malgré tout recueilli 431 voix ou encore dans l’Ain, où le candidat frontiste n’avait que 3 grands électeurs et a pourtant recueilli 68 voix. Quels grands électeurs les candidats du Front national ont-ils su convaincre ?

Christophe Bouillaud : Comme les grands et petits partis contrôlent bien leurs grands électeurs (en particulier ceux qu’ils nomment directement dans les grandes villes), il n’existe qu’une source possible à cette expansion électorale : les élus "sans étiquette" des petites communes. Dans les régions où le FN fait des bons scores, cet apolitisme affiché, surtout en milieu rural, cache souvent un ancrage idéologique plutôt à droite. Ce sont donc probablement des élus se sentant de droite, mais qui n’ont pas eu besoin d’une étiquette politique (UMP, UDI ou autre) pour se faire élire ou réélire, qui ont choisi de voter FN pour signifier leur radicalisation. Cela n’a bien fonctionné pour le FN que dans les départements de forte implantation électorale de ce parti, où ces élus "sans étiquette" peuvent, en plus d’exprimer leur opinion, espérer contribuer à faire élire ainsi un sénateur qui saura leur rendre ensuite des services.

Globalement, quand on raisonne sur l'ensemble du territoire, au détriment de quelle force politique le score du FN s'est-il fait ? De la droite ou de la gauche ?

Christophe Bouillaud : Au niveau des grands électeurs, la seule hypothèse qui me parait crédible, c’est le basculement de petits élus "sans étiquette", aux valeurs de droite, vers le FN. A ce niveau-là, qui n’est pas celui de l’électeur ordinaire, j’imagine en effet très mal des élus "sans étiquette", qui auraient des valeurs de gauche, exprimant un vote FN, ne serait-ce même que par protestation un peu suicidaire. Les mécontents de gauche avaient bien d’autres choix que voter FN. Je vois mal aussi des grands électeurs encartés de l’UMP ou de l’UDI se décider à voter FN pour mettre ainsi en difficulté leur propre parti, surtout que, dans les élections sénatoriales, chaque voix compte, et que le résultat peut avoir des incidences directes en termes d’accès aux ressources publiques ensuite.

Avec 8 sénateurs supplémentaires, l’UDI enregistre une forte progression tandis que le FN fait son entrée avec deux sénateurs, David Rachline et Stéphane Ravier. Même si elle reprend la présidence du Sénat à la gauche, en quoi peut-on dire que l’UMP paye dans une certaine mesure des choix récents sur lesquels ses électeurs et ses grands électeurs ne se reconnaissent plus ?

Jean Petaux : L’UMP peut apparaître en effet comme prise entre les mâchoires d’un étau. Encore que celles-ci sont de force et de puissance inégales. Côté FN ce n’est pas une mâchoire, c’est plutôt une petite mandibule, avec des dents pointus de jeunes loups… Mais on sait qu’elles peuvent piquer et agacer, même les cuirs les plus coriaces. Reste que de ce côté-là c’est davantage la symbolique qui fait de l’effet que la réalité de ces deux sièges gagnés par le parti de Marine Le Pen. Victoire qui transforme ces deux jeunes nouveaux sénateurs FN en deux petits "cumulards" n’ayant pas d’autre argument à produire pour justifier leur non-démission de leur mandat de maire que : "Messieurs les vieux cumulards démissionnez les premiers"…. Ou comment, sous les effets du "cursus honorum" politique, les élus d’un parti politique même proclamé "anti-système", font vite le choix de la "soupe" comme disait le général de Gaulle, en son temps. Que le FN continue comme ça et ses électeurs auront de plus en plus de mal à le considérer comme un parti différent…

L’autre mâchoire de l’étau qui enserre l’UMP est nettement plus dure et solide. C’est celle de l’UDI. Traditionnellement c’est un des partis pivots et charnières du Sénat, dans la tradition du Parti Radical "valoisien". Les 40 sénateurs UDI vont sans doute peser dans l’élection au "plateau" (le "perchoir" du Sénat), autrement dit la présidence (Ndlr : l'entretien a été réalisé avant l'élection de Gérard Larcher par l'UMP). Difficile de dire à qui va profiter cette poussée de l’UDI. J’aurais tendance à privilégier Gérard Larcher au détriment de Jean-Pierre Raffarin, comme en 2008. D’autant plus que Raffarin semble désormais assez favorable à Sarkozy et qu’il n’est pas impossible que ce positionnement agisse comme un répulsif pour nombre de sénateurs UDI… Mais, très souvent, si les voix du Seigneur sont impénétrables, celles des Sénateurs le sont encore plus… Au moins sont-elles parfois "fraternelles", raison pour laquelle c’est souvent là que les élections à de prestigieuses fonctions parlementaires et protocolaires se régulent…

Si le résultat des sénatoriales de dimanche met ainsi l’UMP en difficulté c’est que, en effet, celle-ci paie l’addition de ses luttes intestines, de son absence quasi-pathologique de projet politique et qu’elle porte en elle un lourd soupçon : celui de faire pire que les socialistes si elle était au pouvoir, en particulier en matière de réforme territoriale et de coupes-sombres dans les budgets publics surtout en matière de services publics en zone rurale.

Vincent Tournier : C’est effectivement le côté paradoxal de ces élections : l’UMP n’est pas dans une bonne situation, malgré ses victoires successives. Les succès sont certes réels, mais ils ont encore un côté artificiel et ne présagent nullement de l’issue de 2017. Les victoires résultent surtout du mécontentement que provoquent le président de la République et son gouvernement. Et en emportant les élections intermédiaires du printemps dernier, notamment les élections municipales, l’UMP a pu mécaniquement bénéficier d’un avantage pour affronter les élections sénatoriales puisque les élus municipaux constituent l’écrasante majorité des grands électeurs. Mais cette conjoncture favorable ne doit pas faire oublier les faiblesses. L’UMP est encore dans une phase de reconstruction en prévision des échéances de 2017. Elle n’a pas encore soldé son échec de 2012 qui a déstabilisé l’appareil. Les grandes questions n’ont toujours pas de réponse : qui va conduire l’UMP ? Sur quelle ligne politique ? Avec quels alliés ? Pour l’heure, aucun de ces points majeurs n’est tranché. Et la compétition interne est d’autant plus vive que le leader pressenti, Nicolas Sarkozy, pose un problème inédit : jamais un ancien président n’était revenu dans la compétition électorale. Cela pose à la fois un problème éthique (un élu qui a été vaincu a-t-il moralement le droit de revenir ?) et surtout un problème de légitimité. C’est la raison pour laquelle les candidatures se sont multipliées à l’UMP, et que certains comme Alain Juppé veulent impérativement préserver les primaires puisque Nicolas Sarkozy a tout intérêt à les supprimer en se présentant comme le leader naturel.

Quelle réaction devrait adopter l’UMP face au FN alors qu’une partie de ses grands électeurs ont voté pour des candidats frontistes ? Comment doit-elle réagir en tenant compte des aspirations des électeurs frontistes ?

Jean Petaux : On est au cœur du nœud gordien qui étrangle l’UMP et que Nicolas Sarkozy veut trancher du même couteau avec lequel il dit vouloir couper celui qui garrote la société française. La première réaction que devrait avoir l’UMP serait de travailler… Ce qui serait nouveau finalement depuis la défaite de Sarkozy en mai 2012. Elle aurait du travailler à faire le bilan de ses 10 années au pouvoir depuis la fin de la cohabitation, en mai 2002. Le non-retrait de Nicolas Sarkozy de la vie politique française lui a interdit ce premier impératif nécessaire à toute construction nouvelle d’un projet politique alternatif. Elle aurait du, ensuite, lancer une série de travaux thématiques destinés à se préparer à la reprise du pouvoir en 2017. Elle aurait pu, enfin, proposer aux élus locaux, proches de sa ligne politique, une écoute et une prise en compte de leur expérience. Elle n’a rien fait de tout cela jusqu’à maintenant, préférant l’étalage des ambitions et le maquillage de factures…

Pourquoi s’étonner alors que les grands électeurs se soient, dimanche, détournés de l’UMP ? Cette alerte, sans frais et gratuite, qui pourrait préfigurer le désaveu que les électeurs (non plus seulement les "grands") pourraient adresser en mars 2015 aux candidats UMP aux élections départementales et en novembre-décembre 2015 à ceux qui seront candidats aux régionales, devrait faire réfléchir les cadres de l’UMP. Je pense qu’Alain Juppé, quand il plaide pour l’organisation de "primaires citoyennes" les plus ouvertes possibles (sur le modèle de celles que le PS a organisées à l’automne 2011) pour la désignation du candidat à la présidentielle de 2017 le fait aussi dans cette perspective de redorer le blason d’une UMP bien malade. Il veut créer un véritable engouement populaire et non-partisan autour de l’UMP, par une campagne des primaires médiatisée et compétitive qui intéressera non seulement les sympathisants de l’UMP mais le corps électoral tout entier. Manière de guérir le parti d’une maladie de langueur qu’il n’est pas certain que Nicolas Sarkozy parvienne, de son côté, à traiter efficacement par sa propre pharma…copée.

Vincent Tournier :Il est clair que, pour le FN, ces résultats sont excellents car, pour la première fois, il a su progresser de façon significative auprès de ce que l’on pourrait appeler les élites intermédiaires. C’est un élément totalement nouveau. Normalement, ce type de scrutin instaure un filtre quasi-imperméable. Or, cette fois-ci, le filtre n’a pas totalement fonctionné. En même temps, il faut rester prudent sur l’interprétation : pourquoi ces petits élus ont-ils opté pour le vote FN ? Sont-ils véritablement acquis à la cause du FN ou veulent-ils simplement faire passer un message auprès des dirigeants de l’UMP ? Il reste que, pour ces petits élus, notamment dans les zones rurales ou péri-urbaines, il y a un vrai problème qui se pose aujourd’hui en France. Ce n’est pas étonnant : tout indique en effet que les grands problèmes qui empoisonnent la vie des centres urbains (communautarisme, incivilité, délinquance) ont débordé pour se diffuser dans tout le pays, au moins de façon indirecte par le biais des déménagements qui poussent une partie de la population à fuir certaines zones. Un signe inquiétant de cette évolution est sans doute l’information selon laquelle l’éducation nationale rencontre désormais de sérieuses difficultés pour trouver des enseignants en Seine-Saint-Denis. Cela dit, il faut aussi souligner que la percée électorale du FN n’est pas homogène sur l’ensemble du territoire. Elle se concentre dans le sud-est et le nord-est. Par exemple, dans le Var, le FN disposait de 215 grands électeurs mais David Rachline a recueilli 401 voix. Même chose dans les Bouches-du -Rhône, où Stéphane Ravier disposait de 210 grands électeurs et a malgré tout recueilli 431 voix, ou encore dans l’Ain, où le candidat frontiste n’avait que 3 grands électeurs mais a pourtant recueilli 68 voix.

Mais à l’inverse, le FN n’est pas parvenu à percer dans d’autres endroits, notamment là où beaucoup de sièges étaient en jeu, ce qui aurait dû l’avantager puisque le scrutin à la proportionnelle lui laissait une possibilité de l’emporter. C’est le cas du Rhône (le FN ne fait que 4,9%), de la Gironde (3,5%) ou de la Haute-Garonne (2,6%). Or, il est intéressant de remarquer que ces départements correspondent justement aux grandes zones métropolitaines tournées vers la mondialisation. Autrement dit, on peut analyser ce résultat comme une confirmation de la thèse avancée par certains spécialistes, à savoir que la mondialisation crée une nouvelle segmentation à la fois sociale et territoriale : d’un côté les catégories qui sont peu mobiles et peu diplômées, de l’autre les catégories qui ont un fort bagage culturel et qui sont bien positionnées pour affronter la globalisation. On peut penser que ce clivage crée un type particulier d’élites intermédiaires, avec notamment des élus des zones économiquement dynamiques et ouvertes. Sans être aveugles aux difficultés du pays, ces élus sont surtout en contact avec les groupes sociaux les plus ancrés dans la mondialisation économique et culturelle (cadres, ingénieurs, chercheurs) et ont donc davantage tendance à vouloir inscrire leur pays dans une logique d’internationalisation et d’européanisation. Pour les autres élus, cette réalité de la globalisation heureuse est moins perceptible et ils ont plus facilement tendance à se faire l’écho des difficultés que rencontrent leurs concitoyens.

Alors que le centre progresse lui aussi et qu’une partie des électeurs de l’UMP ont aussi voté pour les centristes aux sénatoriales, en quoi peut-on dire que la question la plus importante pour l’UMP est celle de régler la question des alliances avec l’UDI et le MoDem ? Où en est actuellement l’UMP à ce sujet ?

Jean Petaux : Je crois qu’il faut bien avoir en tête que les élus locaux (en l’espèce "grands électeurs"), surtout dans les départements ruraux ne sont pas encartés et ne sont pas clairement adhérents à l’UMP par exemple (pas plus qu’au PS d’ailleurs). En Gironde, dans une enquête que j’ai menée, sur 542 maires élus, près de 70% se déclaraient "sans étiquette" en 2008. Ce chiffre est quasiment identique après les municipales de 2014. En d’autres termes ces maires qui se disent "apolitiques" (et qui penchent plutôt vers le centre-droit) trouvent plus facilement auprès de l’UDI et du MODEM  la modération qui sied à leur refus quasi-viscéral de la partisanisation de leur action élective. Raison pour laquelle ils ne rechignent pas à voter pour des candidats à la fonction sénatoriale portant l’étiquette UDI ou MODEM, les plus proches au final de leur "apolitisme".

Pour l’UMP,  on pressent bien qu’il y a deux lignes qui se dessinent. Celle de Nicolas Sarkozy d’une part. Il se confirme qu’il revient dans le jeu (en réalité on a bien vu qu’il jouait déjà depuis le banc de touche ces deux années et demies) sur une position très droitière pour le moment, n’a sans doute pas vraiment l’intention de donner des gages à l’UDI et encore moins au MODEM (qu’il tient pour quantité négligeable). Contrairement à Alain Juppé qui a soutenu François Bayrou pour les élections municipales de Pau en mars 2014 et qui a contribué à le faire gagner, Nicolas Sarkozy n’a rien oublié du comportement du "Béarnais" qui a voté Hollande en 2012. Pour cela et d’autres gracieusetés,  lui voue une haine tenace…. Que les cadres locaux et départementaux du MODEM lui rendent bien au demeurant… Autrement dit si Nicolas Sarkozy prend les commandes du navire UMP il n’inscrira pas en tête de sa feuille de route la question des alliances avec l’UDI et le MODEM. Cela ne veut pas dire qu’il n’y viendra pas plus tard. L’homme est suffisamment bon tacticien et remarquablement avisé de l’art du jeu politique pour ne pas faire ce qu’il faut comme gestes à destination des centristes dont il aura besoin des voix. L’autre ligne, celle que suit Alain Juppé, est bien plus dans l’ordre de la tradition chiraquo-gaulliste, celle d’une association entre ce qui fut le RPR jadis et l’UDF hier. Celle d’une alliance entre une droite plutôt de nature dirigiste et souverainiste tout en étant pro-européenne et une autre droite plutôt libérale mais tout aussi pro-européenne. Etant entendu que ces deux sensibilités finalement se retrouvent dans une gestion "libéralo-régulée" de l’économie et une sauvegarde réformée du "modèle social français".

Si Alain Juppé continue à apparaître auprès des centristes comme le plus à même de défendre ce positionnement politique alors ils accentueront leur soutien au maire de Bordeaux et se détourneront de Sarkozy, à qui, le moment venu, ils manqueront. C’est bien la raison pour laquelle on peut dire qu’une des urgences pour l’UMP est de poser cette question des relations avec ses alliés. Je ne suis pas certain, encore une fois, que cette problématique-là soit celle de Nicolas Sarkozy et j’en veux pour preuve sa grande réticence à accepter pleinement et sans réserve la compétition des primaires ouvertes (évidemment aux sympathisants UDI et MODEM) dont le principe-même aurait le mérite de clarifier, mécaniquement, objectivement, le débat sur les alliances de l’UMP tout comme le PS, en son temps, acceptant la candidature Baylet aux "primaires ouvertes" de l’automne 2011 a neutralisé le PRG et évité que ne se reproduise la configuration d’avril 2002 quand Christiane Taubira se présenta au premier tour de la présidentielle avec l’étiquette PRG et ne fut pas pour rien dans la non-qualification au second tour de Lionel Jospin. Voilà aussi une leçon et un avertissement parfaitement intégrés par Alain Juppé, sans doute nettement moins porté par l’esprit de revanche et la volonté farouche de reconquête, deux sentiments (assez mauvais conseilleurs…) semblant bel et bien habiter Nicolas "Edmond Dantes" Sarkozy tout à son entreprise de (re)prise du pouvoir digne du "retour du Comte de Monte-Cristo"...

Vincent Tournier :Plus que jamais, l’UMP est tiraillée entre deux logiques : une logique centriste et une logique frontiste. Les sénatoriales confirment que, paradoxalement, ces deux logiques ont le vent en poupe, ce qui rajoute de la difficulté. Si le FN gagne du terrain auprès des élites intermédiaires, on peut effectivement remarquer que ces dernières glissent surtout vers le centre. Car l’UDI a fait un très bon résultat, bien meilleur que celui du FN puisque les centristes gagnent 8 sièges (Aveyron, Finistère, Tarn, Haute-Vienne, Ille-et Vilaine, Bas-Rhin, Français de l'étranger et Côte-d'Or) et n’en perdent qu’un seul (Somme). Par comparaison, le FN n’en gagne que deux. Cet attrait des grands électeurs pour le centre est très embarrassant pour l’UMP. Car si les grands électeurs ne font pas les élections, ils jouent un rôle très important dans la vie politique, y compris dans la tonalité générale du débat public : ce sont elles qui servent de relai entre les élites dirigeantes et la population, qui font vivre les partis et les associations. Or, ces élites intermédiaires restent très majoritairement opposées au FN et aux idées qu’il défend. Le dilemme pour l’UMP est donc là : peut-on reconquérir les électeurs du FN sans faire fuir les grands électeurs, ce qui provoquerait assurément un déluge de critiques et d’anathèmes ? Mais inversement, est-il bien raisonnable de vouloir séduire les grands électeurs, donc de tenir un discours mesuré et policé, si c’est pour perdre une partie des électeurs de base ? Il me semble que, pour la droite, toute la difficulté réside dans cette prise en compte simultanément de deux paramètres contradictoires : l’électorat et les élites intermédiaires. C’est assurément une équation difficile à résoudre.

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