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Données personnelles : Google passe à l'étape supérieure et sait désormais quand ses utilisateurs américains sont au supermarché et ce qu'ils y achètent
©Reuters

Big Brother

Alphabet a troouvé le Saint Graal en matière de publicité en ligne. Le géant de la tech est désormais capable d'évaluer l'impact des publicités en ligne en scrutant les achats faits par carte bancaire dans la vraie vie.

David Fayon

David Fayon

David Fayon est responsable de projets innovation au sein d'un grand Groupe, consultant et mentor pour des possibles licornes en fécondation, membre de plusieurs think tank comme La Fabrique du Futur, Renaissance Numérique, PlayFrance.Digital. Il est l'auteur de Géopolitique d'Internet : Qui gouverne le monde ? (Economica, 2013), Made in Silicon Valley – Du numérique en Amérique (Pearson, 2017) et co-auteur de Web 2.0 15 ans déjà et après ? (Kawa, 2020). Il a publié avec Michaël Tartar La Transformation digitale pour tous ! (Pearson, 2022) et Pro en réseaux sociaux avec Christine Balagué (Vuibert, 2022). 

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Atlantico : Alphabet (Google) a désormais les moyens de vérifier la portée et l'efficacité des publicités en ligne en scrutant les achats que peuvent faire les utilisateurs dans le monde réel aux États-Unis (transaction par carte bancaire). Est-ce là le Saint Graal de la publicité en ligne ? À quel point la firme pourrait en tirer des bénéfices ?

David Fayon : En fait, Google dispose de ces moyens depuis plusieurs mois. C’est seulement la révélation récente qui a provoqué une réaction d’internautes. Rappelons qu’il s’agit d’une expérience qui est menée aux États-Unis pour les cartes de crédit et de débit avec des partenaires.

Google utilise des algorithmes puissants faisant appel à de l’intelligence artificielle qui exploitent le big data. Des équipes de l’entreprise de Mountain View scrutent notamment les transactions bancaires faites et horodatées couplées la navigation sur le Web, l’historique des recherches et la géolocalisation (qui donnent ensuite lieu à des affichages publicitaires et des clics effectués). Elles en déduisent des corrélations entre les transactions bancaires et les publicités en ligne et les achats qui en découlent. C’est à la fois fascinant et inquiétant.

Fascinant car il s’agit d’une prouesse technique demandant des mises au point d’algorithmes sophistiqués avec des nombreux paramètres et une très grande puissance de calcul. En effet, il existe un continuum entre monde physique et monde numérique. Le prospect ou client peut se renseigner sur Internet et acheter soit sur Internet ensuite ou ultérieurement soit dans un magasin physique. De même il peut décider de se rendre en magasin pour effectuer son achat sur place ou sur Internet sachant qu’il regardera de plus en plus les bons plans, comparera les prix, vérifiera s’il existe des codes de réduction, etc. Le champ des possibles a augmenté avec Internet générant du même coup de nouveaux comportements et de nouveaux usages chez les consommateurs et sans parler des achats groupés et communautaires. Google précise toutefois que des algorithmes sont utilisés pour anonymiser les données, les internautes sont vus comme « des variables statistiques » qui les intéressent vis-à-vis de leurs propres clients.

Inquiétant car au fil des développements techniques des GAFAM (Google Apple Facebook Amazon Microsoft), l’ombre de 1984 et de Big Brother devient de plus en plus présente, du moins dans un registre pour l’heure commercial même si des acteurs étatiques peuvent être tentés de davantage suivre les individus (comme en France la loi Renseignement sous couvert de lutte contre le terrorisme ou aux États-Unis le FBI même si ce dernier est en conflit avec Apple).

Pour la publicité en ligne, il convient de rappeler que l’enjeu est d’avoir des sophistications à un existant déjà solide mais en développant l’écosystème de partenaires. Le Saint Graal de Google reste les AdWords et AdSense de Google avec le mécanisme d’enchères sur les mots clés recherchés par les internautes que ce soit sur les PC, les smartphones, les tablettes ou d’autres supports. Le rachat de DoubleClick en 2007 par Google a été fondamental dans l’optique de devenir la plus grande agence de publicité en ligne du monde comme décrit dans le livre Made in Silicon Valley.

Google – ou plutôt le groupe Alphabet – pourrait avec ces nouvelles techniques prouver que le RoI (retour sur investissement) de la publicité en ligne est bien meilleur que celui des publicités télévisées s’agissant des ventes dans les magasins physiques. Ceci aurait pour effet une accélération de la vague de réallocation des budgets publicitaires au profit d’Internet et serait une menace pour les chaînes de télévision. Car l’ubérisation de la télé si elle n’arrive pas à se réinventer a déjà commencé, que ce soit avec Google mais aussi Netflix et bon nombre d’acteurs du Web. Sachant aussi que l’internaute est plus actif et attentif devant un écran de PC ou de smartphone que devant un écran de télévision. D’ailleurs des études dans le passé avaient montré que la consommation d’eau montait lors des pages de publicités (notamment lors des événements sportifs) sur les principales chaînes télé en matière d’audience, ce qui s’interprétait par une absence des téléspectateurs derrière l’écran qui se rendaient massivement vers des locaux aisés…

Au-delà de Google, il convient de s’interroger sur les banques dans le cadre de leur transformation digitale et de l’intérêt qu’elles auraient à exploiter des données des transactions et à les céder à des partenaires en échange de la gratuité de la carte bancaire, des points de fidélité, etc. pour les clients qui seraient intéressés.

Cela ne pose-t-il pas des questions de vie privée pour les utilisateurs ?

Effectivement. La vie privée (privacy) est une question trop souvent occultée. Les majors d’Internet proposent des services gratuits ou en formule premium contre l’échange de données, notamment personnelles. C’est le cas des réseaux sociaux de type Facebook ou Twitter mais aussi Google et de son écosystème (Gmail, YouTube, Google+, etc.) qui par ailleurs encourage à s’authentifier pour tout en offrant une plus grande facilité d’utilisation de l’ensemble des services un plus grand traçage de l’internaute.

Pour autant les internautes ont par exemple la possibilité de désactiver la géolocalisation sur leur smartphone ou leur tablette. Ils peuvent également effacer l’historique de navigation, supprimer les cookies, opter pour plusieurs produits concurrents (navigateurs, moteurs de recherche, etc.).

Ensuite il convient à chacun de faire la balance entre la personnalisation et l’expérience utilisateur (par exemple dans l’affichage des bandeaux publicitaires ciblés correspondant à des envies supposées ou des besoins en anticipant ce que l’internaute a en tête, ce qui peut par ailleurs être bouleversant) et le respect à la vie privée. Chacun doit en être conscient en connaissance de cause pour définir ses propres frontières numériques.

Pensez-vous que ce type de comportement a un jour vocation à s'exporter en Europe et plus particulièrement en France ? Pensez-vous que nos dirigeants comprennent ces enjeux de vie privée ?

Il existe une différence fondamentale entre les États-Unis et l’Europe, c’est le rapport aux données. En France, la prudence est de mise, nous avons été traumatisés par le gouvernement de Vichy, le fichage et ce qui a suivi, les déportations massives et les exterminations. Ce n’est pas le cas aux États-Unis où toute donnée est vue comme une opportunité commerciale. L’argent n’est pas tabou. C’est l’opt-out qui prévaut aux États-Unis (et en France pour le seul e-mailing dans le B2B) alors que l’opt-in (accord préalable nécessaire de l’internaute pour toute publicité vue comme intrusive et considérée comme du spam) est de mise en France.

Les dirigeants ont une inégale compréhension de ces enjeux de vie privée. Et souvent, c’est plus le politique et le juridique qui sont en retard sur les usages même s’il existe des parlementaires très au fait des changements induits – mais en nombre restreint. Ce n’est plus un clivage entre la gauche et la droite (le précédent Gouvernement a voté la loi Renseignement ou lancé le controversé TES et celui d’avant Hadopi) mais un combat entre anciens et modernes qui ont compris que le monde avait changé et que le numérique était structurant en matière d’opportunités et de risques à appréhender sans pour autant céder à la panique. Du reste un livre blanc sur les données personnelles à l’heure du big data édité par les associations CREIS-Terminal et le CECIL va prochainement être lancé pour sensibiliser sur ces enjeux.

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