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Dollar contre Yuan : pourquoi l'Europe doit se méfier des balles perdues
©Reuters

Guerre des changes

La Bourse de Pékin vient d'intégrer la bourse mondiale, et devrait être le point de départ d'une mise en concurrence de plus en plus importante du dollar et du yuan. Une offensive chinoise qui portera certainement sur l'Union européenne, celle-ci devant donc se préparer au pire afin de garder son indépendance.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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La Chine est contente : la bourse de Pékin est entrée dans la bourse mondiale. Ce mercredi 21 juin en effet, après trois années de refus, 222 valeurs boursières chinoises sont entrées dans l’indice MSCI (Index) des valeurs émergentes mondiales. Certes, il faudra attendre quelques mois pour vous et moi, si nous le voulons, afin d’acheter ces Actions A cotées en Chine continentale (et non pas à Hong-Kong) et en Yuan. Elles sont en effet détenues par les particuliers chinois et ont déjà bondi de joie. Certes, ce ne sera beaucoup au début : 0,37% de l’indice en juin 2018 et 0,73% en août 2018. Mais c’est un début, sur un immense montant : car cet indice  réunit 1600 milliards de dollars. Sur ce total, 300 milliards sont dits « passifs » et décalquent la pondération de l’indice. Mathématiquement, voilà donc près de 12 milliards de dollars qui achèteront ces titres dans un an, en attendant deux mois pour avoir le double. Et les experts nous annoncent que cette entrée va susciter un véritable engouement, jusqu’à représenter à terme 30% de l’indice !  500 à 600 milliards au moins ! On aura compris le conseil boursier. Sachant que, dans la foulée, le même traitement est attendu pour les obligations chinoises (1 trilliard de dollars en jeu). Bien sûr, les experts boursiers ajoutent que ceci sera lié à un ensemble de règles comptables et financières, semblables à celles suivies par les autres valeurs cotées de par le monde, mais le processus est lancé.

La Chine est patiente : cela fait des années qu’elle frappait aussi à la porte du FMI pour que le Yuan soit admis dans le DTS (Droits de Tirage Spéciaux, SDR en anglais Special Drawings Rights). Chose faite le 1er octobre 2016, où le Yuan fait son entrée dans ce club des monnaies mondiales aux côtés du dollar (41% du DTS), de l’euro (31%), lui-même pesant 11%, soit plus que le yen et la livre (8% chaque). Là encore, on pourra dire que le montant de DTS détenu par les banques centrales est modeste (286 milliards de dollars), mais le symbole grand.

La Chine est maligne : l’Arabie Saoudite, comme on le sait, produit beaucoup de pétrole dont le prix, en baisse, l’inquiète. Elle cherche donc des clients importants et fidèles, pour acheter une part de sa production sur longue période, tandis qu’elle essaie de se reconvertir à l’après-pétrole. La Chine correspond bien à cette définition, mais elle cherche aussi à acheter du pétrole en Yuan, et non en dollar. Les Etats-Unis ont fait de leur monnaie l’unité de compte des matières premières, des bateaux, des avions… ce qui fait porter « aux autres » le risque de change. Si la Chine achète son pétrole en Yuan, ce qui implique qu’elle stabilise le Yuan par rapport au dollar, elle ouvre une brèche, qu’elle pourra évidemment étendre.

La Chine doit donc se surveiller. D’abord, il ne faut pas que le Yuan se vende, mais aussi qu’il s’achète. Il ne faut pas que les grandes entreprises chinoises se mondialisent à tout va, indépendamment de la stratégie du pays (en achetant des clubs de foot par exemple) et pire en s’endettant auprès des banques publiques. Des messages sont envoyés en ce sens auprès des groupes chinois Wanda (immobilier), Anbang (assurance), HNA (aérien), Fosun (Conseil et aujourd’hui Club Med), en liaison avec l’instance de régulation des crédits bancaires. Au cas où ils ne seraient pas clairs, on note la « démission » du milliardaire Wu Xiaohui, président de Anbang Insurance Group et son arrestation mi-juin, les médias faisant aussi état des relations qu’il tentait de nouer avec Jared Kushner, gendre du Président Trump. Le gouvernement annonce également la destitution de Yang Jiacai, vice-président de la commission de régulation bancaire nationale, pour soupçons de corruption mi-mai. 

La Chine joue très gros. Il ne s’agit pas là d’envoyer des bateaux en Mer de Chine, d’acheter des joyaux industriels en Allemagne ou en Europe, qui ne savent pas se protéger, d’acheter des avions (Airbus) et des trains (Alsthom) avec « transferts de technologie », il s’agit de menacer le monopole monétaire et financier du dollar. 

La Chine joue indirect : la réaction américaine sera peut-être brutale et violente, mais rien n’arrêtera vraiment l’avancée côté zone euro. Regardons ainsi la compréhension de la Grèce… Lundi 19 juin, Alexis Tsipras a opposé son véto au Palais des nations à Genève lors d’une réunion du Conseil des Droits de l’Homme sur une condamnation des abus du régime chinois. C’est la première fois que l’Union Européenne n’arrive pas à obtenir l’unanimité de ses 28 membres. N’oublions pas que, dans la crise de la zone euro, la Chine a fait tout son possible pour l’aider, (achats multiples, dont le port du Pirée), mais également l’Espagne et le Portugal.

La Chine joue à long terme. On connaît la stratégie OBOR (One Road One Belt), dans laquelle la Chine (en conduisant plus de 60 pays émergents) envisage de créer des liens d’échange, en partie ferroviaires et maritimes, avec l’Europe. En fait, ces liens seront juridiques, capitalistes et monétaires.

La Chine a déclaré la guerre Yuan contre Dollar, qu’elle le veuille ou non. Contester le monopole, même pour partager, c’est vouloir le détruire en tant que monopole. La guerre des monnaies est lancée, par la Chine, dans la durée et surtout sur de nombreux terrains. Les Américains pensent encore que le dollar est « notre monnaie, votre problème »,  comme le disait en 1971 John Connally, le secrétaire d’Etat au Trésor de Richard Nixon. Ils comprendront peut-être un jour la stratégie enveloppante et multifacette du Yuan et de la Chine. 

Et nous ? Les enjeux sont énormes. L’offensive chinoise, plus ou moins douce et discrète, se poursuit et s’étend. Elle atteint des terrains dont certains sont riches (Allemagne, France ?), tous naïfs et pas préparés, surtout les plus fragiles, où elle a déjà sinon des amis, du moins quelques obligés (des noms ?). Peut-être pourrait-on s’occuper des membres fragiles de la zone euro, de nos brevets, filiales implantées en Chine, entreprises stratégiques et traités commerciaux, avec les moyens qu’il faut ? En attendant, la Banque centrale européenne va commencer à détenir des Yuans comme monnaie de réserve. Elle doit avoir compris : dans la guerre mondiale des monnaies, la meilleure défense, c’est l’attaque.

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