Djihadistes, hamas, voile : la France connaît-elle plus de crispations avec l’islam radical que ses voisins ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les crispations autour du port du voile et des enjeux d'intégration n'en finissent pas d'alimenter l'actualité européenne
Les crispations autour du port du voile et des enjeux d'intégration n'en finissent pas d'alimenter l'actualité européenne
©REUTERS/Thaier Al-Sudani

Etat des lieux

Les crispations autour du port du voile et des enjeux d'intégration n'en finissent pas d'alimenter l'actualité européenne : après que le chef du protocole de Bruxelles a arraché le niqab d'une princesse qatarie en invoquant l'interdiction de son port par la loi belge, l'eurodéputée Nadine Morano a quant à elle vivement réagi à la vue d'une femme voilée à la plage.

Moustafa  Traoré

Moustafa Traoré

Moustafa Traoré est diplômé d'un doctorat en études anglophones de la Sorbonne. Il est spécialiste du système d'intégration en Grande-Bretagne et de ses limites.

 

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Un sondage comparatif entre la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France a récemment créé la polémique à cause de ses résultats concernant la France, pour le moins surprenants. Interrogés sur leur sensibilité envers les islamistes de l'Etat islamique, les sondés français étaient soi-disant 15% à exprimer une opinion positive, contre 7% des Britanniques et 2% des Allemands. Malgré l'absence d'indication sur la religion des personnes interrogées, ces résultats ont donné lieu à de nombreux raccourcis, et alimenté les débat sur les lacunes en matière d'Intégration, tout particulièrement en France.

Ce qui ne manque pas de surprendre également dans cette affaire est l'identité du commanditaire : Rossiya Segodnya, une agence de presse russe. Les médias de l'est de l'Europe n'étant pas particulièrement intéressés par les questions d'intégration en France, le doute demeure sur les motivations de ladite agence. La piste de la connivence entre groupuscules extrémistes français et russes n'est pas à exclure, et pourrait donner un sens à cette étranger commande.

Pour accéder à l’intégralité du sondage en anglais, cliquer ici

Lire également l’article d'Atlantico : Plongée dans la galaxie des pro-russes français

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Atlantico : Que peut-on dire des politiques d'intégration des minorités musulmanes en Europe ? La politique d'intégration à l'anglaise, souvent portée en exemple pour son multiculturalisme est-elle vraiment une réussite ?

Guylain Chevrier : Rappelons que lors des attentats de Londres, on s’était ému outre-Manche du fait que les terroristes n’étaient pas venus d’ailleurs mais étaient dits "bien intégrés", économiquement et au sein de leur communauté d’attache. C’est David Cameron, l’actuel Premier ministre, qui a vu dans le modèle multiculturel anglais un échec. Il était question, au départ de ce modèle multiculturel anglais, de mettre en œuvre un projet multiethnique censé pallier les répercutions de la décolonisation dans la métropole. Cette vision a donné lieu à la reproduction de divisions sur le modèle de l’ex-Empire Britannique qui n’a rien de très glorieux, avec un mélange des Anglais pur et dur qui reste marginal avec les populations immigrées. Le multiculturalisme présente bien du point de vue de la façade mais les problèmes restent entiers concernant les relations parfois difficiles qu’entretient l’islam avec les sociétés occidentales, du point de vue des valeurs et des mentalités. Il ne suffit à l’évidence pas de s’intégrer par l’entremise de communautés pour que toutes les difficultés relatives aux différences entre un pays d’origine et un pays d’accueil soient, comme par enchantement, dépassées. Ceci d’autant plus qu’en ce moment même, une polémique se développe autour de tribunaux islamiques que l’actuel gouvernement anglais aurait laissé sur son territoire proliférer.

Le phénomène du djihadisme qui se développe dans les pays européens témoigne d’une évolution d’une partie de l’islam communautaire vers un islam radical qui est sensible au projet de domination islamique qui est proposé par le modèle de l’Etat islamique. Ce qui doit rendre plus vigilant tous les pays qui ont une politique d’accueil, relativement à ce qui se relie ici et à ce que cela nourrit selon les politiques d’intégration menées. 

C’est dans cette continuité qu’il faut voir le sondage dont il est fait état. Depuis des mois, dans les milieux proches de l'EIIL, des idéologues religieux radicaux annonçaient le passage à l'étape du califat, qui combine pouvoir temporel et religieux. Le chef de l'Etat islamique proclamé le 29 juin dernier, Abou Bakr Al-Baghdadi, se revendique ainsi d’une autorité politique et religieuse sur les musulmans du monde entier. Toute personne qui ne se soumet pas à sa volonté politique est désormais considérée comme rebelle et risque la peine de mort, comme le prévoit le droit islamique. On s’imagine ce que le fait d’épouser cette vision, pour certains musulmans tentés par ce renouveau guerrier de l’islam, peut avoir comme conséquences projetée dans les pays occidentaux d’accueil au sein de communauté fermées où les choses peuvent vite dériver.

On ne peut que s’interroger dans un tel contexte sur l’efficacité de nos modèles d’intégration pour lutter contre un risque de radicalisation vu sur le long terme, alors qu’il se nourrit de conflits armés où l’islam est de plus en plus impliquée.

Du point de vue de l'intégration, du taux de chômage des populations musulmanes, ou des mariages mixtes, en quoi la France n'est-elle pas moins bonne élève que les autres en matière d'intégration ? A contrario, en quoi l'est-elle davantage ?

Moustafa Traoré : La meilleure façon d’évaluer un système visant à accueillir les nouveaux arrivants est à mon sens d’interroger les premiers concernés (à savoir ceux qui ont vocation à être intégré ou assimilé) sur leur sentiments, leurs attentes. "Sont-ils satisfaits de la façon et de la place qui leur est faite dans la nouvelle société à laquelle ils appartiennent ?" Voici une question qui pourrait leur être posée et qui permettrait au chercheur de mieux évaluer le système propre à chaque pays. On ne peut penser ou évaluer l’intégration des femmes dans une entreprise sans se référer aux sentiments de ces dernières et il en va de même lorsqu’il s’agit de l’intégration de personnes issues de l’immigration dans une société.   

Afin de mieux comprendre le système d’accueil des immigrants en France, il est très important d‘être rigoureux et d’employer des termes appropriés. Le terme général d’intégration est souvent employé lorsque qu’il s’agit de décrire ce processus qui vise à accueillir les immigrés en France. Cependant une description plus précise et plus scientifique nous invite à privilégier le terme d’assimilation à celui d’intégration. La France est avant tout un pays assimilationniste qui a tendance à demander à ses nouveaux arrivants de se débarrasser de leur valeurs, de leurs particularités culturelles ethniques afin d’adopter celles de la France et de la République. Ceci est exactement ce qui s’est passé avec les immigrés du XVIIIème, XIXème, et de la première partie du XXème siècle qui le plus souvent étaient originaires des pays de l’Europe de l’Est ou de la Méditerranée. Certes ce processus a trouvé ses limites dans la deuxième partie du XXème siècle en France avec les populations principalement venus d’Afrique, cependant, en vue de ce qui est exigé de ces mêmes populations aujourd’hui, il est possible d’affirmer qu’il s’agit toujours d’un processus d’assimilation. 

Parler encore en France de processus d’intégration là où il n’en existe pas est une faute intellectuelle qui reflète le plus souvent une malhonnêteté, voire un racisme sous-jacentCe qui est demandé aux nouveaux arrivants aujourd’hui se distingue des politiques d’intégration visant à faire en sorte que soient entièrement accepté dans une société ou une entreprise, par exemple, les femmes, les personnes présentant un handicap ou toute autre personne peu présente et peu représentée.

Le sondage russe de ces derniers jours sur l’opinion favorable en occident à un état islamique en Iraq manque de précision. Qui sont ces personnes sondées ? Le terme de Français utilisé pour désigner les 15% d’opinion favorable à un Etat Islamique en Irak ne nous permet pas de dire qu’il s’agit principalement d’une opinion des musulmans de France ; et faire un tel écart serait un raccourci et encore une fois une malhonnête scientifique. Il en va de même pour le lien entre nombre d’apprentis djihadistes impliqués dans de nombreux conflits dans le monde et le système français d‘accueil des nouveaux arrivants. Aucun chiffre précis affirmant que ces djihadistes sont majoritairement issus de l’immigration n’existe. On ne peut donc affirmer qu’il s’agit du reflet de l’échec du système d’accueil à la française.

De plus, l’Histoire nous enseigne qu’il a toujours existé en France des personnes qui pour des raisons idéologiques se sont impliquées dans des conflits dans lesquels leur pays, en l’occurrence la France, ne prenait pas part. Ce fut le cas par exemple avec la guerre d‘Espagne et plus récemment avec la communauté juive de France enrobé dans l’armée Israélienne Tsahal. Doit-on dire pour autant que ces phénomènes passés et présents sont les signes d’un échec de l’assimilation à la Française ? Voilà une question qui pourrait nous aider à mieux évaluer les résultats du processus français d’accueil des nouveaux arrivants en provenance de pays musulmans.  Si les Français intégrant l’armée israélienne sont le reflet de l’échec du système français alors et seulement dans ce cas il en va de même pour ces "apprentis djihadistes".

Guylain Chevrier : On peut avoir l’impression en regardant ailleurs, là où on donne aux communautés culturelles et religieuses un rôle premier  dans le relai qu’elles peuvent jouer dans le processus d’intégration et même par-delà concernant la régulation des tensions que cela génère avec la société, que tout va bien, que ce serait la meilleure des façons de faire… Mais c’est faux ! Madame Merkel en Allemagne ou Monsieur Cameron au Royaume-Uni, ont parlé chacun d’échec concernant le modèle multiculturel, qui pose pour principe une organisation de la société fondée sur la séparation ethnico-identitaire. C’est aussi qu’il révèle des difficultés à entretenir la cohésion sociale vitale à toute société. Un modèle qui est précisément à l’opposé de celui de la France, société par excellence du mélange à considérer les individus d’abord comme des égaux avant de les voir comme relevant d’une différence relative à une appartenance culturelle ou religieuse. Ce qui fait de notre pays, dans le prolongement de l’esprit des Droits de l’homme, l’une des toutes premières destinations d’asile au monde. 

On considère qu’en France aujourd’hui, à classe sociale équivalente, la réussite scolaire entre enfants issus de familles du cru et enfants issus de l’immigration, se situe à un niveau comparable. Il y a eu des efforts considérables de fait en matière de politique de la ville, en direction tout particulièrement des zones urbaines sensibles où l’on considère que se forment les ghettos sociaux et culturels, avec un risque de communautarisation le plus fort et donc de séparation. Une action qui va dans le sens de la lutte en faveur de l’intégration des populations immigrées ou d’origine immigrée qui s’y concentrent que l’on ne peut négliger. En même temps, on doit aussi constater que 85% des personnes considérées comme pauvres vivent ailleurs que dans les ZUS. On peut d’ailleurs s’interroger sur le bénéfice réel que cette politique volontariste et relativement ciblée comprend, en laissant ainsi les populations pauvres plus issues du cru et qui ne relèvent pas de cette analyse du ghetto, à la périphérie de l’action des pouvoirs publics. Une politique qui crée aussi des tensions au sein des populations, alors qu’il faudrait une vision d’ensemble avec une action beaucoup plus cohérente pour faire face au défi de l’intégration pour tous, où les populations immigrées auraient une place qui ne s’oppose pas aux autres, mais s’y relie. La France est le pays qui comprend le plus de couples mixtes, 27%, qui est un baromètre intéressant  relativement à son modèle d’intégration qui vise au mélange des populations et non à leur séparation.

Il ne faut pas pour autant rêver, il devient de plus en plus difficile d’intégrer des populations venues d’ailleurs dans une économie de sous-emploi chronique, et des tensions culturelles peuvent aussi être exacerbées par ce contexte économique tendu. L’ascenseur social, c’est-à-dire la mobilité sociale, fonctionne moins bien, les réseaux prévalent d’abord pour ceux qui connaissent bien leur société à y vivre depuis de nombreuses générations. Même si le racisme en France ne saurait être invoqué pour expliquer  à lui seul certaines inégalités, depuis le plan Borloo de cohésion sociale de 2005 qui a initié une politique d’égalité des chances intégrant la lutte contre le racisme à travers la création de la Haute Autorité de Lutte Contre les Discriminations(1) et la possibilité du testing, nous avons une véritable politique d’intégration qui a entendu prendre en compte cette dimension.

Il est aussi notable que les personnalités les plus aimées des Français se trouvent être issus de l’immigration comme Omar Sy, en tête de ce palmarès, que suivent Gad Elmaleh, Jamel Debbouze, Yannick Noah et Zidane. Sans vouloir trop en faire dire à ce fait, il est tout de même un témoin important des mentalités et le reflet d’une certaine idée de nos institutions quant aux rapports qu’elles organisent au sein de notre société. 

Nadine Morano avait vivement réagi face à une femme voilée qu'elle a croisé sur une plage, entraînant une vive polémique. Une crispation française que les autres pays ont du mal à comprendre. Quelle évaluation, en termes de résultat, peut-on faire de la position française sur cette question ?

Guylain Chevrier : Par-delà les termes abrupts et exaspérés de l’ancienne ministre, il est certain que sa réaction reflète une crainte qui monte aujourd’hui, relativement aux risques de radicalisation que fait courir un mouvement de développement du voile auquel nous assistons dans notre société. Il faut dire que ce signe religieux n’est pas sans signification quant à la définition du statut de la femme qui y est en général attaché, sans compter encore avec sa signification de refus du mélange au-delà de la communauté de croyance qui marque une certaine rupture avec notre société. Dans nombre de pays musulmans, les femmes ont un statut minoré lorsqu’il n’est pas tout simplement discriminatoire, ce qui n’est pas sans influence sur la façon dont une partie des musulmans de France entendent vivre leur religion. Si on se réfère au coran, Sourate 4-34 ; "les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celle-ci… " Tous les ouvrages consacrés à l’islam soulignent le statut juridique inférieur de la femme, la moindre valeur du témoignage d’une femme, de sa part d’héritage, du fait qu’un homme peut avoir plusieurs épouses alors que le divorce de la femme passe par sa répudiation du fait de son époux… Tous les musulmans ne prennent évidemment pas les choses ici à la lettre, mais le problème existe néanmoins et devrait ne pas être éludé.

Si d’autres pays expliquent ne pas comprendre ces tensions présentées comme franco-françaises, il faut se rappeler que dans la banlieue de la capitale anglaise par exemple, on assiste à des conflits intercommunautaires récurrents avec des troubles qui donnent lieu régulièrement à des violences voire des émeutes. Il y un grave écueil dans le fait d’ignorer l’importance que revêt la dimension culturelle dans l’intégration, en croyant que l’on puisse l’abandonner à des communautés qui ont tendance à la porter au-dessus de l’intérêt général au nom de la défense d’un groupe, ce qui revient à servir un intérêt particulier qui fait séparation.

Les pays d’origine des personnes qui décident aujourd’hui de porter le voile n’ont pas opéré la séparation entre le religieux et le politique comme nous l’avons réalisé, qui est au fondement de la citoyenneté républicaine et de l’égalité hommes-femmes. Il y a donc pour ces personnes un choix à faire entre ce que propose notre République, son projet qui va avec un modèle d’intégration, et l’attachement à une origine qui peut amener au rejet de la société française et de ses valeurs. Il ne faut pas sous-estimer les risques de fractures que cette situation peut potentiellement contenir. Se référer avant tout à des valeurs et des codes religieux vus comme supérieurs à la loi commune, est une forme d’enfermement qui rompt avec l’idée du bien commun et de l’intérêt général et donc, peut favoriser des divisions du corps social et politique qui peuvent conduire au radicalisme. Ceci qui est d’autant plus vrai, dans ce contexte mondial où l’islam djihadiste est de plus en plus présent, flattant l’idée d’une revanche vis-à-vis des pays d’origine de l’immigration qui ont été sous domination occidentale avant la décolonisation.

Les procès en islamophobie qui se multiplient dès que l’on aborde ces questions empêchent un véritable débat sans tabou qui est capital pour avancer ensemble vers une meilleure intégration. C’est sans doute la France qui est la mieux placée pour pouvoir mener ce débat en raison de son modèle d’intégration qui met l’individu, ses libertés et ses droits au centre de tout par-delà ses différences. Il faut d’autant plus ouvrir ce débat qu’à ne pas le faire on laisse le Front national opérer sur ces questions un véritable hold-up en se présentant en champion de la République pour proposer une préférence nationale qui en est l’antithèse.  

Moustafa Traoré : Même si je ne partage pas son point de vue, j’estime que la réaction de Nadine Morano est compréhensible dans la mesure où la France a fait le choix de l’assimilation et non de l’intégration. Cela suppose qu’il existe un model culturel et de valeur établi et rigide auquel doivent se soumettre les nouveaux arrivants tout en se débarrassant de ce qui fait leur particularité ethnique, et culturelle. Ceux qui comme moi sont plutôt en faveur d’un système d’intégration devant nous mener à une véritable société "multi-culturelle" ont, cependant à mon sens le droit de lutter pour faire valoir leurs opinions.

A quel point peut-on expliquer ces différences par des biais culturels différents, les minorités musulmanes de Grande-Bretagne n'étant pas les mêmes que celles de France, ou d'Allemagne ?

Guylain Chevrier : Il est un fait que les modèles d’intégration, selon la façon dont ils s’organisent dans chaque pays, produisent des réalités différentes, car elles poursuivent des buts différents. Il existe en France des tensions palpables autour du voile par exemple comme nous venons de le voir, mais qui peuvent être énoncées et faire l’objet d’un débat en raison des exigences de notre modèle d’intégration en matière de vivre-ensemble qui refuse les séparations. Ceci, alors que dans les pays organisés sur le modèle multiculturel, le mode communautaire fait que c’est chacun selon sa communauté, que chacun ignore l’autre, et que finalement les problèmes restes en suspend à travers cette ignorance des uns pour les autres et cette absence de mélange qui en est le reflet. Cette situation ne fait qu’illusion. C’est en réalité une véritable bombe à retardement dans le contexte que nous connaissons.

Observe-t-on également une différence d'attitude de la part du pays d'accueil envers ces minorités musulmanes ? Quels sont les différents rôles que s'attribuent les Etats envers leur intégration que l'on pourrait dégager ?

Guylain Chevrier : La Suède, le Danemark ou les Pays-Bas ont longtemps pensé avoir trouvé une formule d'intégration harmonieuse. Pourtant ces dernières années, émeutes urbaines et montée de l'extrême droite sont des réalités dans ces pays. Il y a eu l’assassinat de personnalités publiques aux Pays-Bas tel que Theo van Gogh par un islamiste radical, les menaces de mort contre la députée du parti libéral VVD d’origine somalienne, Ayaan Hirsi Ali, parce qu’elle dénonçait les risques que faisait courir l’islam traditionnaliste à la place des femmes, qui a dû entrer dans la clandestinité en 2004. Des faits qui ont troublé l’image d’un pays paisible et d’une démocratie jusque-là tenue pour exemplaire. Les Pays-Bas sont, à l’image de la France, un pays d’immigration, et ils comptent une importante "communauté musulmane". Ils découvrent les problèmes que peut poser sur le long terme une logique de séparation qui va avec un rejet des valeurs du pays d’accueil, voire un combat contre celle-ci.

Le Danemark, longtemps réputé pour son ouverture à l’immigration, a changé de cap. Il se trouve confronté depuis quelques années à la montée de l’islamisme sur son territoire. En juillet 2013, Inger Støjberg, porte-parole de l’opposition, a rédigé une tribune à ce sujet, priant les musulmans mécontents de quitter le pays.

Cette fragilisation se retrouve dans d’autres pays scandinaves comme la Suède, qui a préféré adopter l’intégration par le multiculturalisme. En mai 2013, le pays s’est ainsi retrouvé confronté à d’importantes émeutes dans des banlieues pauvres de Stockholm, et ce durant plusieurs nuits. Ces banlieues, principalement habitées par des populations immigrées sont perçues comme de véritables ghettos. Dans un pays aussi paisible que la Suède, ces nuits d’affrontements entre une certaine jeunesse des banlieues et les forces de l’ordre ont eu l’effet d’un électrochoc pour la population.

En Norvège ou au Danemark, le sentiment national est très développé et semble remis en cause par une partie de l’immigration qui apparait de plus en plus réfractaire à adopter les valeurs du pays d’accueil. Les populations scandinaves semblent de plus en plus réfractaires elles, du coup, à accueillir davantage d’immigrés sur leur sol. Une situation qui aussi favorise la montée de l’extrême-droite.

L'Allemagne est partagée entre l'acceptation des signes religieux extérieurs sans restriction et un refus assez radical du mélange. L’Allemagne voit d’abord l’immigration comme un facteur démographique, dans un contexte où sa population diminue avec un taux de natalité de 1,4 point par femme, bien en dessous des 2, 02 qui constituent le seuil de renouvellement des générations. C’est aussi une immigration de travail. A ne voir que le côté utilitaire de l’immigration on en néglige la dimension citoyenne qui implique le partage de valeurs communes, l’idée d’appartenir au même peuple. A ce compte là, on peut croire pouvoir laisser venir des centaines de milliers d’étrangers et les laisser s’organiser à leur guise sur le mode de la séparation communautaire selon leurs religions, origines, cultures diverses sans dommage, ce qui est totalement erroné. C’est ainsi que ce pays en est arrivé à cette situation, très bien décrite par un journaliste d’un grand quotidien allemand qui expliquait dans une émission d’Arte, qu’il était très bien que les femmes turques affirment leur religion, leur différence, leur culture à travers le voile, parce qu’elles ne pourront jamais être considérées comme des femmes allemandes. Si le poids des nécessités démographiques implique une immigration forte en Allemagne, particulièrement d’origine turque, là aussi ne devrait pas être oubliés les enjeux d’une citoyenneté qui, à ne pas être acquise dans les mentalités, peut revenir comme un boomerang politique et causer de graves problèmes entre radicalisme religieux et montée irrésistible de l’extrême droite. 

La Grande-Bretagne, qui s'est retrouvée également à devoir accueillir de nombreuses nationalités et cultures différentes a connu aussi de graves problèmes, des émeutes de 2011 au meurtre d'un soldat britannique en 2013. Ce qui ne marche pas, c’est qu’à un moment donné, les intérêts entre les communautés et le pays qui les accueille risquent de diverger, comme c’est le cas par exemple avec la communauté musulmane en Grande-Bretagne, alors que ce pays a été engagé aux côtés des Etats-Unis dans la guerre du Golfe par exemple, et plusieurs conflits opposant islam politique voire terroriste et Occident.

Une addition de différences ne fait pas un pays. La Grande-Bretagne l’a d’ailleurs appris à ses dépends en ayant été frappée par des attentats commis par des terroristes soi-disant bien intégrés, comme nous l’avons évoqué déjà plus haut. Il en va d’un apprentissage de la citoyenneté qui est la voie essentielle de l’intégration qui amène au partage des mêmes valeurs et des mêmes préoccupations politiques, faisant écho à l’intérêt général et à la cohésion sociale.

On voit actuellement aussi aux Etats-Unis, en ce moment même, alors que des émeutes ont été déclenchées après qu’un jeune noir ait été abattu par un policier blanc, ce que la séparation sur un mode racial et identitaire comprend de dangers, aiguisant le racisme institutionnalisé et la violence qui l’accompagne. 

L'an dernier, des tensions importantes avaient éclaté dans les banlieues de Stockholm. En Norvège, ces crispation autour des minorités avaient même donné suite à la tuerie d'Utoya. Existe-t-il vraiment un pays comparable au notre qui se distingue par l'intégration de ses minorités ? Pourquoi ?

Guylain Chevrier : Notre modèle d’intégration, si décrié par certains qui voudraient le voir mis à mort pour faire place nette au multiculturalisme, est sans doute encore la meilleure sauvegarde de notre vivre ensemble à l’aune de la mixité sociale, quelles que soient les différences qui se mêlent. C’est l’intégration au milieu des autres qui doit continuer à être favorisée.

Notre conception de l’intégration est étroitement liée à la République laïque qui est la nôtre. Elle exige d’abord que tous commencent par se penser ensemble avant de se penser autres, tout en garantissant à chaque individu qu’aucune communauté ne se mette entre lui et ses droits et libertés. Si ce modèle d’intégration peut être une belle parade aux risques de division qui peuvent provenir de l’importation en France des conflits religieux se déroulant ailleurs, il faut pour autant ne pas sous-estimer les efforts à faire pour qu’il soit respecté.

Le modèle républicain est un formidable moteur à intégrer. Ce fameux creuset français a permis à des générations d’immigrés de trouver toute leur place dans notre société, mais pas à n’importe quelles conditions. L’adhésion aux valeurs républicaines fonde dans le Code civil la possibilité de la naturalisation. Il en va du fait que l’égalité de traitement de chacun devant la loi reste supérieure aux particularismes de toutes sortes, qui, dans la sphère privée ne connaissent pas d’entrave à partir du moment où ils respectent la dignité de l’être humain et se droits fondamentaux.

Face au danger du radicalisme et à ses tentations actuelles, le sentiment d’appartenir à une communauté nationale, à un ensemble supérieur portant l’intérêt général au-dessus des particularismes, est un enjeu essentiel du vivre ensemble et plus, un élément déterminant pour la paix sociale. C’est ce sentiment d’appartenance qui doit être au cœur de la préoccupation qui vise à définir quel modèle d’intégration nous voulons pour quel projet de société.

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