Dissolution : ce qui pourrait vraiment changer en France avec une nouvelle majorité, ce qui ne changerait vraisemblablement pas<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Assemblée nationale à Paris, le 10 juin 2024
L'Assemblée nationale à Paris, le 10 juin 2024
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Législatives

Le président de la République a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale après sa défaite aux élections européennes. De nouvelles élections législatives se tiendront le 30 juin et le 7 juillet 2024.

Jean-Eric Schoettl

Jean-Eric Schoettl

Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel entre 1997 et 2007. Il a publié La Démocratie au péril des prétoires aux éditions Gallimard, en 2022.

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Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : Suite aux prochaines élections législatives qui se tiendront le 30 juin et le 7 juillet 2024, quels sont les scénarios les plus plausibles concernant la recomposition prochaine de l’Assemblée nationale ? Le Rassemblement national peut-il obtenir une majorité relative, ou absolue ?

Jean-Eric Schoettl : La décision de dissoudre de façon aussi précipitée, à un moment si inopportun (la nouvelle Assemblée se réunira en pleins Jeux olympiques), emporte des conséquences déstabilisantes pour le pays dans la plupart des scénarios imaginables. 

Une majorité RN - ou une majorité formée des droites coalisées - conduirait soit à la démission du Chef de l’Etat (suivie d’élections présidentielles), soit à une cohabitation épuisante pour le nouveau gouvernement certes, mais aussi pour le Président et surtout pour le pays. 

La reproduction de la situation actuelle (avec une majorité présidentielle encore plus chichement relative et des oppositions encore plus hostiles) approfondirait le marasme actuel. 

Le paysage politique est devenu si éclaté que même la fameuse tripartition vole en éclats : les gauches restent irréconciliables malgré un peu reluisant accord, passé par pur opportunisme électoral ; les droites sont fractionnées et se sont trop entre-déchirées dans le passé pour se faire brusquement confiance ; le camp présidentiel, qui a toujours été hétérogène, se désintègre en raison des désillusions, des carences du bilan et du retrait programmé de son unique fédérateur. Un comble : Macron n’est plus guère populaire en Macronie. 

Si bien que se présente sérieusement l’hypothèse d’une assemblée ingouvernable et d’un gouvernement introuvable au lendemain du 7 juillet. D’autres pays européens ont connu ce blocage. Et l’enlisement durerait au moins un an, la Constitution interdisant une nouvelle dissolution avant ce terme. 

Cette perspective est-elle pleinement assumée par Emmanuel Macron ? S’agit-il d’un plan sophistiqué dont la rationalité échappe au profane ou d’un nouveau caprice disruptif du prince ? Emmanuel Macron veut-il provoquer une cohabitation avec le RN en spéculant sur son impréparation et en le fatiguant, tel le torero avec le taureau, pendant trois années ? Veut-il camper, comme Mitterand sous la première cohabitation, le rôle avantageux du défenseur des valeurs contre l’aventure ? Mais cette démonstration par l’absurde de l’impossibilité d’une gouvernance populiste se ferait sur le dos d’un pays clivé et paralysé. Il jouerait donc contre l’intérêt national.

Faut-il alors chercher l’explication de la décision de dissoudre dans les mécanismes du psychisme macronien plutôt que dans les visées stratégiques du chef de l’Etat ? Son ego narcissique lui commanderait-il, afin de ne pas subir passivement l'épreuve, de prendre des initiatives renversantes, si contre-productives qu'elles soient pour les intérêts dont il a la charge et même pour les siens ? 

Raul Magni-Berton : Commençons par rappeler qu’il n’est pas possible d’affirmer avec certitude et force de détail à quoi ressemblera l’Assemblée nationale recomposée, à l’issue des prochaines élections législatives. Ce que l’on peut dire, très clairement, c’est que ce choix de dissoudre l’Assemblée était certainement préparé, quand bien même il peut ressembler à un coup de tête, de l’extérieur. Cela n’est pas sans impact : le délai prévu avant le prochain scrutin est très court et cela veut dire que les différents partis concernés n’auront très certainement pas le temps de s’organiser. Ils ne sont pas prêts en l’état et ne le seront pas le moment venu. Il n’y aura pas non plus le temps de faire réellement campagne, ce qui a de quoi laisser penser que le vote du 30 juin ressemblera à celui du 9. Par conséquent, tout porte à croire que l’on va au devant d’une élection très favorable au Rassemblement national, au moins pour le premier tour.

En effet, il faut aussi tenir compte du fait que le mode de scrutin diffère considérablement entre ces deux élections. Il est clair que le Rassemblement national sort très fort de ces élections européennes et qu’il sera probablement le grand gagnant du premier tour des prochaines législatives. En revanche, il est difficile d’affirmer qu’il aura nécessairement autant de succès pour les duels de second tour. C’est un parti qui, historiquement, a toujours eu beaucoup plus de mal à passer le second tour que le premier. Il s’en sort mieux aujourd’hui, car il est de moins en moins considéré comme une alternative à éviter à tout prix mais il faut comprendre que même s’il bénéficiait d’un taux de une élection gagnée pour une élection perdue au second tour, il reste très probable qu’il ne bénéficie pas d’une majorité absolue au parlement. Pour en arriver là, il lui faudrait un taux de passage au second tour presque… macronien. Or, dans le cas du Rassemblement national, c’est quasiment inimaginable.

Cela ne veut pas dire que le RN ne peut pas devenir la première force à l’Assemblée nationale, au contraire. Mais pour bénéficier d’une majorité, il lui faudra procéder à des alliances. Un rapprochement avec la droite LR est envisageable, d’autant plus qu’il s’agirait ici, pour Les Républicains, de participer à un mandat relativement court et portant sur un nombre de points précis et pré-organisés. Si cela devait arriver, Les Républicains auraient toujours fait le pivot, trouvant un moyen ou un autre de demeurer (de près ou de loin) dans la coalition gagnante. En tant que faiseurs de roi, au moins.

Dans ce cas de figure, on peut aussi imaginer que la gauche – qui a fait le choix d’avancer unie en vue des prochaines élections législatives – s’impose comme la deuxième force au sein de l’Assemblée nationale.

Quid de la formation du président, Renaissance, et de son éventuel élargissement à des alliés venus de la droite ou de la gauche ? Que dire, par ailleurs, de l'Union des gauches annoncée ce soir par les anciens partis membres de la NUPES ?

Raul Magni-Berton : Renaissance peut se sortir relativement convenablement des élections à venir… mais tout dépendra de la façon dont les autres formations politiques se positionnent par rapport au mouvement présidentiel. Si la gauche décide de soutenir En Marche face au Rassemblement national et si la droite décide de le soutenir face à la gauche, ce qui est possible, alors le parti du président sera en mesure de gonfler son score de second tour et pourrait théoriquement tirer son épingle du jeu. Cela ne suffira en aucun cas à obtenir une majorité absolue. Le scénario d’un Palais Bourbon complètement dominé par le mouvement du chef de l’Etat, sans aucun appui en provenance de la gauche ou de la droite, relève de la fiction. Le choix du président de ne placer aucun candidat LREM en face d’un candidat sortant issu de “l’arc républicain” peut d’ailleurs témoigner d’une volonté d’alliance.

La gauche, puisqu’elle a effectivement fait le pari de s’unir, pourrait théoriquement s’imposer comme la première force à l’Assemblée nationale, quand bien même c’est un scénario nettement moins probable que celui de la victoire du RN. Il est le premier favori, si je puis dire, là où la gauche n’est que le second. Dans un cas comme dans l’autre, néanmoins, il s’agit de formations politiques qui auront du mal à faire mieux au second tour, faute de réserves de voix importantes.

Jean-Eric Schoettl : La voie d’une alliance au moins implicite avec les LR est fermée car ses chances ont été gâchées par Emmanuel macron lui-même. On l’a vu avec la loi immigration. 

Un accord de gouvernement est moins probable encore avec une gauche à nouveau coalisée sans scrupule autour de son aile radicale. Pour la gauche française, le cordon sanitaire est à usage externe. On n’a pas assez souligné que LFI a consolidé et étoffé sa base électorale depuis 2019 en faisant de la haine d’Israël son leitmotiv.  En tout cas, un « front républicain » allant des Insoumis à Edouard Philippe tient du fantasme rétro.

Les dirigeants politiques sont persuadés qu’ils sont en capacité d’agir et d’avoir un impact sur l’économie. En quoi en réalité, au regard de la dette et du poids des finances publiques, nos dirigeants sont-ils dépendants du contexte économique ?

Pierre Bentata : La crise politique liée à la dissolution a déjà eu comme conséquence l'augmentation des spreads de taux sur les marchés obligataires. Quelle que soit l'issue des élections législatives, il y aura une réaction des marchés. Elle sera d'autant plus importante que la majorité artificielle qui arrivera au pouvoir et qui composera le nouveau gouvernement aura eu avant au préalable un programme qui n'avait aucun sens d'un point de vue économique.

Les conséquences économiques vont évidemment dépendre des résultats électoraux. Les marchés financiers sont déjà très attentifs. L’évolution du spread de dix points montre qu’il y a une inquiétude. La dette est déjà énorme aussi. Le COR vient de publier sa nouvelle analyse qui est beaucoup plus crédible que ce qu'il y avait dans ses précédentes publications. Cela révèle que le système des retraites n'est pas tenable, qu'il est encore plus déficitaire, de l’ordre de 14 milliards, que ce qui était envisagé.

Economiquement, quel que soit le nouveau gouvernement qui va arriver au pouvoir, il se retrouvera confronté à des contraintes de toute part qui sont quasiment ingérables.

De quelles marges de manœuvre politique la nouvelle majorité disposera-t-elle, particulièrement sur les questions économiques, sur le régalien ou l’immigration, mais aussi sur les finances et la dette publique, les services publics ? Quid, également, des questions environnementales ou agricoles ?

Jean-Eric Schoettl :Ce qu’il faut craindre de l’arrivée aux affaires du RN, c’est moins l’accomplissement d’un programme radical ou la remise en cause de l’ « Etat de droit », que la paralysie et les désordres que susciterait son accession au pouvoir. 

Cette paralysie et ces désordres résulteraient principalement de l’hostilité viscérale que rencontrent les idées du RN dans une partie significative du corps social, des institutions et de l’administration. A gauche, l’exécration du RN est devenu un marqueur existentiel. Un gouvernement RN ou à forte participation RN devrait donc s’attendre à une âpre contestation au sein des institutions, des médias et des services publics. Toute une bien-pensance se déclarerait résistante. 

Ce serait également une providence pour tous les activistes « antifa » qui brûlent d’en découdre. Des troubles graves pourraient se produire dans la rue, sans parler des émeutes urbaines.

La situation politique française pourrait paniquer les marchés financiers et indisposer les prêteurs internationaux, déclenchant une crise de la dette publique telle que celle traversée par la Grèce il y a une quinzaine d’années. 

La paralysie et les désordres résulteraient aussi de l’impréparation du RN, même s’il a recruté des gens de qualité et d’expérience au cours des dernières années. Il est plus facile de dénoncer le système de l’extérieur, que de mettre en œuvre des solutions effectives pour le transformer, une fois qu’on est devant les manettes. C’est tout le problème des partis dits populistes : leurs agendas sont des cahiers de doléances, non des projets de gouvernement. Tant qu’ils sont dans l’intransigeance oppositionnelle du « tous pourris » et du « tous complices » ou dans les promesses de rupture, les mouvements extrémistes prospèrent sur les problèmes (bien réels) qu’ils dénoncent. Mais, en dehors de quelques « n’y a qu’à » contreproductifs ou irréalisables, ils ne sont guère porteurs de solutions. Arrivés aux affaires, les voici comme une poule devant un couteau.   

C’est là le véritable danger de l’arrivée aux affaires d’une formation comme le RN (ce serait a fortiori le cas de la France insoumise) : elle peut mettre en panne la démocratie pour un cumul de raisons non directement liées à ses options idéologiques : inexpérience, isolement, accrochages avec l’« Etat profond », troubles civils. 

Raul Magni-Berton : Si le Rassemblement national arrive effectivement au gouvernement, il y a matière à penser qu’il ne bénéficiera pas pour autant de la majorité à l’Assemblée. Se faisant, il lui faudra donc composer avec un président qui n’appartient pas à son mouvement, un Sénat qui ne lui est pas assujetti, un Conseil Constitutionnel qui n’est pas non plus sympathisant de ses idées. Le Rassemblement national qui remporterait l’exécutif devrait composer avec des contre-pouvoirs particulièrement puissants.

Il faut toutefois préciser que la France n’est pas le pays le plus favorable aux contre-pouvoirs. Dès lors, dans le scénario où le Rassemblement national parviendrait à remporter la majorité à l’Assemblée, il lui serait aussi possible de procéder à des changements importants sans pour autant avoir à modifier la constitution. Il pourrait ainsi mettre en place le scrutin proportionnel avec une prime au vainqueur pour lequel il milite depuis des années. C’est un type de scrutin qui tend à créer des majorités artificielles et qui n’a court presque nulle part en Europe. Il n’y a guère que l’exemple grec dont on pourrait parler. Sans oublier, bien sûr, la promotion que Mussolini a pu faire de ce modèle.

D’une façon générale, parce qu’il n’est pas possible de gouverner seul au parlement sauf à avoir une majorité absolue, il y a fort à penser que le Rassemblement national ne disposerait d'une marge de manœuvre que très limitée. C’est une bonne chose car, quelque soit l’alternance dont on parle, la politique d’une nation se doit de conserver une certaine continuité (notamment en économie) pour pouvoir produire des effets positifs. Cette continuité ne serait pas nécessairement rompue si le Rassemblement national arrivait effectivement au pouvoir. Plusieurs des exemples européens actuels en témoignent d’ailleurs assez bien : le cas des Pays-Bas ou de l’Italie illustrent que, malgré l'épouvante initial, l’impact économique de l’accession au pouvoir d’un mouvement d’extrême droite reste limité. C’est vrai aussi pour les finances publiques, la question de la dette d’une façon générale.

Ce qu’il faut craindre, ce sont les réformes institutionnelles. Mais pour pouvoir les mener, il faut d’abord disposer de la majorité ou d’une alliance prête à les voter avec soi. Dans le cadre du système de proportionnelle que nous évoquions, cela paraît hautement improbable, puisque cela revient à s’assurer qu’il n’y aura plus de faiseurs de roi à l’avenir. Les Républicains, si c’est bien d’eux dont il est finalement question, n’ont aucun intérêt à permettre le vol d’une telle loi.

Sur la question de l’immigration, on peut s’attendre à ce que le durcissement actuellement entrepris se poursuive mais je ne sais pas s’il serait nécessairement plus flagrant. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’hésitait pas – rappelons-le – à dire de Marine Le Pen qu’elle se faisait “molle” à ce sujet.

Sur de nombreux sujets, notamment économiques, n’y a-t-il pas une certaine forme d’hypocrisie de ceux qui jouent les maîtres des horloges alors même que les fondamentaux économiques leur échappent pour l’essentiel ?

Raul Magni-Berton : C’est indéniable. D’une façon générale, la France à fait le choix de jouer, contre le RN, la carte du front républicain qui consiste à mettre cet adversaire au ban du jeu politique en expliquant que son élection consisterait une catastrophe ; quitte à parfois politiser ou charger des questions de façon irréaliste. C’est un choix discutable, dont on voit les conséquences en Belgique, notamment, mais pas seulement. A l’inverse, dans les pays du Nord ou en Autriche, on a décidé de freiner de telles formations en les intégrant au jeu parlementaire dès lors qu’elles rassemblent assez d’électeurs. Elles sont contraintes de gouverner en coalition, ce qui limite la portée de leur action.

Le fait qu'il y ait eu des problèmes budgétaires ne participe-t-il pas à la complexité à agir sur le plan économique, quelles que soient les personnalités politiques au pouvoir ?

Pierre Bentata : Le blocage économique tient partiellement à l'absence de majorité mais en réalité il est beaucoup plus profond que ça.

La raison pour laquelle nos dirigeants n’arrivent pas à mettre en place les réformes réellement nécessaires tient au fait que nous sommes paralysés par le poids de la dette. Il y a aussi une absence de cohérence vis-à-vis des critères de Maastricht et une inquiétude s'est manifestée sur les marchés financiers vis-à-vis de notre capacité à rembourser. La dette n'était donc pas un problème économique. Emmanuel Combe a très bien résumé cela. La dette en soi n’est pas un problème économique parce que, structurellement et du point de vue de la réputation, la France bénéficie encore de véritables atouts, à tort ou à raison. Dans l'inconscient collectif, cela reste stable mais entraîne des problèmes politiques qui contribuent à ce qu’aucune réforme ne soit faisable.

Est-ce qu'il y aurait des motifs d'espoir sur le plan économique pour une nouvelle majorité qui arriverait au pouvoir ? Quelle serait la marge de manœuvre d’Emmanuel Macron en cas de victoire aux législatives ? Est-ce qu'il n'y a pas des solutions pour agir sur l'économie, pour la France, pour réduire la dette ou pour mener des réformes ambitieuses et audacieuses ?

Pierre Bentata : Même si cela n’est pas politiquement souhaitable, les Belges ont prouvé par le passé que le chaos politique permettrait de réduire la dette. Si le RN, avec une coalition d'une partie de la droite qui part sous l'impulsion de Ciotti, se retrouve majoritaire et si Emmanuel Macron joue le jeu jusqu'au bout, il nommera soit Marine Le Pen, soit Jordan Bardella. Marine Le Pen risque de refuser. Bardella, lui, acceptera. Mais si la confiance n'est pas votée pour assurer la continuité des institutions, le Parlement pourrait rester bloqué. Une situation similaire s’est déroulée en Belgique pendant deux ans. Aucune décision n’était possible de la part du Parlement. En Belgique, lorsque l'Etat était coincé et que le système législatif ne fonctionnait pas mécaniquement, aucune nouvelle loi n’a été produite et cela a fait baisser les dépenses puisque quand les législateurs arrêtent de produire des textes, les coûts diminuent. Il n'y a pas de nouvelles dépenses qui sont mises en place et donc on se désendette. De ce point de vue-là, le chaos économique pendant trois ans pourrait entraîner de façon très cynique une paralysie politique qui s'accompagne d'un désendettement. Cela n'est pas souhaitable car le blocage des institutions entraîne davantage une crise démocratique.

Pour faciliter les réformes et afin de permettre une amélioration du système, une coalition autour du parti d'Emmanuel Macron pourrait se mettre en place. La défiance et le rejet envers le RN d’une partie de l’électorat pourrait aboutir à une coalition quasiment miraculeuse d'une partie du PS sous l'impulsion de Glucksmann et d'une partie de la droite sous l'impulsion de Bellamy. Cela constituerait un front républicain véritable contre les deux extrêmes. Dans ce cas-là, le parti d’Emmanuel Macron se retrouverait avec la légitimité et la force de mettre en place réellement des réformes. Cela paraît improbable mais c'est la seule possibilité pour que de véritables réformes soient menées sans qu'il y ait une paralysie des institutions. Dans tous les autres cas de figure, que ce soit l'extrême gauche ou l'extrême droite, il y aurait un statu quo parce que ces partis n'auraient pas les moyens de mettre en place leurs propositions. Jordan Bardella rétropédale sur sa proposition de revenir sur la réforme des retraites. Ils sont bien conscients que la réaction des marchés va être tellement violente et que le système sera bloqué. Ils n'auront aucun moyen dans un monde où l'Etat est endetté et emprunte de l'argent tous les jeudis sur les marchés et que l'Europe reste dominée par le centre droit, ils n'auront aucune marge de manœuvre. Il n’y aura pas de réforme et ils ne pourront rien avoir de plus.

Dans quelle mesure les contre-pouvoirs aujourd’hui en place pourraient-ils empêcher le Rassemblement national de mener à bien sa politique ; particulièrement si celui-ci n’a pas l’occasion de remplacer les personnalités siégeant au Conseil Constitutionnel ou au Conseil d’Etat ?

Jean-Eric Schoettl : Un gouvernement de cohabitation que dirigerait Jordan Bardella aurait toute les peines du monde à gouverner. 

Tout projet de loi constitutionnelle se heurterait à l’opposition d’Emmanuel Macron. La voie du référendum législatif lui serait également fermée car l’article 11 en confie l’initiative au Président de la République et non au Premier ministre. Emmanuel Macron pourrait également refuser de signer les ordonnances, comme Mitterand l’avait fait sous la première cohabitation avec Chirac pour les privatisations et le redécoupage des circonscriptions législatives. Les décrets réglementaires ou individuels dépendent également du bon vouloir du Chef de l’Etat lorsqu’ils prennent la forme de décrets présidentiels simples ou de décrets en Conseil des ministres.  Un gouvernement RN ne pourrait non plus dénoncer un accord international, tel que l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 sur la circulation et le séjour des ressortissants algériens, contre la volonté du Président de la République.

Autres pouvoirs d’empêcher du Président : maître de l’ordre du jour du Conseil des ministres, il peut retarder l’examen d’une question (texte ou nomination) par ledit Conseil ; en matière législative, il peut saisir le Conseil constitutionnel (art 61 de la Constitution) ou demander une nouvelle délibération (art 10) ; il peut aussi refuser de convoquer le Parlement en session extraordinaire. Ces armes ont été utilisées lors des trois cohabitations passées (1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002) et le seraient plus encore par un Chef d’Etat ayant diabolisé à un tel degré qu’Emmanuel Macron le parti dont serait issu son Premier ministre (si celui-ci s’appelle Jordan Bardella). Une telle cohabitation serait beaucoup moins policée que les précédentes.

Il faut aussi s’attendre à la résistance de ce qu’on appelle l’ « Etat profond » : les différents acteurs administratifs intervenant le long de la chaîne décisionnelle peuvent manifester plus ou moins de zèle à appliquer les consignes gouvernementales. Ils peuvent mettre certains dossiers sur le bas de la pile plutôt que sur le haut. Si l’attitude qui est officiellement attendue d’eux les met dans l’embarras ou froisse leurs convictions, ils auront tendance à interpréter les instructions a minima ou ne feront pas preuve d’empressement pour les mettre en pratique.

Raul Magni-Berton : Revenons, un instant, à la question de la loi Immigration et des garde-fous juridiques qui peuvent être mis en place contre l’action d’un gouvernement à cet égard, je ferais remarquer que l’action du Conseil constitutionnel visait à attaquer des articles considérés comme des cavaliers législatifs – c’est-à-dire dont le rapport avec la loi était discuté. Le Conseil n’a pas exprimé un problème juridique propre au fond même des textes en question. Il est évident qu’un gouvernement RN n’aurait pas la sympathie du Conseil et que, par conséquent, celui-ci utiliserait les armes en sa possession pour s’incarner comme un contre-pouvoir. Concrètement, cela veut dire qu’il ferait son possible pour faire traîner autant que faire se peut l’analyse des textes concernés et qu’il censurerait peut-être, s’il en a l’occasion, ceux qui présentent de potentielles contradictions avec la Constitution. 

Naturellement, il va de soi que le RN n’aurait pas le temps en deux ans de faire ce qu’il projette de faire en dix. Notamment, en effet, parce qu’il n’aurait pas la possibilité, sur ce laps de temps de renouveler le personnel du Conseil constitutionnel, mais c’est une réalité à laquelle il serait confronté même sans avoir à faire face à de possibles contre-pouvoirs. Ce que l’existence de contre-pouvoirs signifie concrètement, c’est qu’il lui faudrait organiser stratégiquement le choix des points à mettre en avant, de sorte à s’assurer qu’ils soient potentiellement votés. Il ne pourrait donc pas se montrer aussi clivant.

Quels sont les éventuels garde-fous juridiques (notamment au niveau européen) qui viennent aussi limiter l’action d’une formation comme le Rassemblement national ? Peuvent-ils être contournés sans un bras de fer avec Bruxelles ?

Raul Magni-Berton : La question du bras de fer avec Bruxelles et des rapports de force est réelle, mais elle est loin d’être le seul point dont il faut tenir compte pour comprendre la situation. Il faut aussi comprendre qu’il existe, au-delà de Bruxelles même, un nombre conséquent de traités, de statuts et d’accords internationaux. Pour en revenir à la question migratoire, il faut bien comprendre qu’il n’est pas possible – du moins pas sans rompre un certain nombre de règles du droit international – de choisir un migrant à accueillir ou non sur la base de ses croyances, de sa religion, de ses goûts. Comme les autres, le Rassemblement national serait contraint d’avancer avec des règles communes, dont certaines émanent de Bruxelles et dont d’autres peuvent être le fruit d’accords plus spécifiques.

Jean-Eric Schoettl :Nombre d’organes peuvent faire obstacle à la politique gouvernementale. 

Les lois votées par une majorité RN ou à dominante RN feraient l’objet d’un contrôle sourcilleux du Conseil constitutionnel. 

La difficulté de gouverner par la voie réglementaire ou au travers des actes individuels serait non moins grande. Le juge administratif censurerait tout empiètement du décret sur la loi et enjoindrait (notamment par la voie du référé liberté) à l’autorité gouvernementale de respecter les libertés fondamentales. 

Le juge judiciaire monterait la garde sur le plan pénal. 

Sur le plan diplomatique, un gouvernement RN serait aisément déclaré infréquentable, sauf à se méloniser. Pressions de l’étranger et sanctions européennes le tiendraient en laisse, comme ce fut le cas pour la Grèce. 

Enfin, la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme sanctionneraient les libertés prises avec le droit européen.

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