Directive européenne sur le renflouement interne des banques : les contribuables ne paieront plus, vraiment ? <!-- --> | Atlantico.fr
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L’argent public et les contribuables ne seront plus mis à contribution en première ligne pour sauver les banques.
L’argent public et les contribuables ne seront plus mis à contribution en première ligne pour sauver les banques.
©Reuters

In or out ?

Le parlement, le Conseil et la Commission européenne se sont mis d’accord sur les nouvelles règles de renflouement des banques. A partir du 1er janvier 2016, date de mise en œuvre de cette directive, l’argent public et les contribuables ne seront plus mis à contribution en première ligne pour sauver les banques.

Atlantico : La nouvelle directive européenne privilégiera le renflouement interne, ou « bail in », par rapport à l’appel aux fonds publics ou « bail out », très utilisé pour redresser les établissements en faillite pendant la crise. Est-ce un changement de doctrine important ?

Paul Jorion : C’est un retour partiel au système classique de fonctionnement du capitalisme financier. C’est comme cela que ça fonctionnait au 19ème siècle. Mais ce retour est seulement partiel car il se limite à hauteur de 8% du passif.

Il résulte d’un choc dans l’opinion révulsée par le fait que l’on soit passé à un système que certains commentateurs ont appelé "socialisme des riches". Mais le fait que ceux qui sont rémunérés pour les risques qu’ils prennent doivent aussi essuyer les pertes éventuelles est la moindre des choses. La prise de risque ne doit pas être considérée comme le simple équivalent d’une aubaine, d’une marge de profit supplémentaire, comme l’ont été les primes de risque encaissées en 2008 juste avant la crise. Les créanciers et les actionnaires ont tellement été gâtés ces derniers temps qu’ils ont fini par considérer que ces aubaines leur étaient dues.

Eric Lamarque : Oui à l'évidence. Solliciter d'abord les acteurs internes de la banque (actionnaires et certains créanciers obligataires) constitue un changement attendu. Les sauvetages des banques fin 2008 par les Etats a laissé des traces. Non pas qu'ils aient perdu de l'argent, puisqu'au contraire, ils en ont gagné, mais par rapport au signal envoyé aux autres acteurs économiques et à la société en général. La situation était politiquement intenable puisque des établissements qui avaient pris des risques excessifs se sont retrouvés momentanément soutenus et sauvés. Le petit patron d'une PME a bien du mal à accepter qu'ensuite elles leur refusent aussi souvent des crédits ou que l’Etat ne puisse rien faire pour eux.

Se dirige-t-on vers la fin de l’impunité des banques ou en tout cas une plus grande responsabilisation de ces dernières ou doit-on craindre que cette décision aura des effets limités ?

Paul Jorion : La règle des 8% telle qu’elle est présentée dans le texte pourra être assortie, avec l’accord de l’UE, de 5% supplémentaires puisés dans un fonds d’aide, ce qui veut dire que si les pertes dépassent 13% du passif, la possibilité reste ouverte d’une nationalisation des banques, avec une prise en main de leur direction. Ce seuil de 8% parait faible, c’est une « mesure mitigée » comme l’a qualifiée le député européen Philippe Lamberts. Il est effectivement paradoxal que l’on salue comme une victoire, un retour partiel à la normale.

Eric Lamarque : Cela risque surtout de rendre moins attractif les actions des banques dans un premier temps ainsi que de rebuter certains investisseurs potentiels. Il est quand même trop tôt pour savoir si cela aura un effet dissuasif sur les prises de risque excessives, mais il faut dire aussi que les banques françaises n’ont pas attendu ces mesures pour faire évoluer leurs principes de gestion. Laisser entendre que la gestion des banques est assez fréquemment irresponsable est largement exagéré. Toutes les affaires actuelles se sont déroulées dans les années 2000, et depuis des efforts de contrôle sont fait, en tout cas au niveau français.

Paradoxalement, des effets pervers, obligeant la gouvernance des banques à plus de prudence par exemple, sont-ils à craindre ? Autre risque : la prépondérance du CT sur le LT qui serait néfaste au secteur bancaire ?

Paul Jorion : Non je n’en vois pas. Les banques n’ont jamais été prudentes et continueront à ne pas l’être. Il est difficile de donner un chiffre précis mais il est possible que la plus grande part de l’argent qu’elles avancent intervient sur des opérations spéculatives. Par ailleurs le financement de l’économie réelle n’est plus une priorité des établissements bancaires depuis la deuxième moitié du 20ème siècle. Le financement des entreprises et des ménages ne représente ainsi plus que 40% des prêts qu’elles accordent.

Eric Lamarque : Comme je l’indiquais au début, l’attractivité des actions des banques pourraient en pâtir. Si elles doivent les augmenter encore comme on l’entend, elles auraient du mal à trouver des investisseurs. Du coup, elles seraient obligées de continuer à réduire leurs expositions et cela pourrait conduire à augmenter leur sélectivité sur les risques de crédit.

Le fait que les actionnaires et les créditeurs seront les premiers à payer (au minimum 8% des pertes de la banque) en cas de défaillance, peut-il contraindre les établissements financiers à limiter leurs prises de risques ? Comment ?

Paul Jorion : Bien sûr. Les banques devront limiter leur prise de risque puisque leurs amis traditionnels seront immédiatement touchés par leurs mauvaises opérations. Cette mesure devrait donc avoir des effets plutôt positifs : les banques seront mises sous pression pour limiter le risque spéculatif essentiellement ; le risque de crédit (non remboursement des entreprises et particuliers) lui, existera toujours. Idéalement, il faudrait tout de même faire monter ce chiffre de 8% à 100% pour revenir à la normale.

Propos recueillis par Pierre Havez

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