Dieu démission, Libé au pilon : qui de l'Eglise ou des médias est le plus imperméable à la logique de l'autre ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une de Libération, mercredi 13 février 2013.
Une de Libération, mercredi 13 février 2013.
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Amen

Alors que Libération titrait mercredi "Dieu démission", une étude du centre américain Pew révèle que le pape attire principalement l'attention journalistique sur trois sujets : les visites internationales, les déclarations sur les prêtres pédophiles, et les discours de Noël.

Jacques De Guillebon,François Miclo et Nicolas Senèze

Jacques De Guillebon,François Miclo et Nicolas Senèze

Jacques de Guillebon est essayiste,  journaliste indépendant et éditorialiste pour le mensuel La Nef.

Il est notamment l'auteur de Nous sommes les enfants de personne (Xénia, 2010), du Nouvel ordre amoureux (L'Oeuvre, 2008) et publiera prochainement un nouvel ouvrage intitulé L'anarchisme chrétien.

François Miclo est rédacteur en chef de tak.fr. Twitter : @fmiclo

Nicolas Senèze est journaliste, diplômé de l'École supérieure de journalisme de Lille, Nicolas Senèze a travaillé au service Religion du quotidien La Croix de 1999 à 2009.

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Atlantico : Alors que Libé titre "Dieu démission", une étude du centre américain Pew révèle que le Pape attire principalement l'attention journalistique sur trois sujets : les visites internationales, les déclarations sur les prêtres pédophiles, et les discours de Noël. Peut-on dire que les médias ont un traitement partiel de l'Eglise catholique ?

Nicolas Senèze : J’aurais tendance à dire que les médias ont un traitement partiel sur la plupart des sujets qu’ils abordent. Je ne pense pas en conséquence que l’Eglise catholique soit logée à meilleure ou pire enseigne que les autres institutions. Le monde politique, parmi d’autres, est ainsi souvent résumé aux petites phrases qui animent sa surface et l’on ne voit que très rarement des articles de fond visant à expliquer les mécanismes concrets qui l’animent. On peut dire que le ressenti des fidèles face à des annonces médiatiques concernant l’Eglise est particulier, mais je ne verrais pas de réelle différence en dehors de celle-ci. On pourrait même dire qu’une partie de la presse, en particulier la presse anglo-saxonne (Wall Street Journal par exemple), s’est intéressée à certains messages que Benoît XVI a souhaité faire passer sur les conséquences de la crise économique. 

François Miclo : Dans les rédactions, on n'a pas attendu Dan Brown pour savoir que le Vatican – ses secrets, ses caves, ses ors et son encens – faisait vendre. Le scandale aussi. Titrer aujourd'hui sur un scandale au sein de l'Eglise, c'est bingo ! Prenons le seul exemple de la pédophilie. Les médias nous ont bourré le mou avec l'idée que le pontificat de Benoît XVI était entaché par les scandales pédophiles. Sauf que c'est lui qui, contrairement à ses prédécesseurs, a voulu mettre bon ordre dans l'Eglise en brisant l'omerta qui prévalait jusqu'alors. De même, les éditorialistes persistent à gloser sur le rejet du préservatif par l'Eglise, alors que Benoît XVI en a admis, en 2010, l'utilisation prophylactique. Il n'innove même pas, il se situe juste dans la lignée du cardinal Lustiger qui, en 1988, disait que le préservatif était « un moyen de ne pas rajouter du mal à un autre mal ». Les médias n'ont pas seulement un traitement partiel de l'Eglise catholique : ils en ont, la plupart du temps, une vision totalement déformée, fausse, outrancière.

Jacques de Guillebon : Oui, bien entendu, le traitement médiatique de la vie de l’Eglise catholique est partiel - du moins si l’on se fie aux grands médias généralistes, qui sont grands par les moyens plutôt que par la profondeur de leurs analyses d’ailleurs. Mais passons. Les médias, tel que l’on entend ce mot aujourd’hui, ne sont pas coupables dans leur ensemble de maltraiter l’Eglise catholique, dans ce sens que c’est leur structure même qui leur interdit de comprendre cet objet gigantesque, historiquement, géographiquement, démographiquement et last but not least, intellectuellement et spirituellement qu’on appelle l’Eglise. Ainsi, ils voudraient mieux traiter son actualité qu’ils ne le pourraient pas, parce qu’ils sont devant quelque chose qui les dépasse.

Les critiques sur la communication brouillonne voire inexistante de l'Eglise sont-elles justifiées ou traduisent-elles une myopie volontaire des médias ?

Nicolas Senèze : J’aurais envie de répondre l’un et l’autre à la fois. Ces critiques sont justifiées dans le sens ou l’Eglise n’a jusqu’à récemment pas vraiment considéré la remise en cause de ses méthodes de communication. L’administration cléricale se contente traditionnellement d’émettre un message et s’attend à ce que les journalistes fassent le travail de mise en forme et d’exposition. On disait ainsi pendant longtemps que l’on trouvait deux types de journalistes au Vatican : ceux qui dépendaient directement du clergé chargés de répercuter « la bonne parole » et de l’autre les journalistes indépendants qui étaient plus ou moins hostiles à l’institution. L’arrivée de Greg Burke (ancien correspondant du Time Magazine au Vatican) à un poste équivalent à celui de directeur de communication a néanmoins fait évoluer ce schéma bipolaire et l’on peut aujourd’hui observer des prémices d’organisation en interne sur le plan de la communication.

François Miclo : Je ne crois même pas que cela soit volontaire. La myopie des médias est inconsciente. Elle tient surtout à ce qu'Edgar Quinet appelait, à la fin du XIXe siècle, « l'impensé de la laïcité » : pour cet anticlérical viscéral, la France n'était pas parvenue, avec la Révolution, à « extirper le papisme » du pays. Selon Quinet, le christianisme restait toujours aussi opérant et puissant dans les mentalités, même chez les plus laïques d'entre elles. C'est la tâche aveugle de nos sociétés occidentales : largement déchristianisées, leurs ressorts les plus profonds sont essentiellement chrétiens. Il y a de quoi causer, au plus honnête homme, des problèmes de vue.

Jacques de Guillebon : Brouillonne, oui, la communication du Saint-Siège au sens strict l’a été, et le demeure parfois encore. Sans doute parce que derrière les murs du Vatican, ne le cachons pas, s’agitent des factions contradictoires. Ceux que Benoît XVI a appelé « les loups » lors de son élection. Mais la communication de l’Eglise, c’est aussi et d’abord la voix du Pape, des évêques, des prêtres et des laïcs actifs. En son sens de parole de sagesse et d’espérance pour les siècles, cette communication fonctionne. Quand le Secours catholique aide 1,5 million de personnes en France chaque année, c’est de la communication qui fonctionne.

Ce rapport est-il particulièrement clivant en France, pays partagé entre ses racines catholiques et laïques ?

Nicolas Senèze : En effet. La tradition française de la laïcité peut expliquer la très faible couverture de la presse généraliste des évènements religieux, en plus de la connaissance plutôt faible que cette dernière possède du monde clérical. Je pense que le réel problème n’est pas tant dans l’hostilité que peut susciter l’Eglise mais plutôt dans la méconnaissance du fait religieux. On peut trouver à l’occasion des anticléricaux assez rôdés sur le fonctionnement de l’Eglise, comme c’est encore le cas au Canard Enchaîné, mais ce phénomène reste rare. On peut rajouter néanmoins que malgré une faible visibilité, les journalistes spécialisés dans les affaires religieuses sont généralement d’un très bon niveau dans l’Hexagone. 

François Miclo : En France, on fait toujours mieux que partout ailleurs : l'amour, les révolutions, les crises et même la déchristianisation. Alors qu'il n'est pas un seul historien au monde pour remettre en cause l'apport essentiel du christianisme à la constitution de la France et l'Europe, parler seulement des « racines catholiques » du pays relève aujourd'hui, aux yeux de beaucoup, de la pire obscénité qui soit. Là où la IIIe République et ses légendaires hussards noirs osaient enseigner le baptême de Clovis, le « blanc manteau d'églises » et l'héroïsme de Jeanne d'Arc, nous avons choisi d'oblitérer cet aspect pourtant constitutif de notre roman national. On se ment, on se fourvoie : ce n'est pas en répétant bêtement que la France est née en 1789 qu'on est plus laïc. On est tout simplement plus bête.

Jacques de Guillebon : Oui, la France souffre encore d’un complexe anti-catholique parfaitement idiot que rien ne justifie. C’est lassant, mais je crois que les catholiques de France ont le cuir épais.

Le culte du dogme et de la tradition n’est-il pourtant pas contradictoire à l'écume des jours médiatique ?

Nicolas Senèze : Clairement. Le temps médiatique ne compte pas pour l’Eglise, qui est une institution millénaire ou l’hier et le lendemain sont des concepts tout à fait relatifs. Ainsi lorsqu’un responsable du Vatican vous dit qu’un texte sera « bientôt » publié le journaliste pense en termes de jour ou de semaines alors qu’en vérité le texte en question sera présenté six mois plus tard. Bien que l’Eglise ne changera pas ses méthodes du jour au lendemain on peut évoquer encore une fois un véritable effort de compréhension et d’adaptation pour prendre en compte cet autre rapport au temps. 

François Miclo : Evidemment que non ! La Tradition dont est dépositaire l'Eglise et qui porte le beau nom d’Évangile est absolument contraire aux valeurs du temps : pas simplement aux valeurs de notre époque, mais de toutes les époques humaines. Les valeurs de l'Eglise sont pareilles à la Croix chez l'apôtre Paul : des objets de scandale et de folie aux yeux du monde. Le rôle de l'Eglise, ce n'est pas de faire le buzz ni de céder à la dictature de l'instant, mais d'annoncer la seule bonne nouvelle qui vaille : nous sommes appelés à live-twitter notre joie dans la vie éternelle qui nous est promise.

Une amélioration des relations entre Église et médias fera-t-elle partie des prochains chantiers du futur souverain pontife ?

Nicolas Senèze : Cela s’intégrera sans doute dans la question plus vaste qu’est la gouvernance de l’Eglise et son rapport au monde mais, de là à dire que ce sujet deviendra l’une des problématiques principales du Vatican, je ne pense pas. On peut s’attendre à une évolution du discours, mais je pense que la doctrine de l’Eglise restera profondément inchangée, pour les raisons que nous avons déjà évoquées.

François Miclo : On n'est pas à l'abri de voir arriver un jour un pape qui, doté d'une solide formation d'attaché de presse ou de communicant, fera le joli-cœur auprès des médias. On l'appellera Séguéla Ier, il portera beau. Il ne donnera plus d'audience générale, il fera des points presse. Pour autant, enchaînant un plateau de télé l'un après l'autre, lui restera-t-il un peu de temps pour faire son vrai job de pape, qui consiste à améliorer les relations entre les hommes et le Bon Dieu. Ah ! oui. Je ne vous ai pas dit : le métier de pape n'est pas de croire en la com', mais en Dieu.

Jacques de Guillebon : Cela a déjà commencé – voyez le compte Twitter de Benoît XVI. Mais si des journalistes semi-incultes continuent d’aller chercher à Rome ce qu’ils n’y trouveront jamais (une modification du dogme, l’acquiescement benêt à tous les faux progrès des mœurs qui auront passé dans cent ans, etc.), ils auront beau jeu d’accuser une Eglise qui ne leur a rien demandé.

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