Didier Lemaire : « Nicole Belloubet ne peut pas demander aux enseignants de former des citoyens responsables si elle-même fuit les responsabilités de sa fonction »<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
La ministre de l'Education nationale Nicole Belloubet et le Premier ministre Gabriel Attal.
La ministre de l'Education nationale Nicole Belloubet et le Premier ministre Gabriel Attal.
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Peur sur l'école

Didier Lemaire a enseigné la philosophie à Trappes, dans les Yvelines, pendant près de vingt ans. Il vient de créer l'association Défense des Serviteurs de la République.

Didier Lemaire

Didier Lemaire

Didier Lemaire a enseigné la philosophie à Trappes, dans les Yvelines, pendant près de vingt ans. Il a créé l'association Défense des Serviteurs de la République en 2024.

Voir la bio »

Atlantico : Sur RMC, la ministre de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet, a répondu hier à l’accusation de Mickaëlle Paty, (la sœur de Samuel Paty) qui accuse l’État d’être responsable de la mort de son frère. La ministre a répondu qu’elle n’est pas sûre que l’État soit responsable. Qu’en pensez-vous ?

Didier Lemaire : C'est la toujours la même réponse – et elle n'est guère étonnante de la part de ceux qui se défaussent constamment de leur responsabilité –, celle du mépris et du mensonge. Car, comme l'a rappelé « à ceux qui l'ignorent ou qui, par lâcheté ou mauvaise foi, feignent de l'ignorer » l'avocate de Mickaëlle Paty, «  il existe deux sortes d'injustice, celle commise par action et celle commise par omission, par ceux qui pouvant empêcher le mal, ne s'y opposent pas. » Cette injustice commise par omission a été documentée dans deux livres, celui de David Di Nota, J'ai tué un chien de l'enfer, et celui de Stéphane Simon, Les derniers jours de Samuel Paty. Ces deux livres démontrent soigneusement que Samuel Paty est mort de l'abandon de nos gouvernants. Sans cette injustice, le professeur n'aurait pas été tué. J'ajouterais que Madame la Ministre ne peut pas demander aux enseignants d'instruire leurs élèves pour qu'ils deviennent des individus et des citoyens responsables si elle-même fuit les responsabilités de sa fonction, à commencer par celle de rechercher la vérité au lieu de se défausser en disant « qu'elle n'est pas sûre que l’État est responsable ». Ses mots, qui disqualifient la réalité derrière l'imposture d'une prétendue incertitude, sont terrifiants de la part d'une ministre de l’Éducation nationale. Ils reviennent à dire que, dans notre pays, les ministres ne sont responsables de rien.

Moins de quatre ans après la mort tragique du professeur d’Histoire, de nouveau drames ont frappé l’école française. La mort de Dominique Bernard en octobre dernier et plus récemment le départ en retraite anticipé du proviseur du lycée Maurice-Ravel qui craignait pour sa vie. Pensez-vous que l’État a pris la mesure des menaces qui pèsent sur nos professeurs ?

Nous savons depuis l'assassinat de Samuel Paty que le moindre incident peut déraper et déboucher sur une nouvelle tuerie. Nous ne manquons pas, en effet, de pépinières jihadistes sur notre sol. Nous savons aussi depuis l'assassinat de Dominique Bernard qu'il n'est même plus besoin d'un prétexte pour tuer un enseignant. Il suffit qu'il soit enseignant. Le déferlement de haine qui s'est abattu sur ce proviseur n'est qu'un cas parmi d'autres. C'est pourquoi l’État devrait agir avec la plus grande fermeté vis-à-vis des actes de provocation dans les établissements scolaires pour protéger les professeurs et la liberté d'enseigner. Il ne l'a pas fait. Il a tergiversé pendant de longues semaines. Ces provocations vont donc continuer et s'amplifier. Des poursuites pénales aurait dû être envisagées dès les premiers jours contre la dénonciation calomnieuse de l'élève pour dissuader quiconque de tels actes d'intimidations et de ciblage qui constituent, dans le contexte actuel de haine, une mise en danger de la vie d'autrui. La mise à pied et l'interdiction de bénéficier d'un enseignement aurait dû immédiatement être prononcées. Une protection policière renforcée aurait permis au proviseur de poursuivre sa mission. Au lieu de cela, l’État a dérogé à l'obligation de protéger ses agents et de faire respecter les principes qui sont le fondement de notre pacte social et de nos lois : la liberté, l'égalité et la fraternité.

Selon vous, qu’est-ce que l’État doit faire de plus ?

Il doit d'abord reconnaître sa responsabilité. Ensuite, tout deviendra possible. Car ce n'est pas en recourant à quelques mesurettes, qui visent uniquement à faire disparaître des symptômes, qu'on guérira le mal qui ronge notre société. Il faudrait un plan d'ensemble et une mobilisation de la nation toute entière pour faire reculer la peur et garantir le respect de nos lois.

Vous lancez l’association Défense des Serviteurs de la République. Est-ce une réponse à l’inaction de l’État dans la protection de ses agents ?

Nous avons trois objectifs. Défendre les serviteurs de la République, en leur apportant un soutien matériel, moral et juridique. Défendre la liberté d'expression, la liberté de conscience et de penser, la liberté académique – car nos universités commencent elles aussi à être durement attaquées – et, plus largement, nos principes républicains. Enfin, promouvoir la connaissance des phénomènes de sécession sociale, culturelle ou politique, en particulier les idéologies identitaires qui assignent les individus à des communautés imaginaires en opposition les unes aux autres et à la seule communauté que notre République reconnaissance, celle d'individus libres et égaux en droit qui forment la nation. Pour atteindre ces objectifs, nous avons réuni une équipe d'experts en droit, en sociologie, en politique qui nous conseillera et de grands noms du Barreau qui accompagneront les agents menacés. Nous allons nous doter de moyens à la mesure de l'ampleur de la tâche, à commencer par des moyens financiers et humains. Face à la crise de l’État, qui est une crise des services publics, de leur mission et de leur sens, face à l'inaction et l'impéritie de nos représentants, nous faisons le pari que la société civile va se mobiliser car les Français ne veulent pas voir le pays qu'ils chérissent abandonné à l'obscurantisme et à la barbarie. C'est pourquoi, je pense, que tous ensemble, quels que soient nos points de vue et nos appartenances politiques, nous allons en défendant chaque serviteur de la République menacé qui nous le demandera, redonner confiance et espoir en l'avenir à chacun de nos concitoyens. Vu l'état de confusion qui règne dans le monde.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !