Deux mois de prison ferme pour rébellion pour un opposant au mariage homo : une sévérité sortie de l’espace (attaquez le RER D et vous ne risquerez que du sursis...) <!-- --> | Atlantico.fr
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Un jeune opposant au Mariage homosexuel a été condamné à quatre mois de prison, dont deux mois ferme, avec mandat de dépôt et 1000 euros d’amende, pour rébellion et refus de prélèvement ADN.
Un jeune opposant au Mariage homosexuel a été condamné à quatre mois de prison, dont deux mois ferme, avec mandat de dépôt et 1000 euros d’amende, pour rébellion et refus de prélèvement ADN.
©Reuters

Justice pour tous ?

Un jeune opposant au mariage homosexuel a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris à quatre mois de prison, dont deux mois ferme, avec mandat de dépôt et 1000 euros d’amende, pour rébellion et refus de prélèvement ADN. Décryptage d’une décision de justice pour le moins surprenante.

Philippe De Veulle

Philippe De Veulle

Avocat au Barreau de Paris, Philippe de Veulle est diplômé du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS) – filière Collège interarmées de défense –, titulaire d'un Master (DEA) en économie et développement de l'Université Paris Descartes et auditeur de la 20ème session de l'Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice (INHESJ). Il est également auditeur à la 66 e session nationale de l'IHEDN

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Lire aussi : Ni bandits, ni terroristes : pourquoi les manifestants anti-mariage homosexuel ont-ils été gardés à vue 48h ?

Atlantico : Que recouvre ce chef d’inculpation de "rébellion", et dans quelles circonstances un citoyen doit-il se soumettre obligatoirement à un prélèvement ADN ?

Philippe de Veulle : La rébellion est visée par l’article 433-6 du code pénal. Celui-ci stipule en effet que le citoyen doit respecter l’ordre public et ne doit pas manifester contre une personne dépositaire de l’autorité publique. Toutefois, ce qu’il faut remarquer, c’est que le droit pénal se traduit par une application stricte de la loi et ne laisse que peu de place à l’interprétation.

Rappelons que « constitue une rébellion le fait d’opposer une résistance violente ». Or il semblerait que ce manifestant ait montré son opposition à la venue de François Hollande en criant.Première question que l’on peut se poser : en quoi a-t-il été violent ? S’en est-il pris à un policier, s’en est-il pris au président lui-même ? En tout état de cause, il ne s’en est pas pris au président qui était dans les parages, mais a simplement manifesté. Sans être au courant des faits exacts, il me semble qu’ils se soient opposés comme d’habitude à la venue d’une personnalité politique pour crier « Hollande, ta loi on n’en veut pas ! ». Est-ce que le fait de crier contre une loi constitue un acte violent ? Je ne le pense pas.

La punition pour rébellion est d’autre part prévue par l’article 433-7 du Code pénal : « est puni de six mois d’emprisonnement et de 5700 euros d’amende ». Donc cela veut dire qu’en fin de compte, nous sommes ici à presque le maximum de la peine -4 mois dont deux fermes, avec un mandat de dépôt à la barre.

Concernant la prise d’empreinte ADN, celle-ci est consécutive à la loi du 15 novembre 2001, et visée dans le code de la procédure pénale, où c’est l’article 706-54 qui explique comment l’on procède au prélèvement ADN et comment l’on fiche ces empreintes dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). C’est l’Officier de police judiciaire qui est habilité à prélever une empreinte génétique, ou alors cela se fait à la demande du Procureur. Ce genre de procédure, de prise d’empreintes génétiques, doit cependant se limiter aux personnes soupçonnées de certains crimes ou délits graves, ou sujets à de graves suspicions.

Par la suite, cela peut paraître sans conséquences. Finalement si l’on n’a rien à se reprocher on peut accepter ce prélèvement ADN. Mais toutefois le problème c’est qu’il y a un risque d’être fiché. Et sortir de ce fichier implique tout un processus juridique assez lourd.  Enfin, si l’on n’est donc pas obligé de s’y soumettre, un refus est de nature à aggraver la peine.

Concernant cette décision, je pense en tant qu’avocat que c’est une décision très lourde. D’autre part, puisque nous évoquions la question de la violence, il faut regarder avec quelle violence des CRS s’en sont pris à des jeunes manifestants opposés au « mariage pour tous », parfois mineurs : ils les ont attrapés, plaqués au sol. J’ai même vu à la télévision un policier donnant des coups de poing dans le ventre d’un des manifestants. On peut vraiment se poser la question de savoir où se trouve la violence.

Que penser de cette peine au regard de la jurisprudence ?

Les juges ont eux-mêmes créé une jurisprudence, très dure, pour des gens qui ont une opinion et veulent manifester leur mécontentement. Deux mois de prison ferme, c’est très sévère, surtout lorsque l’on voit la tolérance et la douceur des condamnations pour les délinquants récidivistes, et sachant que les personnes condamnées à moins de deux ans de prison ferme ne sont pas incarcérés par manque de place. Qui plus est, le mandat de dépôt prononcé à l’encontre du jeune manifestant garantit son incarcération rapide ! Enfin, effectuer deux mois de prison ferme constitue en quelque sorte une tâche : cela va représenter pour lui et sa famille une déchirure morale.

Justement, certains observateurs mettent en parallèle cette peine à celles prononcées une semaine plus tôt contre les "agresseurs du RER D" où aucune condamnation de prison ferme n’a été prononcée alors qu’il s’agissait de faits de violence avérés. Certains tentent aussi de réaliser un parallèle avec les récentes peines plutôt clémentes à l’encontre des émeutiers du Trocadéro. Y aurait-il "deux poids, deux mesures" dans la justice française ?

Tout à fait. Il s’agit là encore d’une violation du principe d’égalité et des grands principes républicains. C’est-à-dire qu’en fin de compte il y a deux poids, deux mesures. On va être tolérant vis-à-vis des délinquants des banlieues parce que l’on ne veut pas d’histoires avec eux et on ne veut pas qu’il y ait des émeutes. D’un autre côté on va mettre le maximum à un citoyen qui s’oppose à une loi sociétale.

Comment interpréter cette condamnation ? Peut-on dire qu’elle a été prononcée "pour l’exemple" ?

Évidemment. Depuis le début de la mobilisation contre le « mariage pour tous », nous assistons à une sorte de crescendo de la part du pouvoir en place. D’abord sur la durée des gardes à vue, nous sommes passées de période de détention de d’abord 24h puis ensuite 48h. Une garde à vue peut durer deux heures. Mais certains manifestants ont eu droit à 48h de garde à vue, ce qui est excessif. Cela est inadmissible dans une société de droit comme la nôtre, d’autant que nombre de délinquants violents ne se voient pas appliqués cette sévérité à leur encontre.

Au même moment, près de 150 personnes ayant subi des arrestations qu’elles jugent infondées étaient reçues à l’Assemblée nationale par des parlementaires de l’opposition. Peut-on parler d’agissements arbitraires de la part des forces de l’ordre lorsque des jeunes gens sont arrêtés pour le simple fait de porter un sweat-shirt de la Manif pour tous ?

C’est complètement arbitraire, puisqu’il s’agit simplement d’un signe distinctif d’une opinion. Arrêter des citoyens pour cette raison est contraire à la loi et contraire aux principes des droits fondamentaux du citoyen.

Du coup, peut-on espérer que les personnes responsables de ces arrestations aient à rendre des comptes devant la justice ?

Cela n’est pas aisé, le citoyen est en quelque sorte pris en otage. Lorsque l’on dépose une plainte, c’est le parquet qui décide. Celui-ci, rappelons-le, est sous la hiérarchie du pouvoir politique et du gouvernement et ses ordres viennent de la Chancellerie.  

Quel serait le recours possible pour tous ces manifestants qui s’estiment victimes d’arbitraire ?

La meilleure réponse serait de se constituer en collectif, afin de recueillir de manière méthodique toutes les infractions commises, et de réunir le maximum d’éléments et preuves formelles documentant des abus de droits supposés. Je pense qu’à partir de là, il soit plus judicieux d’attaquer directement l’Etat devant la Cour européenne des Droits de l’homme. Une telle démarche aurait plus de chance d’aboutir que de par exemple déposer une plainte devant le parquet contrôlé par le pouvoir.

En tout état de cause, je pense que toute cette histoire n’est pas finie. De nombreuses personnes –jeunes, personnes âgées ou familles- ont été choquées par la violence du traitement qu’ils ont subis. Je crois qu’il y a une blessure profonde et que du coup la mobilisation ne va pas en rester là.

En définitive, cette décision illustre un nouveau durcissement contre les manifestants, qui je pense correspond à des instructions venant de très haut.

Propos recueillis par Benjamin Weil

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