Dette grecque : négocier ou pas avec Tsipras, où est le plus grand danger pour l’Europe (et pourquoi la solution est beaucoup plus proche qu’on le croit) <!-- --> | Atlantico.fr
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Alexis Tsipras est le nouveau Premier ministre grec
Alexis Tsipras est le nouveau Premier ministre grec
©Reuters

Ardoise

Le président du Parlement européen Martin Schulz se rendra jeudi à Athènes afin de rencontrer le nouveau Premier ministre grec Alexis Tsipras, L'occasion pour les deux hommes d’évoquer la négociation entamée entre la Grèce et ses créanciers.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : La question de la dette grecque sera à nouveau à l'ordre du jour ce vendredi 30 janvier lors de la rencontre entre le ministre grec des Finances Yanis Varoufakis et le président de l'Eurogroupe, le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem. La solidarité européenne montre-t-elle ses limites sur ce dossier? En ce sens, est-elle excessive ou insuffisante ?

Jean-Paul Betbèze : Répondons de manière directe : les Grecs ont voté pour rester dans la zone euro, mais ils veulent en changer les conditions, notamment par rapport à leur dette publique. Rester sans payer, sachant que le tiers de la dette a déjà été payé par les membres de zone euro (suite à un abandon significatif de la dette grecque détenue par les compagnies d’assurance) et que les pays ont déjà accepté le principe d’une nouvelle réduction… c’est beaucoup ! Ceci montre, en creux, l’effort de la zone euro et de ses membres, non seulement les politiques, mais les citoyens eux-mêmes, car c’est dorénavant leur dette publique qui va monter, après la baisse de leurs assurances vie (avec l’effacement des titres grecs). Parler de solidarité renvoie à d’autres logiques, notamment morales, qui ne sont pas le sujet. Il s’agit en effet, de part et d’autre, de responsabilité. La Grèce n’a pas été forcée à s’endetter, à embaucher des fonctionnaires, à investir, à trop augmenter ses salaires par rapport à sa productivité. Ce n’est pas d’une pression externe qu’il s’agit mais au contraire d’un défaut de surveillance, externe et interne. Et la solidarité, aujourd’hui, ce doit être de renforcer la gouvernance partout, en Grèce bien sûr, et ailleurs. 

Nicolas Goetzmann : Pour commencer, il me semble essentiel de recadrer ce débat selon une terminologie cohérente. La question n’est pas de savoir si la Grèce doit, ou ne doit pas payer, car cette question relève d’une dimension morale, mais de savoir si la Grèce peut payer, ce qui est une question économique. Parce que cette dimension morale, en Europe, devient insupportable.

Donc, la question est : la Grèce peut-elle payer ? Et pour répondre à cette question, il suffit de regarder ce que cela coûte au pays. 25% de chômage, 50% pour les jeunes, une baisse des dépenses des ménages de l’ordre de 40%, une baisse du Smic de 20%, l’absence de couverture santé pour 30% de la population. Le prix me semble élevé pour payer une dette qui est, je le rappelle, basée sur un contrat qui suppose une prise de risque de la part du créancier. S’il n’existe pas de risque au remboursement, alors il ne doit pas y avoir de taux d’intérêts et il ne s’agit pas d’économie de marché.

Les mesures d’austérité qui sont demandées à la Grèce sont insupportables en l’état, et c’est ce qui a provoqué la victoire de Syriza. Cela ne veut pas dire que la dette doit être annulée, mais que la dette doit être rééchelonnée de telle façon que le coût ne soit pas si lourd pour la population. Les composants de la dette sont : la durée, le taux, et les revenus du débiteur, c’est-à-dire la croissance. Il existe donc trois leviers permettant d’aider la Grèce sans que celle-ci passe par la case défaut. Le tout est de savoir si l’Europe est une « union » ou pas.

Que peut-on attendre de cette rencontre ?

Jean-Paul Betbèze : Pendant que les hommes politiques se préparent, les marchés font leurs calculs - vite. Ils savent que, depuis quelques mois, les impôts grecs rentrent moins et que les dépôts bancaires se vident, forçant les banques à demander des aides de trésorerie à la BCE, une BCE qui a déjà indiqué que les banques grecques étaient sous capitalisées. La bourse grecque comprend le danger et chute. De son côté, Mario Draghi a dit que son programme de Quantitative easing qu’il vient de lancer bénéficierait au pays investment grade, ce qui n’est pas le cas de la Grèce (avec Chypre) et que ces deux pays ne pourraient en bénéficier qu’en restant sous programme, autrement dit dans le programme d’ajustement dit « de la Troïka » (Commission européenne, FMI, BCE). La gauche radicale, dans sa campagne, a indiqué qu’elle voulait en sortir. C’est là le point d’opposition le plus net, non seulement avec la Commission mais aussi avec la BCE. C’est ce point qui va « crisper » les marchés, au-delà des nouvelles conditions de crédit faites au gouvernement grec – conditions, en fait, assez largement acceptées.

Nicolas Goetzmann : Depuis l’élection d’Alexis Tspiras, et même les jours qui l’ont précédée, les deux parties se sont livrées à une surenchère de menaces. Tout le monde montre ses muscles avant la négociation. D’un côté, L’Allemagne et la BCE avertissent que si le plan n’est pas respecté, les banques grecques seront sorties du système européen, ce qui, en d’autres termes, veut dire que la Grèce sera expulsée de la zone euro. Et de l’autre côté, Syriza rappelle l’accord de Londres de 1953 sur la dette allemande. Bref, tout va bien.

L’ironie est que la demande formulée par Alexis Tsipras est presque déjà acquise, puisque selon les calculs de Bruegel, le paiement des intérêts de la dette Grecque passera de 4.5% du PIB en 2014, à 2.6% en 2015, ce qui correspond presque à l’objectif de 2% affiché par Syriza. Il suffira d’allonger la durée de certains prêts ou d’abaisser légèrement le taux, et le résultat sera conforme aux attentes. De plus, le plan d’assouplissement quantitatif annoncé la semaine passée par la BCE est le plus grand plan de sortie de crise de la zone euro avancé depuis 2008. Il existe donc des marges de manœuvre, si et seulement si, les dirigeants européens veulent bien sortir de cette dimension morale.

Le principe de conditionnalité évoqué par le nouveau ministre des Finances grec, Yanis Varoufakis, soumettant le paiement de la dette au niveau du taux de croissance, est-il une réellement une option ? Une provocation ? Ou est-ce légitime ?

Jean-Paul Betbèze : L’idée, partagée par tous, est que la dette doit être « soutenable ». Ceci implique à la fois une reprise de la croissance – ce qui est en cours, des réductions des taux d’intérêt et un allongement de la durée des prêts – ce qui devrait commencer, si la Grèce poursuit ses efforts de gouvernance. Il s’agit d’améliorer la collecte de l’impôt, de moderniser le système public, d’améliorer profondément la gouvernance publique (corruption), de privatisations. Sans quoi la croissance ne repartira pas, puisque les "fuites" n’auront pas été colmatées. La croissance ne repart pas durablement avec des dettes non payées : elle repart un temps, mais les problèmes reviennent vite. Et les marchés financiers privés sont particulièrement aux aguets. Le lien paiement de la dette/croissance passe donc à côté de la modernisation privée et publique du pays. Ce qui s’est passé ces dernières années le montre bien : l’excès antérieur de dette, privée et publique, a certes permis de croître, mais de manière factice. En réalité, la restructuration de l’économie grecque doit être profonde, avec un rôle décisif du secteur privé, et ce seront des capitaux étrangers qui aideront – inutile de se cacher cette vérité… économique.

Nicolas Goetzmann : Il s’agit presque d’un piège. Parce que le mandat de la BCE est de délivrer une inflation proche mais inférieure à 2% à la zone euro. Nous en sommes en très loin aujourd’hui avec une inflation de -0.2%. Ce que dit Varoufakis en avançant cette idée de conditionnalité revient à dire : nous paierons notre dette et nous respecterons nos engagements lorsque la BCE respectera les siens. C’est-à-dire lorsque la croissance sera suffisamment forte pour générer une inflation proche de 2%. L’argument est compliqué à retourner, parce qu’il touche au cœur des institutions. On reproche beaucoup aux Etats de ne pas être dans les clous, mais la BCE ne respecte pas non plus son mandat.

Donc, il me semble que les institutions européennes peuvent prendre Yanis Varoufakis au mot, et accepter cette conditionnalité, mais en rajoutant une clause. Si le paiement de la dette est conditionné au retour de la croissance, alors le montant du remboursement doit augmenter avec la croissance elle-même. Une sorte de clause de retour à meilleure fortune.

L’Europe n’y perdra rien, les contribuables européens non plus et la Grèce retrouvera sa "dignité", ce qui, après ces quelques années, devrait être une priorité en Europe.

La situation économique du pays s'est-elle suffisamment améliorée pour que la Grèce puisse continuer au sein de la zone euro ?

Jean-Paul Betbèze : Tout doit être fait pour qu’il en soit ainsi : un soutien de tous les membres de la zone à la renaissance de l’économie grecque, mais un soutien responsable, dans la durée, avec plus de surveillance sur ce qui se fait – donc des conditions. Autrement ce sont les autres pays qui vont être affaiblis : les taux y montent déjà. Autrement le message sera entendu et repris par d’autres groupes dans d’autres pays, avec des risques croissants. Autrement la BCE peut être profondément affectée – avec cette fois des risques d’éclatement. Ne nous cachons pas la face : c’est parce que la Grèce va mieux, ou moins mal, que ce problème se pose. L’impatience politique accompagne toujours les longues convalescences.

Nicolas Goetzmann : L’idée d’une Europe sans la Grèce me semble absurde. Autant une sortie est légitime si elle est décidée par la population locale, autant il me semble parfaitement illégitime qu’un membre puisse chercher à exclure la Grèce. Evidemment la Grèce est un maillon fragile de la zone euro, mais il aussi absurde de vouloir faire sortir la Grèce de l’Europe que de vouloir exclure le Nord-Pas-de-Calais de la France. Ou alors il ne fallait pas faire d’union monétaire et l’Europe n’existe pas. Et c’est bien la question que doivent se poser ceux qui ont cette tentation.

Les deux parties doivent faire des efforts, le service public grec n’est pas un modèle, c’est une évidence, mais la contraction du PIB n’est pas une stratégie politique viable. L’intégralité des pays qui ont réussi ce type de transition ont réalisé des réformes en étant soutenus par une politique monétaire expansionniste. La Grèce doit continuer de se réformer, parce qu’elle a vraiment commencé à le faire, mais la zone euro doit lui offrir les conditions du succès.

Quelle serait alors une solution pérenne sur le dossier de la dette grecque ?

Jean-Paul Betbèze : La première leçon est que la supervision est plus importante que la régulation : il faut mieux (avec courage) surveiller ce qui se passe, même si les règles ne sont pas parfaites. La deuxième leçon est la supervision doit être le fait de tous chez tous. C’est bien ce qui se passe désormais avec les stratégies budgétaires, où chaque pays fait part de sa stratégie budgétaire devant la Commission, avant son Parlement, pour voir si ceci « boucle » au niveau agrégé. C’est le début d’une concertation qui doit s’améliorer constamment. La troisième leçon est que la surveillance bancaire centralisée, autrement dit fédérale, l’Union bancaire, est un immense progrès. Un progrès à poursuivre dans la fiscalité : à uniformiser, la recherche…. Les crises grecque, espagnole, irlandaise… ont été au fond des crises d’impatience économique, ces pays voulant rejoindre au plus vite le peloton européen. Ce qui se passe prouve bien que la dette ne permet d’aller réellement plus vite que pour de bons projets, pas des bulles immobilières. C’est un drame que ce soient les plus faibles qui payent la faute de leurs "responsables".

Nicolas Goetzmann : Concernant la dette relevant du FESF, les taux sont déjà au plus bas, et la durée est de 30 ans. Pas grand-chose à gagner de ce côté-là. Concernant les prêts bilatéraux, une réduction du taux semble possible, mais également un allongement de la durée, ce qui offrirait déjà une marge de manœuvre substantielle pour Tsipras. Et tout cela, sans que le paiement de la dette ne soit impacté. Le plan Juncker pourrait également participer à une relance de l’activité dans le pays. De plus, la simple annonce que l’Europe est derrière la Grèce, alors que la BCE vient de mettre en place son assouplissement quantitatif, devrait permettre d’améliorer la croissance grecque. De nombreuses conditions sont d’ores et déjà réunies pour que cela soit possible. Il ne reste que les bonnes volontés. Malheureusement, l’explosion des taux grecs sur les marchés financiers montre bien que la probabilité de vouloir "faire un exemple" devient sérieuse. Il n’y pas que Tsipras qui doit être raisonnable, les "Européens" aussi. L’Allemagne en particulier.

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