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Déstabilisation : pourquoi Angela Merkel pourrait bien être la prochaine cible de Vladimir Poutine
©Reuters / Hannibal Hanschke

Duel au sommet

Depuis 2007, Angela Merkel n'a cessé d'afficher une attitude d'opposition à l'égard de Vladimir Poutine, malgré la réprobation d'une partie des industriels allemands. Une position qu'elle devrait vraisemblablement conserver dans le cadre des prochaines élections générales.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : L'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche laisse augurer certains d'un réchauffement des relations entre les Etats-Unis et la Russie. Dans quelle mesure l'Allemagne d'Angela Merkel pourrait alors devenir le nouvel ennemi libéral de Vladimir Poutine ?

Edouard Husson : Angela Merkel focalise de plus en plus clairement l'hostilité de Vladimir Poutine à l'ordre occidental d'après la Guerre froide. La chancelière allemande est foncièrement opposée à Vladimir Poutine au moins depuis la guerre d'Ossétie du Sud de l'été 2008, plus vraisemblablement depuis la Conférence sur la Sécurité de Munich de 2007, au cours de laquelle le dirigeant russe avait dénoncé le monde régulé par une seule puissance (les Etats-Unis) et prôné un monde multipolaire.

L'hostilité réciproque est ancienne mais il est vrai qu'elle devient de plus en plus visible. Un temps, l'incompréhension réciproque entre la chancelière allemande et Vladimir Poutine était partiellement masquée par les efforts de Barack Obama et Nicolas Sarkozy pour trouver des terrains d'entente avec Moscou. Après le tournant antirusse de la politique américaine en 2011 et la défaite électorale de l'ancien président français, l'antagonisme Berlin/Moscou a joué à plein. La crise ukrainienne a servi de détonateur pour une montée de la tension. Vladimir Poutine a refusé le basculement de l'est de l'Ukraine dans l'Union européenne, préférant la scission du pays (comme Staline avait préféré la partition de l'Allemagne à son intégration complète à l'ordre anglo-américain en 1949).

Notons enfin que le "libéralisme" de Merkel doit s'entendre aussi au sens américain, un système de valeurs de centre-gauche, où la liberté des moeurs est poussée le plus loin possible. La chancelière allemande est plus à gauche que son propre parti et même qu'une partie de la social-démocratie allemande sur ces sujets. Cela lui attire les foudres d'un président russe qui compte sur la rechristianisation de son pays pour consolider sa politique. 

Qu'est-ce qui explique qu'Angela Merkel apparaisse, à l'heure actuelle, comme le seul dirigeant européen tenant tête à Vladimir Poutine ?

Portée en 2005 pour la première fois à la Chancellerie par l'électorat allemand, Madame Merkel a connu déjà deux présidents français, trois présidents américains, trois premiers ministres britanniques, quatre premiers ministres italiens etc....Il n'y a que Vladimir Poutine, parmi les dirigeants européens, à la surpasser en longévité politique. Cela alimente l'antagonisme. En même temps, la crise du modèle américain ou celle de l'Union européenne font basculer les alliés traditionnels de la République fédérale dans des choix politiques qui ressemblent, au moins partiellement, à ceux de la Russie: retour du sentiment national ou d'un modèle familial conservateur au premier plan, refus au moins partiel de l'immigration, redécouverte de la "politique industrielle", retour à une forme de protectionnisme, contrôle des frontières etc....

Angela Merkel défend le monde d'avant: supranationalisme, individualisme, libre-échangisme, sans oublier, bien entendu, sa politique d'immigration. La radicalité de sa politique d'accueil des réfugiés a encore accentué le contraste avec un président russe qui fait de la lutte contre le terrorisme islamiste une priorité. Plus elle aura le sentiment d'être isolée, plus elle s'opposera à Vladimir Poutine. Et ceci d'autant plus que la mobilisation contre une Russie qui a l'air de prendre systématiquement le contrepied des choix politiques occidentaux est l'une des rares cartes politiques que la chancelière, en perte de vitesse dans les sondages, peut jouer en espérant mobiliser à la fois le sentiment démocratique des Allemands - qui sont prêts à aimer la Russie mais non son président - et des réminiscences de la Guerre froide dans les générations les plus âgées. 

Divulgation de fausses informations, rumeurs, révélations, assassinats politiques, etc. : ces pratiques, réunies sous l'appellation de "Zersetzung", étaient encore pratiquées en Allemagne de l'Est jusqu'en 1989. Dans quelle mesure cet héritage impacte-t-il la relation entre l'Allemagne et la Russie ? Peut-il conférer à la chancelière un avantage dans la lutte qu'elle semble vouloir engager avec Vladimir Poutine ?

La chancelière a commencé à préparer le terrain: les parlementaires de sa majorité sont d'accord pour faire passer une législation fondant le droit de lutte contre les réseaux sociaux diffusant des "fake news". Peut-etre que si la RDA existait toujours aujourd'hui, elle adapterait les méthodes de la "Zersetzung", de la déstabilisation des pays voisins à l'univers d'internet. Angela Merkel, en tout cas, se souvient que Vladimir Poutine fut agent du KGB en RDA. Et elle semble penser que le président russe d'aujourd'hui n'est que le prolongement de l'agent secret de naguère. Et elle annonce son intention de lutter contre toute tentative de subversion. Je me demande s'il y a plus derrière cette opposition à la "Zersetzung" redoutée qu'une tentative de mobilisation politique. Ne soyons pas dupes. Les pays occidentaux sont au moins aussi performants que l'ancienne RDA et la Russie d'aujourd'hui en matière de déstabilisation des partenaires et des sujets. La NSA a tenté de percer les défenses informatiques de la Russie depuis 2008, avec un soutien actif des services suédois. En matière de "Zersetzung", les services allemands ont joué de main de maître pour faire éclater la Yougoslavie (entre 1980 et 1992). Je ne crois pas que l'expérience est-allemande de la chancelière, qui a passé trente-cinq ans de sa vie en RDA, soit décisive; elle est très naïve dans ce domaine - la NSA a pu écouter ses conversations téléphoniques pendant des années. En revanche, la chancelière peut compter sur le professionnalisme des services secrets allemands et, sans doute, sur le soutien dans ce domaine, d'autres pays occidentaux. 

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