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Ces “petits” détails qu’oublie l’Allemagne dans sa réplique à Donald Trump sur sa toute puissance européenne supposée
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C'est pas moi c'est Mario

Alors que l'équipe de Donald Trump s'en prend vigoureusement aux excédents commerciaux allemands, le ministre des Finances Wolfgang Schäuble admet un problème tout en accusant Mario Draghi d'être à l'origine de la sous-évaluation de l'euro.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Alors que l'administration Trump, par l’intermédiaire de Peter Navarro, critiquait l'Allemagne en raison de ses excédents commerciaux, sur la base d'une monnaie sous évaluée, le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble a acquiescé en rejetant la faute sur la politique menée par Mario Draghi à la BCE ? Comment comprendre cette réaction du ministre allemand ?

Edouard Husson : D'habitude ce sont les hommes et femmes politiques allemands qui disent les choses un peu trop franchement. Là ils sont battus à leur propre jeu. Le président américain, se moquant des usages et de la langue feutrée qui entoure les questions monétaires a fait perdre ses moyens à ce vieux routier de la politique qu'est Wolfgang Schäuble, vétéran du Parlement allemand, puisqu'il est élu depuis 1972, et ministre quasi-inamovible de Helmut Kohl puis, après la période Schröder, d'Angela Merkel ! Le plus étonnant, c'est que Schäuble ne refuse pas l'argument du président Trump, il surenchérit. Il acquiesce à l'idée selon laquelle le mark est sous-évalué pour l'Allemagne. Et il en rend responsable le président de la BCE. Ecoutons bien: le président américain fait dire à la personnalité politique la plus appréciée des Allemands qu'effectivement il vaudrait mieux un euro plus fort mais que l'euro est en quelque sorte pris en otage par le "quantitative easing" de Mario Draghi. Il y a vraiment de quoi faire entrer la zone euro en turbulence, et c'est sans doute l'un des objectifs recherchés: voici la deuxième déclaration en deux semaines d'un proche de Trump mettant en cause la cohérence de l'eurozone. Ce que dit Schäuble a de quoi effrayer un Européen du Sud et même un Français: tandis que l'euro est sous-évalué pour l'Allemagne, il est surévalué pour de nombreux pays. Schäuble ne veut pas être accusé d'être un mauvais camarade européen; mais la réponse qu'il fait le transforme en plus mauvais camarade encore. Ce n'est plus seulement la Grèce que Schäuble veut voir sortir de la zone euro ; c'est la France et l'Europe du Sud ! Et bien, agissons vrai! 

Nicolas GoetzmannWolfgang Schäuble est visé directement par l'administration américaine, qui, même avant l'arrivée de Donald Trump, implorait l'Allemagne de cesser sa politique d'excédents commerciaux maximums. Il est à rappeler que l'Allemagne ne respecte pas les règles européennes en vigueur à ce propos, puisque l'excédent commercial est limité à 6% du PIB alors que la position allemande est proche de 9%. Ce qui est critiqué, ce n'est pas la qualité des produits allemands, c'est la méthode employée par l'Allemagne, qui consiste à réprimer sa demande intérieure, tout en profitant de la demande extérieure, notamment en provenance des Etats Unis, pour créer son excédent. La réaction allemande consiste donc à accuser Mario Draghi et sa politique expansionniste de provoquer une sous-évaluation de l'euro, qui serait à l'origine du déséquilibre. Wolfgang Schäuble se débarrasse du problème tout en poursuivant son objectif, qui est de faire taire Mario Draghi. Évidemment, ce sont des arguments totalement fallacieux, parce que la politique d'excédents commerciaux, si elle est favorisée par un euro faible, est d'abord le fruit des décisions du gouvernement allemand. C'est le déséquilibre entre épargne et investissement, ajouté à l'excédent budgétaire du pays, qui conduit à la création de cet énorme excédent commercial. La sous-évaluation de l'euro par rapport aux fondamentaux allemands n'est que le résultat d'une union de 19 pays, aux forces inégales, et dont l'Allemagne est le plus puissant. C'est un déséquilibre structurel inhérent à la construction européenne. 

Qui de Peter Navarro ou de Wolfgang Schauble propose les arguments les plus solides ? Quelles sont les responsabilités ? 

Edouard Husson : Schäuble nous confirme comme l'Union Européenne vit, depuis vingt-cinq ans dans l'idéologie de la stabilité monétaire à tout prix dans un monde de fluctuations monétaires permanentes. Comment peut-on justifier un système qui ne fait que des insatisfaits : l'Allemagne, parce que l'euro est sous-évalué, et bien des partenaires de l'Allemagne au sein de l'union monétaire, pour qui l'euro est surévalué? La stabilité monétaire ne peut pas être un objectif en soi, surtout en régime international de flottement des monnaies. C'est le vice de constitution de l'euro: il n'a en rien contribué à faire diminuer l'instabilité monétaire internationale qui règne depuis la décision de Nixon, en août 1971, de découpler le dollar de l'or. La stabilité qu'il a apportée un temps à l'Europe continentale été en fait de courte durée : dans un premier temps les partenaires commerciaux européens de l'Allemagne ont profité du pouvoir d'achat artificiel que leur donnait l'euro pour absorber massivement les exportations allemandes ; ce faisant, ils se sont endettés et sont devenus fort vulnérables lorsque le monde a plongé dans la crise. Toutes choses égales par ailleurs, la France et les pays d'Europe du Sud ont fait une expérience similaire à celle des Allemands de l'Est à qui Helmut Kohl avait fait cadeau du mark. Comme dans l'ancienne RDA, cela n'a eu qu'un temps. Depuis 2010, l'Allemagne ne peut que constater la fragilisation de son premier bassin d'exportation, l'UE, sans pour autant compenser entièrement hors d'Europe ce qu'elle perd en son sein. En effet, le reste du monde n'a pas renoncé à la fluctuation monétaire pour s'ajuster à la conjoncture. L'argumentation de Schäuble est donc difficile à justifier. Pour autant, il ne s'agit pas de donner raison à Navarro. Le régime de l'étalon-dollar a engendré un "quantitative easing" permanent - l'économie mondiale avait besoin, pour se financer, de l'endettement américain - bien plus significatif et prolongé que les interventions de Mario Draghi pour l'euro. 

Nicolas Goetzmann : Peter Navarro et Wolfgang Schäuble partagent finalement une vision du monde commercial un peu datée, qui n'a pas grand-chose à voir avec les réalités. Ils pensent tous les deux qu'un excédent commercial fait la richesse d'un pays, dans une sorte de vision néo-mercantiliste. Navarro pense qu'un excédent commercial permet de faire progresser le PIB, tout comme Wolfgang Schäuble. Mais ce n'est pas le cas. Un excédent commercial n'est que le miroir des sorties de capitaux, ce qui vient neutraliser son impact sur le PIB. Voilà pourquoi France et Allemagne ont strictement la même croissance depuis 1999, alors que l'Allemagne a fait passer son excédent de près de 0% du PIB en début de période à près de 9% en 2016, et que la France est en déficit commercial aujourd'hui alors qu'elle était en excédent. C'est aussi pour cela que les Etats Unis ont la plus forte économie occidentale, et ce, malgré un déficit commercial qui dure depuis près de 40 ans.

Quelles sont les moyens de rétablir la situation et ainsi d'équilibrer les rapports commerciaux entre Europe, Allemagne et Etats Unis ? 

Edouard Husson : Plaçons-nous du point de vue de la France. La politique du franc fort puis l'acceptation de l'euro tel qu'il est construit ont été des erreurs gigantesques, qui ont cassé le dynamisme de notre pays (le sort de l'Italie, de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce est encore plus tragique). Des générations de hauts-fonctionnaires français ont tâché de trouver un ersatz au défunt étalon-or; et ont cru le trouver dans la recherche d'un arrimage du franc au mark puis dans l'euro, sans voir que généraliser à l'ensemble de l'UE la stabilité monétaire à l'allemande (une culture bien particulière qui s'accompagne aussi d'une des démographies les plus basses du monde) quand le reste du monde avait accepté le régime de changes flottants avait quelque chose de suicidaire. De Giscard à Hollande, la France a tourné le dos au dynamisme entrepreneurial et financier anglo-américain, dont l'un des ressorts est, depuis 1971, la flexibilité monétaire. Non pas que ce régime n'ait eu ses excès : libre-échange idéologiquement appliqué et absence de maîtrise d'une finance passée à l'ère numérique. A Londres comme à Washington, aujourd'hui, on tâtonne à la recherche d'un nouvel équilibre commercial et monétaire. Mais la France aurait eu, contrairement au dogme qu'on nous serine depuis trente ans, intérêt à se tourner vers la Grande-Bretagne et les Etats-Unis plus que vers l'Allemagne. Erreur tragique de François Mitterrand, qui préfèra Helmut Kohl à Margaret Thatcher. Saurons-nous saisir, avec Theresa May, l'occasion ratée il y a trente-cinq ans, d'une alliance avec la Grande-Bretagne ? Saurons-nous, avec Londres, créer un pôle de stabilité, qui pourrait à la fois canaliser les initiatives de Washington, provoquer un rééquilibrage face à Berlin et tendre la main à Moscou ? J'assume mes propos iconoclastes parce que l'euro est en train d'asphyxier toute la façade méditerranéenne de l'Europe et d'user notre pays à petit feu. Je refuse de ne pouvoir choisir qu'entre la froide raison d'Etat berlinoise et la vision économique passéiste du Front National. L'intérêt de la France serait, aujourd'hui, que l'éclatement de la zone euro, inéluctable, ait lieu vite afin que notre pays puisse non seulement lutter à armes égales avec une Allemagne à la monnaie réévaluée - laissons à Schäuble sa sincérité - mais aussi contribuer à un nouveau dynamisme transatlantique. Nous le devons à notre jeunesse, à nos chercheurs, à nos inventeurs, à nos entrepreneurs. 

Nicolas Goetzmann : Paradoxalement, et ironiquement, c'est la poursuite et l'expansion de la politique monétaire menée par Mario Draghi qui pourrait aider. Parce que la relance de la demande intérieure européenne, dans un contexte de plein emploi en Allemagne, conduit à l'accélération des salaires dans le pays, et donc à une perte de l'avantage commercial que connaît le pays. Plus cette politique dure, plus l'Allemagne aura du mal à réprimer la consommation et l'investissement en Allemagne, ce qui conduira à un affaissement de son excédent commercial. Une telle politique, qui consiste à offrir à l'Europe une croissance conforme à son potentiel permet d'équilibrer les rapports avec les États Unis. Pour que Washington se rende compte que l'Europe participe enfin à la croissance mondiale. L'Allemagne peut cependant faire plus, en relâchant son étau budgétaire, en favorisant les hausses de salaires, ce qui aura également pour effet de relancer l'investissement privé. 

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