Désobéir au RN s’il ne respectait pas le caractère républicain de nos institutions ? Soit… Mais qui définit ce “caractère républicain” ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Des tracts électoraux du Rassemblement National (RN), avant les élections anticipées pour une nouvelle Assemblée nationale, les 30 juin et 7 juillet 2024.
Des tracts électoraux du Rassemblement National (RN), avant les élections anticipées pour une nouvelle Assemblée nationale, les 30 juin et 7 juillet 2024.
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Souveraineté populaire

Le diable se niche dans les détails. Des militants ont largement piraté la République au profit de leur idéologie et se cachent derrière un droit supposément neutre mais qu’ils ont tordu jusqu’à nier la souveraineté populaire.

Jean-Eric Schoettl

Jean-Eric Schoettl

Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel entre 1997 et 2007. Il a publié La Démocratie au péril des prétoires aux éditions Gallimard, en 2022.

Voir la bio »
Bertrand Saint-Germain

Bertrand Saint-Germain

Bertrand Saint-Germain est Docteur en droit, essayiste, auteur de Juridiquement correct, comment ils détournent le Droit, publié aux éditions La Nouvelle Librairie (2023).

Voir la bio »

Atlantico : Dans une tribune publiée dans les colonnes du Monde, le professeur de droit public Serge Slama indique que « si les politiques et les lois du RN sont contraires au caractère républicain de nos institutions, il pourra être nécessaire de désobéir ».  Qui définit réellement ce « caractère républicain » ? Qui a une telle légitimité ? Les institutions et la démocratie ne garantissent-elles pas le caractère républicain ?

Jean-Eric Schoettl : Qui définirait en effet le caractère républicain ou non de la politique suivie par un gouvernement RN ? N’importe qui, au sein de l’appareil d’Etat ou en dehors de celui-ci ? Tout un chacun pourrait-il se poser en juge de la légalité ou de la constitutionnalité de l’action gouvernementale, sans attendre l’épuisement des voies légales de contestation de cette action, notamment juridictionnelles ? En recourant à quels moyens ? A des actes de sabotage juridique ou matériel ? Voilà qui conduirait à l’anarchie, c’est-à-dire à la forme la plus antidémocratique qui soit de gouvernement. Au prétexte de combattre l’oppression, on soumettrait la société à la pire des oppressions : celle des commissaires politiques autoproclamés. Au prétexte de combattre l’arbitraire gouvernemental, on ferait régner celui des comités de salut public. Au prétexte de sauver la République, on ressusciterait Robespierre. 

A ces idées irresponsables, il faut répondre qu’un gouvernement arrivé aux affaires conformément aux procédures institutionnelles, revêtu de l’onction du suffrage universel et exerçant ses prérogatives dans le respect de la Constitution et du principe de la séparation des pouvoirs, ne peut être qualifié d’oppresseur. 

L’auteur que vous citez - et d’autres thuriféraires de la subversion - invoquent bien mal à propos l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ("Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression"). Cet article range certes le droit de résistance à l’oppression parmi les « droits naturels et imprescriptibles » de l’homme. Mais il n’y a d’oppression que lorsqu’un tyran a établi son empire sur la société par la violence et en piétinant la Constitution. Dans la tradition républicaine, le droit de résistance à l’oppression n’entre en vigueur que lorsqu’il n’y a plus de Constitution. 

Tel ne serait pas le cas d’un gouvernement RN arrivé légalement aux affaires et respectueux des institutions, quoiqu’on pense de son programme. Si on veut le combattre, c’est par des moyens démocratiques et licites (le vote, le droit au recours, les droits de presse, de manifestation et de réunion…). Si on est mécontent de la loi adoptée sous une majorité RN, on peut la critiquer et militer pour son abrogation, mais tant qu’elle est en vigueur, il faut la respecter. Les agents publics ont un devoir de réserve et de loyauté envers le gouvernement légal. C’est le manque de loyauté qui serait antirépublicain. Nous sommes ici à nouveau confrontés à cette inversion des valeurs dont l’extrême gauche est coutumière. Il s’agit d’une révolte contre la démocratie, contre le suffrage universel, contre le peuple : si celui-ci tourne le dos à la doxa, il faut débrancher la souveraineté populaire. Qu’en pense M Hollande ?

Bertrand Saint-Germain : Serge Slama est un universitaire engagé en faveur de la gauche radicale. Son action est typique de ce que les Américains appellent le “cause lawyering”, un courant d’inspiration marxiste très influent ; d’un point de vue technique, il vise à apporter aux causes qu’il soutient l’aide d’une armée de combattants judiciaires marxistes. Alors, des techniciens du droit se servent explicitement de leur formation à l'appui d'un but politique, comme nous l’avions montré en présentant cette guerre du droit que mènent les progressistes pour accroître leur influence. Serge Slama a fait une thèse sous la direction d'une universitaire, elle-même marquée dans la gauche radicale, militante communisante et qui fut l'une des fondatrices du Groupement d'information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI). Il s’agit d’un mouvement associatif radical dont fait également partie Serge Slama et qui n’a eu de cesse, depuis sa création, d’obtenir toujours plus de droits pour les étrangers (spécialement en matière sociale). Drapé de sa compétence universitaire, il a tendance à n’agir qu’en militant politique. Cela ne disqualifie pas son propos, mais cela doit être rappelé afin d’éclairer l'objectif qui est le sien en publiant cette Tribune. Ils sont nombreux dans l’Université à agir comme Serge Slama. Beaucoup le font avec plus de discrétion. 

Concernant le caractère républicain, il est important de garder en tête que la notion de République et du principe républicain ne correspondent à rien d'autre qu'à des mantras et des totems qui sont supposés avoir une valeur en société en négligeant le fait que la République n'a jamais été définie. Les « principes républicains » ne le sont d’ailleurs pas plus eux-mêmes. Concernant la République, sa définition étymologique est la “res publica”, la chose publique, le bien commun. Cette chose publique, ce bien commun s'intègrent et s’appliquent quelle que soit la forme politique du régime. Jean Bodin, au XVIᵉ siècle, définit simplement cette chose publique, cette res publica dans “Les 6 Livres de la République”. Il la définit comme étant le « droit gouvernement de plusieurs ménages, et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine » ; rien d’autre. Cette définition ne se réfère pas à une monarchie, à une aristocratie ou à une République, mais s’applique bien à tous les régimes politiques. Sous l'Ancien Régime, Venise, Pise ou Gênes sont des Républiques. On connaît encore des empires, des royaumes et quantités d’autres structures d'ordre politique. Aujourd'hui, la notion de République interroge. Il y a eu cinq Républiques en France et elles possèdent nombre de différences. Il est difficile de considérer que le terme de République possède une quelconque dimension idéologique précise, car comment réunir sous le même étendard les Comités de salut public de la Ière République, le régime bourgeois du prince-président Louis-Napoléon Bonaparte en 1848, une IIIe République esclave de la souveraineté parlementaire (prolongée par la IVe République avec son exécutif transparent) et la Ve République façonnée par De Gaulle et instituant un président surpuissant ? 

Derrière ce mot République, il y a une typologie de régimes politiques extrêmement larges. En élargissant le regard, il est possible de se rendre compte que l'Iran est une République comme le Vietnam ou la Chine... Le mot République en tant que tel ne désigne donc pas un régime politique particulier gravé dans le marbre. Ce mot-là est souvent utilisé comme un mantra. La République serait une sorte d'ordre démocratique, un système où tout serait parfait, via le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple comme le dit l'article 2 de la Constitution. 

Cette République en tant que telle n'est pas définie. Ce constat est similaire également au niveau des principes républicains qui incarneraient la République. Si l’on pense spontanément à la devise de la République : liberté, égalité, fraternité, tout juriste sait que ces mots sont extrêmement difficiles à définir avec précision. La liberté en droit est une capacité d'action, simplement ; et qui s’arrête d’ailleurs là où commence celle des autres... Qui plus est, les libertés publiques s’exercent dans le cadre des lois qui les régissent… Le contenu du mot « liberté » est donc bien contingent… Quant à l'égalité, tout le monde sait également que le mot n'a pas de sens abstrait ; l'égalité ne se comprend que par catégories. L'égalité, ce n'est pas être tous traités de la même façon, c'est traiter de la même façon les gens qui sont dans les mêmes catégories juridiques et dont les limites sont précisément déterminées par la loi, par la volonté générale (article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen). Quant à la fraternité, il s’agit d’un principe très abstrait qui fait aussi bien référence à la charité chrétienne qu'à la solidarité humaine. Le contenu de ce mot fourre-tout n'est, lui non-plus, absolument pas précis. Si l'on prend un autre totem d’aujourd'hui comme la laïcité, on découvre qu’elle ne fait l'objet d'aucune définition précise ! Depuis la loi de 1905, les contours de la laïcité ont été extrêmement mouvants. La laïcité d'aujourd'hui, celle envisagée par la justice ou par le gouvernement, serait absolument combattue par les fondateurs de la loi de 1905… 

A partir du moment où quelque chose n'est pas défini, n'importe qui peut se draper dans ces mots, dans cette République imaginaire et dans ces principes non définis pour prétendre être celui qui va en déterminer les contours. Chacun est son propre juge et il y a aujourd'hui une profession de juristes en républicanisme extrêmement habile à dénoncer l'insuffisance républicaine de telle ou telle personne alors même que nul n'a jamais défini ce qu'était la République en droit et surtout pour fonder des mesures politiques à l’encontre d’élus du peuple qui ne leur convient pas.

N’y a-t-il pas eu un piratage ou des attaques de la République de la part de militants au profit de leur propre idéologie et encore plus après un enchaînement de nominations de gauche dans notre hiérarchie judiciaire ? Ne se cachent-ils pas derrière un droit supposément neutre mais qu’ils ont tordu jusqu’à nier la souveraineté populaire ?

Bertrand Saint-Germain : Depuis une trentaine d'années, de plus en plus de juristes militants parviennent à s’imposer au cœur des institutions. Le “cause lawyering” que nous avions déjà pu évoquer est effectivement très présent. Il y a notamment un exemple très récent avec la décision du Conseil constitutionnel concernant les étrangers qui peuvent avoir par principe accès à l'aide médicale d'Etat. Cette décision a été critiquée mais un point n'a absolument pas été évoqué. Comment le Conseil constitutionnel a-t-il été amené à rendre cette décision ? Il s’agissait d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Il y a donc eu une saisine du Conseil constitutionnel par la Cour de cassation qui lui a demandé si la loi qui limitait l'accès des étrangers à l'aide juridictionnelle était ou non conforme à la Constitution ? 

Or, qui est donc le magistrat de la Cour de cassation qui transmet cette question au Conseil constitutionnel ? Le président de la chambre en cause est Mme Agnès Martinel, membre de longue date du Conseil supérieur de la magistrature et qui siégea pendant six ans au Conseil national de l'aide juridictionnelle (dont elle fut d’ailleurs présidente), position qui permet de comprendre son militantisme en faveur d'une extension de l'aide juridictionnelle pour les étrangers. Il est d’ailleurs possible de s'interroger sur le fait qu’elle ait pu susciter cette action puisque l'action est menée par la Ligue des droits de l'homme dont elle fut très proche, écrivant dans leur revue. Il ne s’agit pas, une fois encore, de contester son propos, mais bien de constater la proximité idéologique entre les requérants et le magistrat… Une fois constatée, comment ne pas voir que cette proximité interroge l’impartialité de la décision rendue ? Décision permettant à certains d'avancer leurs pions avec une complicité institutionnelle parfaite ici, entre le requérant et le magistrat qui transmet au Conseil constitutionnel. Tous deux sachant que Laurent Fabius ira encore plus loin dans l'utilisation politique de ses fonctions.

Pour prendre un autre exemple récent, la nomination du nouveau directeur général de l'ARCOM, Alban de Nervaux, pose aussi question. En effet, son épouse, Laurence de Nervaux, est la directrice du think thank Destin Commun qui vient de rendre en avril dernier un rapport qui analyse et conseille l’installation par l’Etat de migrants dans des communes rurales malgré la résistance locale. Destin Commun est notamment financé par L’Open Society de George Soros, Amnesty International ou Greenpeace… Or, par le plus grand des hasards, ce nouveau président de l’ARCOM est un membre du Conseil d'Etat ; et précisément l’un de ceux ayant eu à juger et aggraver la condamnation du professeur des universités Jean-Luc Coronel de Boissezon, dénoncé pour être trop à droite et en raison de son implication dans l’évacuation d’étudiants occupant illégalement un amphithéâtre de l’université de Montpellier en 2018. Le Conseil d’Etat a estimé que la sanction n'avait pas été assez sévère ; jugement dont la dimension politique était absolument claire.

Jean-Eric Schoettl : Le droit est devenu en effet, pour les militants, le terrain principal des luttes. Les prétoires plus encore que l’hémicycle. Aussi leur influence est-elle idéologiquement forte sur la jurisprudence.

Constante a été, depuis un demi-siècle, la propension du pouvoir juridictionnel (national et supranational) à interpréter les énoncés imprécis figurant dans les textes constitutionnels et les traités de façon toujours plus prétorienne et dans un sens toujours plus favorable aux droits des individus et des minorités, et toujours plus restrictif à l’égard de l’intérêt général, de l’ordre public et de leur garant, qui est l’Etat. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel a fait produire des effets juridiques, contraignants pour les pouvoirs publics, au principe de fraternité, qui n’avait jusqu’alors de place constitutionnelle que dans la devise nationale.

Or le droit ne doit pas négliger les intérêts indivis de la collectivité, le bien commun. Cela nous semble aller de soi en matière de relations du travail, d’environnement et d’urbanisme. Pourquoi n’en irait-il pas de même en matière d’ordre public, de contrôle des flux migratoires ou de droit pénal ? Gare à une vision des droits fondamentaux qui servirait l’individu abstrait, mais non la généralité des citoyens réels. Or tel est bien le danger aujourd’hui, car le droit contemporain intègre de moins en moins le souci de l’intérêt général. Sous la pression contentieuse et intellectuelle des ONG militantes, il magnifie des droits fondamentaux dont il a une vision de plus en plus absolue. Ainsi, en matière répressive, les droits de la défense occupent tout son champ de vision. Obnubilé par la protection légale du fauteur de troubles et du prévenu, le droit contemporain dessert les intérêts des victimes actuelles et potentielles. A la satisfaction des activistes et sous les acclamations médiatiques.

Avec des appels à la désobéissance comme celui que vous citez, nous franchissons une étape supplémentaire : c’est désormais le militant qui se fera directement juge de la conformité de la politique de son pays aux droits fondamentaux. La subjectivité que l’on peut reprocher aujourd’hui au juge sera portée à son paroxysme si elle devient le fait de tout activiste et que celui-ci bénéficie de la complaisance du pouvoir juridictionnel, notamment dans les procédures pénales et disciplinaires qui seraient engagées par les autorités gouvernementales contre les actes de rébellion.

Les garants des institutions et certains membres politisés au sein des institutions judiciaires n’ont-ils pas fermé grand les yeux sur les atteintes à la République et ses valeurs portées par une partie du Nouveau Front Populaire ?

Bertrand Saint-Germain : Cela traduit les limites de l'approche idéologique qui conduit à ne voir de défauts que dans le camp dont on a décrété que c'était celui du mal, et de parer, au contraire, de toutes les vertus, le camp décrété comme étant celui du Bien et dont d’ailleurs ces censeurs font partie. Cette union de la gauche électorale, ce Nouveau Front populaire rassemble des personnalités qui, en principe, ne devraient pas être ensemble et qui n'ont guère de choses en commun. Le fait de voir autour de la même étiquette François Hollande, social-démocrate ayant mené une politique assez libérale, et un militant pseudo antifasciste mais réellement violent et d’ultra-Gauche comme Raphaël Arnault en dit beaucoup sur cette unité idéologique à gauche qui n'est pas dénoncée par les censeurs que nous évoquions. 

Ainsi, le fait que des magistrats administratifs aient considéré que la dissolution des Soulèvements de la Terre était illégale montre bien que lorsqu’il y a une violence politique, pour peu qu'elle soit initiée par des individus qui mènent une action considérée comme légitime, cette action devient finalement défendable.

Il suffit de comparer un instant cette approche avec la brutalité de certaines sanctions, dans l'ordre pénal, contre les manifestants dits d’ultra-droite, réunis à Romans-sur-Isère après la mort du jeune Thomas. Pour illégale que fut leur manifestation et quoi qu’on pense de celle-ci, elle n’a pas donné lieu à des blessés ni à l’agression des forces de l’ordre ; elle n’en a pas moins été réprimée avec une brutalité judiciaire très forte.

Jean-Eric Schoettl : La tendance du juge contemporain (toutes catégories confondues), à l’invitation d’ONG militantes, est de désarmer l’Etat par des raisonnements inspirés de hautes abstractions, mais dont les conséquences concrètes sont d’ouvrir les vannes à la brutalité civile et à l’anomie. 

On en trouve une illustration dans la position du Conseil d’Etat dans l’affaire des « Soulèvements de la Terre » de 2023. Les décisions du Conseil d’Etat, en référé comme sur le fond, ouvrent un boulevard à tous ceux qui recourent à la destruction pour des motifs politiques. Aux termes de l‘ordonnance de référé, il serait en effet loisible aux activistes, dans un certaine proportion (non précisée), de commettre des exactions dès lors qu’ils « revendiquent le caractère symbolique » de leur geste. Il leur serait donc permis de semer le chaos, comme à Sainte-Soline, dans le but (pour reprendre le site Internet des « Soulèvements de la Terre ») d’« établir un véritable rapport de force en vue d'arracher la terre au ravage industriel et marchand ». 

Le Conseil d’Etat donne à la notion de désobéissance civile ses lettres de noblesse jurisprudentielles dans une acception maximaliste. Ce qui fait son chemin au Palais-Royal (comme dans une bonne partie des milieux intellectuels et institutionnels), serait d’ailleurs, plutôt que la notion traditionnelle de désobéissance civile, la notion mélenchonienne de « désobéissance civique », nom de code euphémistique pour insurrection. On pouvait penser que, dans une société démocratique, la désobéissance civile cessait d’être civique (et donc de mériter son appellation) si elle devenait violente. Tel n’est pas le cas du type de désobéissance civile (ou civique) musclée dont se réclament les écologistes radicaux. Ceux-ci dénaturent un concept que nous devons à l’américain Henry David Thoreau. Le juge laisse faire par affinité avec une certaine vision moralisatrice et conflictuelle de la société qui fait bon marché des devoirs civiques des citoyens, des intérêts professionnels et des prérogatives de l’Etat.

On peut aussi mentionner, parmi d’autres, l’affaire des « décrocheurs des portraits du Président », en septembre 2019, dans laquelle le tribunal correctionnel de Lyon relaxe deux personnes qui, s’étant emparées de la photo officielle d’Emmanuel Macron dans une mairie, en compagnie d’une vingtaine d’autres activistes ayant fait irruption dans les locaux, étaient poursuivies pour vol en réunion. Pour le tribunal correctionnel, l’enlèvement du portrait du chef de l’État ne saurait être pénalement sanctionné, parce que « Le mode d’expression des citoyens en pays démocratique (…) ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales, mais doit inventer d’autres formes de participation dans le cadre d’un devoir de vigilance critique ».

Jusqu’où ira, en ces temps d’ensauvagement de la vie publique, la compréhension des juges à l’égard de ceux qui, au nom de la protection de la planète ou d’autres nobles causes, font de la violence un mode d’expression légitime de leurs convictions ? Jusqu’où le juge, par posture progressiste, prendra-t-il le parti du désordre ? Jusqu’où nos institutions peuvent-elles se transformer en ce monstre qui se dévore lui-même ? 

Telle est l’une des plus lourdes hypothèques pesant sur un gouvernement RN. Le syndicat de la magistrature appelle d’ores et déjà ses ressortissants à utiliser tous les moyens à leur disposition, y compris la manière de juger, pour s’opposer à ce gouvernement.

Dix ans après la publication d’un guide prônant la « priorité nationale », le parquet de Nanterre a requis jusqu’à six mois de prison avec sursis contre deux cadres, dont Steeve Briois, et une ex-membre du RN pour complicité de provocation à la discrimination. En quoi cette décision devrait-elle nous alerter et en quoi témoigne-t-elle de la menace qui pèse sur les libertés publiques ? Y a-t-il une forme d’arbitraire et de biais politique ?

Jean-Eric Schoettl : L’infraction d’incitation à la discrimination (article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et articles 225-1 et suivants du code pénal) ne saurait s’appliquer, quoiqu’on en pense moralement, à un discours promouvant une législation plus stricte sur l’éligibilité des étrangers aux prestations sociales ! Le procureur de Nanterre invente le délit d’opinion.

Ou alors tombent sous le coup d’une sanction pénale, pour complicité d’incitation à la discrimination, tous ceux qui ont soutenu la proposition de loi référendaire des LR relative aux prestations non contributives des étrangers. Son article 1er décalquait l’article 19 de loi immigration (censuré comme cavalier législatif) dans lequel la bien-pensance avait reconnu la marque infamante de la « préférence nationale » . Il fixait à cinq ans - pour les étrangers non ressortissants de l’Union européenne qui ne travaillent pas - la durée de séjour régulier conditionnant l’obtention de certaines prestations sociales non contributives. L’article a été censuré, cette fois sur le fond, lors de l’examen du RIP rue de Montpensier. Question : l’attribution du RSA aux étrangers étant, elle aussi, subordonnée par la loi à une durée de séjour régulier de cinq ans, la restriction ainsi posée est-elle nauséabonde et inconstitutionnelle ? Faut-il en paralyser l’application au nom de la résistance à l’oppression ?

Bertrand Saint-Germain : Pour le cas de Steeve Briois, il faut avant tout relever qu’il s’agit d’une décision du parquet et donc d'un magistrat qui est bel et bien aux ordres d’Eric Dupond-Moretti, le garde des Sceaux. Ce n'est pas une décision neutre. Cette décision est nécessairement prise sur instruction du ministère de la Justice ou à tout le moins avec son accord. 

Le deuxième fait marquant concerne le timing et le calendrier. Les élections législatives se déroulent dans une semaine et tout à coup réapparaît opportunément la mise en cause des co-rédacteurs d'un document politique du Rassemblement national, produit il y a plus de dix ans ! Quelle coïncidence heureuse…

A titre de comparaison, il faudrait alors absolument mettre en examen Gabriel Attal et Emmanuel Macron car la République elle-même s'appuie sur un principe de préférence nationale. Seuls les Français votent aux élections nationales. Et pour être fonctionnaire, il faut être Français ou ressortissant de l'Union européenne. Pour les fonctions dites de souveraineté, seules il faut être Français. Il s'agit donc là bel et bien d'une discrimination effective. Rappelons encore que qu’il est interdit aux étrangers de devenir Commissaires de Justice (les anciens huissiers)…

Il y a, à travers cette « affaire » Steeve Briois, la manifestation d’une forme de criminalisation du débat politique. On cherche à interdire certaines opinions politiques par principe, hors de tout débat. Le magistrat redoutant une défaite dans les urnes s'efforce par tous les moyens d'empêcher une évolution électorale qu’il combat. 

D’autres exemples l’avaient déjà illustré comme lors de la dissolution de Génération Identitaire. Il était explicitement reproché à Génération identitaire non pas une violence que le Ministère de l’intérieur n’avait pas trouvée dans les actions du mouvement, mais le fond même de leur discours, le fait de dénoncer l'immigration. Le mouvement a été considéré comme portant atteinte à l'efficacité des politiques publiques d’intégration des étrangers et à la réussite du pays en général. L’interdiction contre Génération identitaire a donc été prononcée pour avoir dit que l'immigration était dangereuse et non souhaitable. Cela va très loin et cela s’apparente à une approche totalitaire, dangereuse pour les libertés. Le simple fait de penser et dire que l'immigration ne serait pas bonne pour le pays est ainsi purement et simplement interdit. 

Pour le cas du guide publié sous la signature de Steeve Briois, on veut aller encore plus loin ! Le simple fait de vouloir dire qu'il y a lieu de réserver telle ou telle aide sociale et telle ou telle profession aux Français uniquement (via la préférence ou la priorité nationale) serait dangereux et donc on souhaite interdire ce discours. Cela est d'autant plus curieux que la République, en son sein, a institué un régime de préférence nationale, dissimulé sous le nom de préférences locales, comme en Nouvelle-Calédonie par exemple. Il y a une préférence locale à l'embauche en Nouvelle-Calédonie ; elle est d’ailleurs garantie par la Constitution…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !