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Vous avez aimé les mairies vertes de Lyon et Bordeaux ? Vous allez adorer les débats de celles de Strasbourg
Vous avez aimé les mairies vertes de Lyon et Bordeaux ? Vous allez adorer les débats de celles de Strasbourg
©FREDERICK FLORIN / AFP

Démocratie : le péril vert

Le Conseil municipal de Strasbourg a accordé une subvention de 2,5 millions d’euros pour la construction d’une mosquée contrôlée par les associations turques ayant refusé de signer la Charte des principes pour l’islam de France. Le Conseil municipal de Strasbourg s'est également illustré après avoir "racialisé" des animaux en 3 catégories, en remplaçant notamment le terme de nuisibles par "liminaires".

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul est un ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Il a remis au gouvernement, en février 2018, un rapport sur la laïcité. Il a cofondé en 2015 le Printemps Républicain (avec le politologue Laurent Bouvet), et lance actuellement un think tank, "L'Aurore".

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Atlantico : Le Conseil municipal de Strasbourg a accordé une subvention de 2,5 millions d’euros pour la construction d’une mosquée pourtant contrôlée par les mêmes associations turques ayant refusé de signer la Charte des principes pour l’islam de France. Que nous dit cette affaire de la responsabilité de certains élus écologistes face à l'islamisme ?

Gilles Clavreul : Il faut rappeler que nous sommes en terre concordataire. Cela explique que les collectivités aient la possibilité de contribuer au financement des édifices cultuels, ce qui est interdit partout où s’applique la loi de 1905, hors entretien des édifices construits antérieurement au vote de la loi de séparation.

C’est en s’appuyant sur cette pratique, ancienne et relativement consensuelle, que la municipalité a fait voter cette délibération : une subvention municipale de 2,5 M€, soit 10% du budget de la future mosquée Eyyub Sultan, dans le quartier de la Meinau. Une délibération-cadre votée en 1999 prévoyait en effet une aide de principe à hauteur de 10% des projets présentés par les différents cultes.

Le problème, c’est qu’il ne s’agit ni de n’importe quel projet, ni surtout de n’importe quel maître d’ouvrage. 25M€ pour la seule partie cultuelle, 32 M€ pour l’ensemble de l’édifice : il s’agit en toute hypothèse de l’un des plus importants projets de construction de mosquée en Europe, surpassant le projet déjà pharaonique de la mosquée An-Nour de Mulhouse. Compte tenu des sommes en jeu, il est étonnant d’invoquer sans autre forme de procès une pratique de co-financement à 10%, comme si cela devait être automatique. Mais surtout, c’est Milli Görüs qui porte le projet. Outre la réputation sulfureuse de ses représentants alsaciens, l’organisation est surtout le bras armé religieux du régime turc. Autrement dit, la mosquée Eyyub Sultan a vocation à être la tête de pont de l’expansionnisme politico-religieux d’Erdogan, l’affirmation de sa puissance et de son rayonnement en plein cœur de la capitale européenne. Ce n’est donc vraiment pas un dossier comme les autres !

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A cela s’ajoute le fait que Milli Görüs fait partie des associations qui refusent de s’engager dans la voie du dialogue avec les pouvoirs publics et qui ne veulent pas signer la « Charte des principes pour l’islam de France ».

Enfin, comme l’ont fait remarquer les élus d’opposition, le plan de financement reste à ce stade totalement opaque : la ville accorde 2,5 M€, ce qui est considérable…mais quid des 22,5 M€ restants ? Ce flou a contraint la majorité écologiste à modifier sa délibération en un accord de principe sur la subvention, son versement étant conditionné à la présentation du plan de financement…ce qui ne change pas grand-chose en pratique.

Cette décision, que la municipalité tente au maximum de banaliser contre toute évidence, est en fait d’une portée politique lourde de conséquences : il s’agit d’un soutien massif au grand architecte de l’islamo-nationalisme qu’est Erdogan, pour qui les mosquées sont certes des lieux de prière, mais aussi des symboles de puissance. Il l’a prouvé récemment en réaffectant la basilique Sainte-Sophie d’Istanbul, qu’Atatürk avait transformée en musée pour « l’offrir à l’humanité », en mosquée, comme l’avait fait Mehmet II lors de la prise de Constantinople. La construction de la mosquée Eyyub Sultan s’inscrit dans cette continuité.

Les raisons qui poussent la municipalité écologiste à accompagner ce dessein ne sont pas que platement clientélistes : elles traduisent une vision politique qui évacue complètement la question politico-religieuse, qui devient un non-sujet absolu. La façon dont Eric Piolle, à Grenoble, s’est poussivement débattu lorsque des organisations militantes ont organisé des happenings pro-burkini dans les piscines municipales, montre une espèce d’indifférence totale à la laïcité et aux principes qui la fondent. Même chose à Strasbourg lorsque la maire a refusé que le mot « laïcité » figure dans le règlement intérieur de la mairie.

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Au-delà de ce qu’on peut en penser sur le fond, la désinvolture de cette nouvelle majorité est assez déconcertante : apporter un soutien financier aussi massif à un projet piloté directement par le régime truc, au moment même où Ankara se retire de la convention de lutte contre les violences faites aux femmes signée à…Istanbul en 2011, c’est un signal politique assez désastreux pour la capitale européenne qu’est Strasbourg, foyer de l’humanisme, siège du Parlement européen et de la cour européenne des droits de l’Homme. Les écologistes auront l’air malins de donner des leçons de féminisme après cela.

Sur un plan plus politique, cette affaire ne pourra rester sans répercussion non seulement au niveau local, mais surtout au plan national : les alliés socialistes de Mme Barseghian se sont opposés au vote de la subvention à la mosquée turque. Au niveau national, le Parti Socialiste, qui a défini un cap clair sur la laïcité, ne pourra pas fermer les yeux sur de tels accommodements : soutenir l’islamisme, c’est une question de principe. C’en est une aussi pour la gauche de la gauche, pour des raisons un peu différentes : le PCF a d’ailleurs voté contre la subvention, par hostilité au Concordat. La France Insoumise, qui a la même position, ne peut pas cautionner non plus de telles pratiques. Pour ceux qui rêvent d’une reconstitution de la « gauche plurielle », la décision solitaire de la majorité EELV de Strasbourg est une sérieuse épine dans le pied.  

Le Conseil municipal de Strasbourg a également voté contre une résolution en faveur de l’adoption de la définition d’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Ces deux évènements peuvent-ils être liés ?

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Ce refus entre dans un schéma plus classique : bien que ce texte de 2016, négocié patiemment pendant des années au sein de cette organisation inter-étatique qu’est l’IHRA, soit en réalité très sage et très prudent, au point d’être largement adopté un peu partout dans le monde, notamment par l’Assemblée nationale, la Chambre des Communes, le Bundestag et le Parlement européen, il fait l’objet d’une intense campagne de dénigrement de la part des mouvements antisionistes.

Le conseil de Paris a récemment adopté ce texte début février. Sans grand courage, la majorité écologiste strasbourgeoise a dans un premier temps refusé d’inscrire le vote d’une résolution, prétextant que l’antisémitisme n’était « pas un sujet d’intérêt local » (sic !). Mise sous pression par l’opposition, elle a fini par l’inscrire à l’ordre du jour du dernier conseil municipal, celui-là même où le principe du financement de la mosquée Milli Görüs a été adopté – et donc il y a bien lieu de lier ces deux décisions – et a appelé à voter contre, mobilisant les arguments désormais classiques des antisionistes : « ce texte ne fait pas l’unanimité, on doit pouvoir critiquer Israël, etc. », ce que ce texte, purement déclaratif, n’interdit évidemment pas.

On mesure ici ce qui sépare les écologistes français, arc-boutés sur des positions historiques qui sont celles de l’extrême-gauche, de leurs homologues allemands : les Grünen ont en effet voté ce texte au Bundestag en 2018. Ecologie politique pragmatique et responsable d’un côté, militantisme gauchiste de l’autre : il y a en Europe deux écologies irréconciliables - en tout cas incompatibles.

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Le Conseil municipal de Strasbourg s'était également illustré après avoir «racialisé» des animaux en 3 catégories, en remplaçant notamment le terme de nuisibles par "liminaires". Est-ce la preuve que ces élus font primer leurs convictions idéologiques sur les préoccupations de leurs administrés ?

On pourrait sourire de cette déclaration d’amour aux mites et autres punaises de lit, mais elle s’inscrit en réalité dans un cheminement intellectuel d’autant plus inquiétant qu’il est cohérent et parfaitement assumé. Il y a d’abord une relation à la nature qui ne s’inscrit pas du tout dans une approche scientifique et rationnelle, mais dans une exaltation d’ordre quasi-mystique, prêtant au vivant dans son ensemble, animal ou végétal (cf. les propos du maire de Bordeaux parlant des « arbres morts" à propos des sapins de Noël), des qualités et une dignité en tout conformes à celles des humains. Cela mérite au moins un minimum de débat ! Redéfinir notre relation au vivant, mieux protéger les espèces animales, très bien…mais là on parle de nuisibles qui causent de graves désagréments aux Strasbourgeois…or, jusqu’à preuve du contraire, ce sont eux qui votent, pas les punaises ! Plus sérieusement, certaines pratiques comme l’anthroposophie, qui relève clairement de la dérive sectaire, ou le soutien de certains écologistes à la mouvance anti-vaccins, posent des questions de sécurité et de santé publiques qu’on doit envisager avec sérieux. Durant les années 1990, les Verts avaient été capables de laisser derrière eux un certain folklore, parfois sympathique, parfois équivoque…que s’est-il passé pour que certains écologistes d’aujourd’hui, pas tous mais beaucoup et notamment ceux qui exercent des responsabilités, versent à nouveau, à la fois, dans un militantisme d’extrême-gauche parfois très radical, se coupant des attentes de la population voire des questions environnementales elles-mêmes, et dans une sorte de remise en cause vaguement inquiétante des grands paradigmes de la raison humaniste ?

Dans le même ordre d’idées, la municipalité de Strasbourg a pris des positions hostiles sur la 5G, dont on sait qu’elles ne sont pas fondées sur des données scientifiques sérieuses. Plus significative peut-être est le mépris de la démocratie participative : ainsi la mairie avait l’obligation légale de renouveler les conseils de quartier en début d’année. Elle ne l’a pas fait et ne semble pas décidée à le faire, préférant créer ses propres instances de concertation. Cette nouvelle écologie politique ne se présente pas sous un jour très ouvert, mais offre au contraire un visage dogmatique et dirigiste qui n’est pas sans rappeler les méthodes d’un certain communisme municipal.

Cela préfigure-t-il les orientations d’EELV au niveau national ? Les premiers à devoir se poser la question, en dehors des écolos eux-mêmes, ce sont les socialistes : ils viennent de conclure une alliance politiquement lourde à défendre dans les Hauts-de-France pour les régionales, en se retirant au profit d’une tête de liste écologiste, sans renvoi d’ascenseur pour l’instant en Ile-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes. Si l’aune de ces sacrifices est un ralliement à la candidature d’Anne Hidalgo à la présidentielle, pourquoi pas ? Reste à savoir sur quel programme : au vu des attaques que la maire de Paris endure de la part de ses alliés, l’entente n’est vraiment pas gagnée d’avance.

Mais pour tous les sympathisants de gauche, et même pour tous ceux qui s’intéressent à l’écologie, la question se pose : où veut en venir EELV ? Quel est son projet politique ? Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’aujourd’hui les Verts sont tout sauf clairs.

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