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Des ex-employés de l'usine Seita créent leur entreprise : les pièges à éviter quand on se met à son compte
©YouTube

Reconversion

Pour certains licenciés, notamment dans le cadre d'un plan social de fermeture d'usine, la création d'entreprise est une façon de retrouver une activité professionnelle, sans pour autant travailler à nouveau pour un patron. Mais cela demande un accompagnement et des qualités bien différentes que les simples diplômes.

Eric Planchon

Eric Planchon

Eric Planchon est  ‎le responsable régional Conseil RH du Cabinet de reclassement Anthéa RH Conseils, dont la mission est d'accompagner les salariés ayant subi un licenciement dans le cadre d'un PSE à retrouver un emploi.

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Christian Carbon

Christian Carbon

Christian Carbon est accompagnateur des PME et des entrepreneurs au sein du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) de Lorraine.

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Atlantico : En Loire-Atlantique, près de Nantes, l'usine Seita du groupe Imperial Tobacco de Carquefou a été fermée au début de l'année 2015. 327 emplois ont été supprimés. Près d'un an après, une quarantaine d'anciens employés de cette usine de production de cigarettes ont rebondi en créant leur entreprise, comme le raconteOuest France dans ses colonnes. Est-ce un phénomène courant ? En rencontrez-vous souvent dans le cadre de vos activités ?

Christian Carbon : Il serait intéressant de savoir sous quels statuts ces salariés ont créé leur entreprise, dans quelles proportions les auto-entrepreneurs sont recensés et quels sont les chiffres d'affaires en fin d’exercice sur 12 mois ? Il ne faut pas oublier que Pôle emploi reverse vers ces "créateurs" de l’assurance chômage en fonds propres, donc de quoi tenir une première année avec un prévisionnel réduit. C’est sur 3 années que les statistiques doivent se tirer et combien s’en seront véritablement sortis ! Combien de banquiers continueront de les accompagner, quels salaires s’accorderont-ils, etc.

En comparaison avec des start-up qui, à défaut d’aides de la sorte, font appel à des levées de fonds privés, le retour sur investissement se fait sur 3 années au mieux ! Ca permet bien sûr de défiscaliser pour les investisseurs au cas où mais la situation professionnelle des jeunes dirigeants n’est pas celle de pères de famille avec des prêts en cours qui vont se retrouver avec une rémunération de 1000 euros par mois et 60 heures hebdo de boulot pour cela…A noter aussi que ces créations d’entreprises ne parviennent pas à créer des emplois qui compenseraient ceux qui sont supprimés ! On ne devient pas chef d’entreprise comme cela !

Eric Planchon : Dans le cadre de nos activités de reclassement, nous rencontrons effectivement de nombreux candidats souhaitant se lancer dans une création d’entreprise. Les raisons amenant à ce changement de statut sont diverses. Il peut s’agir d’un projet ou d’un "rêve" de longue date qui n’a jamais pu être réalisé. Le fait de se retrouver licencié permet de sauter le pas et d’enfin accepter le risque. Cela peut également provenir d’un constat sur la situation de l’emploi local et l’âge de l’intéressé. Il est en effet souvent difficile de retrouver un emploi à partir d’un certain âge, et la solution idéale peut sembler être de se mettre à son compte. La notion d’âge est d’ailleurs très variable selon les professions. Des candidatures d’ingénieurs informaticiens ont été refusées par des entreprises car les intéressés avaient plus de 35 ans ! La raison financière est aussi importante. Le cas de la SEITA, pour laquelle nous ne sommes pas intervenus est à la fois éloquent et non représentatif. Sauf erreur de ma part, l’aide à la création d’entreprise était de 45000€. Dans le cadre de ce PSE, le montant de cette prime était suffisant pour motiver des vocations, même si le projet présenté ne représente pas l’avenir de l’intéressé. Une prime équivalente à 3 ans de salaire pour des employés proches du SMIC ne se refuse pas facilement. Habituellement la proportion de créateurs d’entreprise en début de cellule de reclassement est plus proche des 10%. Au terme d’une période de 12 mois, 70 à 80% ont abouti. Les autres projets ne sont pas arrivés à terme, et les intéressés se sont redirigés vers le salariat.

Quels sont les dispositifs d'aide prévus pour encourager d'anciens employés à la création d'entreprise ?

Christian Carbon : Il existe par exemple le dispositif Accre, les prêts Eden des conseils généraux, les prêts d’honneur à taux 0, les crédits solidaires (mais qui coûtent très chers !), les aides à l’investissement artisanal (Amicape), le fond de garantie à l’initiative des femmes, le programme Alizé des CCI, etc. Dans le cas d'un Plan de Sauvegarde de l'Emploi, une entreprise mandate un cabinet de reclassement qui peut accompagner vers la création d'entreprise. Il existe aussi de l'aide du côté des couveuses d'entreprise.

Eric Planchon : Les dispositifs les plus courants sont :

- Le Pôle emploi avec les dispositifs de l’ARCE (aide à la reprise ou à la création d’entreprise). Elle équivaut au versement d’une partie des allocations chômage sous forme de capital, de l’ACCRE (l’aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d’entreprises) qui permet d’obtenir une exonération de charges sociales pendant un an, et du NACRE (prêt à taux zéro limité à 10000€).

- Les fonds prévus dans le cadre d’un PSE. Il faut noter à cet effet que la majorité des salariés licenciés ne le sont pas dans le cadre d’un licenciement collectif avec obligation d’un PSE, mais dans celui d’un licenciement individuel. De plus la majorité des PSE a lieu dans des entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire, dans lesquelles la trésorerie est nulle ou quasi inexistante. Les PSE induits sont donc généralement réduits au strict minimum. La très grande majorité des salariés ne bénéficie donc pas d’assistance financière d’un PSE.

- L’intervention de BPI FRANCE sur des projets de création solides (demande à formuler directement auprès de cet organisme).

- L’ADIE pour des micro prêts à l’attention de personnes exclues des systèmes bancaires, demandeurs d’emploi, ou allocataires des minima sociaux. (Démarches à effectuer auprès de l’ADIE).

- Le prêt d’honneur d’une moyenne de 8000€ sans caution. Réseau Initiative entreprendre et BGE.

Certains conseils régionaux ou généraux peuvent également participer au financement de certaines entreprises, dans le cadre de réinstallation de commerce en zones Rurales ou autres.

Se lancer dans la création d'une entreprise après avoir subi un licenciement et une fermeture d'usine est-il une solution applicable à tous ? Ou cela correspond-t-il à certains profils ?

Christian Carbon : Ce n’est surtout pas applicable à tous ! L’entrepreneuriat est réservé à des cas présentant des profils psychologiques  bien précis, d’autant plus si l’on est seul et sans fonds propres ! Ou alors il faut trouver des solutions de partenariats où les compétences sont partagées. Mais cela est carrément plus complexe.

Eric Planchon : La création d’entreprise n’est pas réservée aux cadres ni à des personnes à haut potentiel technique ou intellectuel.

Notre cabinet a accompagné de nombreuses installations d’artisans plombier, électricien, couvreur, maçon, staffeur, peintre… De nombreux commerces ont également vu le jour, que ce soit des boutiques ou des commerces alimentaires. Nous avons installés des infirmières, des aides-soignantes, des aides à domicile, des entreprises d’espaces verts, des vendeurs de volailles sur les marchés, des coiffeuses, des salons d’entretien pour animaux…

Nous avons accompagné d’autres personnes sur des projets plus importants nécessitant des expertises et des études plus approfondies. Les BGE et les cabinets d’expertise comptable sont d’excellents partenaires dans ce domaine. La création d’entreprise peut être une solution si le projet est étudié posément, et que l’ensemble des prérequis et des impacts sur la vie personnelle a bien été évoqué.

La motivation du candidat est essentielle mais elle ne suffit pas. Il faut avant tout vérifier si le postulant a bien les capacités à se gérer seul. On peut en effet être un excellent technicien mais pas un dirigeant d’entreprise. La marche entre le statut de salarié et celui de dirigeant d’entreprise est haute. Aujourd’hui il est facile de se mettre à son compte. Une inscription sur internet se fait en quelques minutes. Il suffit juste ensuite de chercher des clients, de trouver du travail, de réaliser des devis, d’effectuer les travaux, de se faire payer, tout en cherchant de nouveaux travaux pour la suite. Presque rien quoi ! C’est souvent la dure réalité des auto entrepreneurs qui n’ont pas mesuré les vrais enjeux ni les risques de ce statut.

Qu'est-ce que cela dit de la manière dont les gens voient l'entrepreneuriat ? Passer d'ouvrier employé à patron pousse-t-il les gens à voir l'entrepreneuriat différemment? En quoi ?

Christian Carbon : La liberté reste ce qui donne envie ; imaginez un salarié bossant en poste pour un patron qu’il ne connait pas ! Travailler pour lui représente quelque chose d’incroyablement tentant.

Eric Planchon : Pour des salariés qui sont licenciés d’une entreprise après 30 ans de loyaux services, la situation de demandeur d’emploi est souvent difficile à digérer. Nous entendons certains nous déclarer qu’après avoir travaillé 20 ou 30 ans pour des patrons, ils vont désormais travailler pour eux. L’image de l’entreprenariat est bonne, parfois idyllique. Il est donc important de bien encadrer les candidats à la création ou à la reprise, (ce dernier domaine étant d’ailleurs souvent négligé) afin d’éviter les échecs. Une grande partie des créateurs d’entreprises étant des demandeurs d’emploi, une faillite de l’entreprise serait difficilement supportable.

Nous incluons donc régulièrement nos partenaires tels que Pole emploi, les Chambres de Commerce ou des Métiers, les BGE, les Conseils régionaux et de nombreux autres dans le suivi de ces salariés, afin d’assurer un maximum d’efficacité à ces créations qui représentent souvent un réel projet de vie.

Propos recueillis par Adeline Raynal

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