Des barbarismes contre la barbarie : « Architecture et garanties de sécurité »<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron, Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky lors d'une réunion à l'Elysée en 2019.
Emmanuel Macron, Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky lors d'une réunion à l'Elysée en 2019.
©Alexey NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP

Diplomatie européenne

Les récents propos d'Emmanuel Macron sur des « garanties de sécurité » à donner à la Russie ont été « isolés » de leur « contexte », selon l'Elysée, avant une nouvelle conférence mardi à Paris sur l'aide à l'Ukraine. Début décembre, en évoquant l'architecture de sécurité à reconstruire en Europe une fois la guerre en Ukraine terminée, le président français avait souligné qu'il faudrait alors aussi donner des « garanties » à la Russie pour trouver un bon équilibre.

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski est Diplomate européen, auteur de « Paradoxes des populismes européens » et du « Traité du Toasteur ».
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Les mots ont un sens ; ils ont aussi un âge et un contexte. L’emploi récent par des responsables européens, dont le Président français et le Chancelier allemand, des vocables « Architecture de sécurité européenne » et « garanties de sécurité » mérite rappel historique et mise en perspective. Si nous devons re-employer des barbarismes, autant que ces barbarismes combattent la barbarie.                     

– Les termes « d’architecture de sécurité » sont marqués dans le temps et dans l’espace. Il s’agit àl’origine d’un concept allemand du début des années 90 répondant à la chute du mur, puis à la dislocation de l’URSS,et provenant davantage du ministre des affaires étrangères Genscher que du Chancelier Kohl. Sous-jacente, une idée simple : une vision ordonnée, avec emboîtement parfait d’organisations internationales, comme des legos assurant ensemble la sécurité européennes. Toutes les organisations européennes étaient concernées : OTAN, Communauté européenne(avant l’UE de Maastricht en 1992), CSCE ( avant l’OSCE de 1995), même initialement le Pacte de Varsovie, mais sans jamais aucune mention des Nations Unies. Cette vision, globalement partagée par les Grands d’alors, suscitait cependant des approches et des curseurs différents selon les organisations: dans son discours du 31 janvier 1990 à Tunzing, Hans Dietrich Genscher, mettait plutôt en avant le rôle premier de la CSCE ; le secrétaire d’État américain Baker insistait davantage le 12 décembre 1989 à Berlin sur l’OTAN ( « A new Europe, a new Atlanticism, Architecture for a new era ») ; la France mettait sans surprise l’accent  sur la Communauté européenne, l’UEO et une Confédération mal reçue (discours du président Mitterrand à Prague le 13 juin 1991) ; avec sa « Maison commune », Gorbatchev espérait quand à lui éroder les raisons d’être de l’OTAN.

Dans la pratique, ces discours sur une « nouvelle architecture européenne de sécurité » devaient perdurer une vingtaine d’années, avec utilisation raréfiée des termes. « L’architecture » se fissurait à l’épreuve des faits. Le pragmatisme conduisait en effet davantage àun « patchwork » où dominaientles nuances bleues UE et OTAN, qu’à une distribution harmonieuse des rôles entre organisations internationales européennes.            

– Quant aux « garanties de sécurité », le terme est bien plus ancien, et la pratique encore plus diversifiée. Il est convenu généralement de distinguer entre garanties négatives (obligation de ne pas recourir à la force) et garanties positives (obligation de venir en aide aux victimes d’une agression).De telles garanties sont particulièrement développées, y compris juridiquement, dans le domaine nucléaire. Faute de dispositifs contraignants de contrôle, de sanctions et d’alliance, elles peuvent à l’inverse sombrer dans le simple déclaratoire. Tel fut le cas du Pacte Briand Kellog proclamant dans l’entre deux guerre «  la guerre hors la loi ». Et plus récemment du memorandum de Budapest de 1994 signé par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie et donnant formellement des garanties à l’Ukraine en contrepartie de sa nucléarisation en 1994. La première agression russe contre l’Ukraine en 2014, sans réelle aide des co-signataires occidentaux, devait en montrer les limites. Dans le contexte renouvelé de février 2022, ni la Finlande, ni la Suède ne s’y sont trompés : la seule garantie effective de sécurité est à leurs yeux celle donnée par l’article cinq de l’OTAN. 

– Ces termes « d’architecture » et de « garanties de sécurité », ont dans le contexte ukrainien des connotations particulières, pouvant rencontrer involontairement ou non les thèses russes, et ce à un double égard:

1. La neutralité de l’Ukraine serait une forme de garantie de sécurité, vision russe qui trouve des auditeurs côté occidental et en France particulièrement depuis les années 2004, après la Révolution orange à Kiev. Toutes les nuance de neutralité y ont été étudiées, voire suggérées à des Américains et Russes parfois étonnés[1].

2. La cause réelle de la crise ukrainienne serait, non pas la Russie, mais bien les États-Unis et l’OTAN qui n’auraient pas respecté de vieux engagements de non expansion à l’Est. De tels engagements datant des années 90 ont effectivement été avancés, mais oralement, et de façon imprécise. Ils ont partiellement été repris par l’Acte Fondateur OTAN-Russie de 1997. L’attitude Russe depuis la première intervention en Géorgie de 2008a rapidement rendu caduques ces formes de garanties extrapolées et mythifiées. Malgré le refus constant et regrettable de l’OTAN depuis 2008 de s’ouvrir à l’Ukraine, Moscou joue de ce thème (« encerclement » par l’OTAN, menace et non respect de la parole donnée…) avec un certain succès. S’est installée l’idée chez certains que des garanties pourraient être utiles voire nécessaire dans le cadre d’un règlement de paix pour éviter « une humiliation » de la Russie. 

– Dans ce contexte, un peu daté, il est envisageable de reprendre des barbarismes, mais contre la barbarie et non à son appui.

Sur le court terme, la recherche d’une « architecture de sécurité » peut sembler prématurée ou inopportune. A moins d’y inclure pressions, sanctions, réparations et prison, et des garanties de sécurité très proches de l’article cinq de l’OTAN, en excluant tout principe dépassé de neutralité.

Dans ces conditions, et sur le long terme, un nouveau « régime » européen de sécurité (davantage qu’une « architecture » ) pourra être recherché avec tous les acteurs concernés. Il viserait à assurer prévisibilité et stabilité d’un nouveau continent européen pacifié, notamment par des mesures de maitrise des armement, mises à jour et élargies à des domaines comme lacyber sécurité, alors que le régime des années 90 s’est complètement effondré ( accords FCE, Ciel Ouvert, Document de Vienne ; accords stratégiques à refonder…). Mais un tel projet, alors que la Russie bombarde quotidiennement les populations ukrainiennes, peut sembler effectivement bien visionnaire./. 

Antoine Cibirski est écrivain et diplomate européen, spécialiste du monde slave et des marches européennes.


[1]Maurice Gourdault Montagne : « Les autres ne pensent pas comme nous » novembre 2022

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