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Derrière les discours sur la simplification, la réalité de la complexité administrative croissante imposée à l’économie française
©Reuters

De l'art de la complexification

Suite au "choc de simplification" lancé par François Hollande en 2013, le 1er juin 2015, 52 nouvelles mesures de simplification pour les entreprises étaient annoncées. Pourtant, le pari ne semble pas gagné.

Marek Umiastowski

Marek Umiastowski

Marek Umiastowski est expert-comptable et commissaire au comptes. Il dirige la société Maubourg Expertise.

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Sophie De Menthon et Jean-Louis Mullenbach

Sophie De Menthon et Jean-Louis Mullenbach

Sophie de Menthon est présidente du Mouvement ETHIC (Entreprises de taille Humaine Indépendantes et de Croissance) et chef d’entreprise. Elle est aussi l'une des personnalités qualifiées membres du Conseil Economique, Social et Environnemental.

Jean-Louis Mullenbach est directeur général de Bellot Mullenbach & Associés  et membre du Conseil d’administration d’Ethic.

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Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Entre promesses de l’Etat et réalité, quel est le premier bilan de la simplification administrative à destination des entreprises ?

Jean-Yves Archer : Démuni face au chômage de masse et au tassement du pouvoir d'achat, l'Etat se rabat sur des chantiers importants mais périphériques où l'obligation de résultats est difficile à jauger, donc à évaluer. 
Le dynamique Secrétaire d'Etat à la simplification administrative, Thierry Mandon, a été bizarrement relevé de ses fonctions pour rejoindre l'enseignement supérieur. Ce changement de portefeuille ne garantit pas la qualité du suivi et nous éloigne des travaux initiés par le tandem Poitrinal / Mandon. Il pourrait paraître délicat de dresser un premier bilan car les actions sont récentes. Toutefois, des lignes de force apparaissent déjà clairement et méritent d'être soulignées. En Juin, 52 mesures ont été annoncées. Notamment, la centralisation de différents contrôles administratifs autour du pôle des URSSAF afin de simplifier la vie des entreprises par le développement d'opérations ciblées. Imaginons que les CRS, la Gendarmerie et la Police soient mieux vectorisées pour contrôler l'automobiliste lambda : faudrait-il y voir un mieux ou seulement la quête d'un Etat plus efficace et soucieux de rendement.

Tel est le principal grief qu'inspirent les décisions Mandon : elles vont en apparence dans le bon sens mais elles portent surtout sur l'efficacité interne de l'Etat et non sur son service rendu. En cas de jurisprudences contradictoires (ce qui est fréquent dans mille domaines) a-t-on prévu une mission du Tribunal des Conflits (http://www.tribunal-conflits.fr ) ou de la Cour de Cassation pour surmonter ce type d'obstacle du quotidien ?
Sous six mois, 30 magistrats pourraient "déclipser" des situations juridiques complexes qui polluent la vie des entreprises et gonflent les honoraires versés à leurs conseils.

Quel retour sur ces mesures peut-on faire aujourd'hui ?

Jean-Yves Archer : L'expérience invite à la plus grande méfiance quant au chantier visant à limiter la "surtransposition" des Directives communautaires. Autrement dit, l'Etat pointe du doigt le travail du Parlement qui, lors du vote d'une transposition de directives, est fréquemment conduit à préciser tel ou tel point ou à limiter tel ou tel autre. Respectueux du travail des Parlements nationaux, je trouve singulier de vouloir brider ainsi l'initiative parlementaire (ce qui pose une question constitutionnelle) et garde en mémoire l'interpellation tonique de feu Michel Crépeau (ancien député-maire de La Rochelle) qui avait vilipendé une directive pêche qui voulait régenter jusqu'à l'avenir du petit millier de carrelets qui bordent la Côte Atlantique et qui sont désormais protégés au nom de l'écotourisme. Vu de Bruxelles, les questions n'ont jamais la même épaisseur que celle qu'impose le principe de réalité. Les travaux actuels de l'Etat sur ce sujet n'ont guère de cohérence même s'ils concernent des dizaines de textes.

Ces mesures changent-elles le quotidien des entreprises ?

Jean-Yves Archer : Selon le Ministère, les mesures déjà actées auraient permis " 3,3 mds de gains depuis septembre 2013 " et une projection de 11 milliards d'ici 2017. La question centrale n'est ni symbolique, ni sémantique : comment définit-on un gain ? Est-ce une amélioration potentielle du compte de résultat des entreprises ? Est-ce un gain budgétaire pour l'Etat ? Est-ce un panachage statistique bancal entre les deux versants ?

En matière d'évaluation des politiques publiques, Jean-Pierre Nioche et autres (http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1982_num_32_1_393996 ) ont démontré qu'il existait des outils de plus en plus précis. Autant dire que je récuse ce terme de gains (pécuniaires ? de compétitivité ? etc.) qui est un habile fourre-tout dispensant de quantifier, de manière crédible, la situation.

Si la situation n'inspirait pas le sérieux, on serait tenté de sourire lorsqu'on lit que l'un des objectifs est de simplifier le bulletin de paye. Quelle cohérence avec sa future complexité additionnelle si le prélèvement à la source aboutit ! On détricote un côté pour alourdir l'autre.

Ponctuellement (imprimé Cerfa, etc.) il y a du mieux. Le sujet qui sera peut-être une réussite concerne la simplification du permis de construire (limitation dans le temps des délais de recours, etc.) dans un secteur où, là encore, les professionnels savent les dégâts occasionnés par la loi ALUR et la conjoncture.

En 1981, Jean-François Deniau était nommé ministre de la Réforme de l'Etat (ce qui est la première partie du titre affecté à Thierry Mandon) et avait reçu de Raymond Barre des instructions de simplification de la vie des Français. Nous savons tous que depuis lors, notre pays a densifié son droit et ses usages et que la complexité est une plante bien vivace par-delà les quelques coups de sécateur de tel ou tel ministre éphémère.

Quels sont les premiers exemples de mesures affichées comme simplifiant la vie des entreprise mais qui ne jouent pas leur rôle ?

Marek Umiastowski : Actuellement, de nombreuses mesures sont présentées comme simplificatrices pour les entreprises. L’une des illustrations les plus parlantes est celle de la Déclaration Sociale Nominative ou DSN qui sera obligatoire au 1er janvier 2016.

Cette déclaration a pour objet officiel de regrouper l’ensemble des déclarations sociales en une seule.

En l’espèce, cela s’avère beaucoup plus complexe et lourd à gérer tant pour l’employeur que pour l’expert-comptable.

En effet, à l’heure actuelle, une entreprise établie principalement les déclarations suivantes :

-          Déclaration préalable à l’embauche ;

-          Déclarations de charges sociales trimestrielles et annuelles ;

-          Déclaration annuelle des salaires ;

-          Attestations Pole Emploi.

La DSN imposera d’établir :

-          Dans les 15 premiers jours du mois suivant, une déclaration mensuelle pour chacun des salariés récapitulant l’ensemble des informations figurant sur le bulletin de paye ;

-          Dans les 5 jours de l’embauche, une déclaration dite d’événement ;

-          Dans les 5 jours de tout événement (arrêt de travail, maternité, etc…) une déclaration dite d’événement ;

-          Dans les 5 jours de la sortie du salarié, une déclaration spécifique.

Ces modifications imposent aux entreprises et aux experts-comptables de gérer « en temps réel » l’ensemble des événements pouvant intervenir dans la vie d’un contrat de travail.

Concernant des agences de presse, il ne sera donc plus possible de gérer les bulletins de paye une fois par mois, mais à chaque entrée et sortie.

J’ai exposé ce cas au service dédié de l’Administration qui n’avait pas identifié ces problèmes et doit « revenir vers nous ».

Les pénalités s’élèvent à 7,50 € par salariés ou pour chaque inexactitude ; l’Administration ayant prévu un plafond « très généreux » de pénalités s’élevant à 10 000€ par mois pour les entreprises employant moins de 2 000 salariés.

En synthèse, les employeurs vont devoir consacrer un temps bien plus conséquent à la gestion de ces tâches administratives au détriment du développement de leur activité économique.

Il en va de même pour les experts-comptables qui ne pourront refacturer aux client l’intégralité du temps supplémentaire très conséquent qu’il convient de consacrer  à la formation et à la mise en place du dispositif ainsi qu’à l’adaptation des équipes pour se rendre disponible.

Une autre de ces mesures dites de simplification consiste en le bulletin de paye simplifié.

Celui-ci ne comportera officiellement plus que 2 lignes.

En l’espèce, en cas de vérification de l4administration mais également pour pouvoir calculer et établir l’ensemble des déclarations sociales, il sera nécessaire à minima de conserver le même niveau de détail et la même simplification qu’à l’heure actuelle.

La mise en place de la retenue à la source de l’I.R. relève de la même logique.

Dans quelle mesure le pacte de responsabilité et les mesures qui en ont découlées ont-ils rempli leurs objectifs ?

Sophie de Menthon et Jean-Louis Mullenbach : Le pacte de responsabilité avait au départ un objectif simple : réduire le coût du travail, notamment par la révision du barème des allègements de charges existants jusqu’à 1,6 fois le SMIC. Le mode de calcul de cette réduction des cotisations patronales, dite « réduction Fillon »,  résulte d’une formule particulièrement absconse échappant au bon entendement. Les fonctionnaires de l’Urssaf qui produisent des  textes aussi ubuesques devraient effectuer un stage au sein d’un service paie d’une PME. Ils n’imaginent certainement pas les interrogations que la mise en œuvre de tels textes suscite dans chaque entreprise, sans parler des risques d’erreurs et de redressements ultérieurs. Les éditeurs spécialisés, eux-mêmes, s’y sont pris à plusieurs reprises avant de publier des logiciels couvrant tous les cas prévus par les textes.

Pour éclairer cette usine à gaz, il ressort de la formule Urssaf que, plus la rémunération annuelle du salarié augmente, plus le montant de la réduction diminue, l’administration cherchant ainsi à réduire le risque de trappes à bas salaires. Si le montant de la réduction est supérieure à la valeur des cotisations patronales de sécurité sociale (maladie, maternité, invalidité, décès, allocations familiales), la réduction s’impute  sur la cotisation au fonds national d’aide au logement, puis sur la contribution solidarité autonomie, puis sur la cotisation accident du travail maladie professionnelle, cette dernière imputation étant toutefois limitée à un taux fixé par arrêté ministériel ! Sont exclues de la rémunération de chaque salarié servant de base au calcul du coefficient de réduction Fillon la contrepartie des temps de pause, d’habillage et de déshabillage, sans compter les particularités s’appliquant aux travailleurs à temps partiel, à ceux bénéficiant d’heures supplémentaires et à ceux ayant plusieurs employeurs.  La formule a en effet été complexifiée par rapport à celle de l’allègement Fillon, notamment pour réduire l’optimisation de la part des entreprises.

Même punition pour le CICE et pour les autres dispositifs d’allègement pour lesquels les entreprises doivent faire leurs calculs sur des données individuelles, avec des seuils distincts : 1,6 SMIC pour la réduction Fillon, 2,5 SMIC pour le CICE et 3,5 SMIC pour le nouvel abaissement de charges prévu pour 2016. La multiplication des dispositifs ne facilite pas la lisibilité pour les employeurs qui ne s’y retrouvent pas dans ces différentes mesures et ne comprennent pas la cohérence d’ensemble du pacte de responsabilité.

Cette reproduction des errements passés (les Premiers ministres changent mais les administrations qui préparent les textes restent les mêmes) s’identifient de surcroît à un défaut de conception. La juxtaposition de tous ces allègements profite surtout aux secteurs protégés de la concurrence internationale : La Poste, la grande distribution, les hôtels et restaurants, etc. Le CICE, comme la réduction Fillon, ciblent plus la création d’emplois peu qualifiés que le renforcement de la compétitivité de notre outil de production. Selon le premier rapport du comité de suivi du CICE, les entreprises qui n’exportent pas ou très peu captent 73 % des gains de coûts salariaux. Il aurait été préférable de prévoir, à montant budgétaire identique, une réduction définitive de charges sociales sur tous les salaires inférieurs à 3,5 SMIC, seuil proposé par le rapport de Louis Gallois sur la compétitivité. Monsieur Gallois vient de le rappeler.

Les mêmes observations s’appliquent aux mesures prises  pour compenser la pénibilité au travail, avec une prise en compte  des facteurs de pénibilité, également salarié par salarié. Les systèmes de retraite de nos compétiteurs européens les plus avancés en matière sociale prennent bien en considération la pénibilité, mais de façon collective, par métiers et par branches, avec des régimes spéciaux à l’échelle des professions considérées comme pénibles. Nous sommes bien loin de l’amélioration de la compétitivité de notre industrie  et du choc de simplification pourtant sincèrement souhaités par nos dirigeants politiques ! Dans la vraie vie de l’entreprise, le flux de normes et de règlementations  grossit plus vite que la baisse du stock.

Constatant qu’il n’a jamais produit autant de textes, le législateur (le président de l’assemblée nationale en l’occurrence) s’est récemment félicité de la densité du travail parlementaire. Stop à cette logorrhée  législative  et règlementaire, stop aux décisions prises sans concertation, stop aux décrets et aux arrêtés complexifiant la vie des chefs d’entreprise, stop aux textes destructeurs d’emplois, stop à cette folie règlementaire contreproductive !

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