Derrière l’affaire Morelle, psychanalyse des gens de pouvoir<!-- --> | Atlantico.fr
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Aquilino Morelle est le dernier homme politique en date à être rattrapé par une "casserolle" présumée.
Aquilino Morelle est le dernier homme politique en date à être rattrapé par une "casserolle" présumée.
©Reuters

Sur le divan

Morelle, Servier, Buisson, Cahuzac... les affaires se suivent et se ressemblent pour les hommes d'influence de tout poil. Explication de ce sentiment d'impunité qui les pousse à croire que leurs" casseroles" ne ressurgiront jamais.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : D’après une information du site Mediapart, le conseiller de François Hollande Aquilino Morelle aurait collaboré avec des laboratoires pharmaceutiques alors qu’il était dans le même temps membre de l’Inspection générale des affaires sociales. Bien que ce conflit d’intérêt n’ait pas été prouvé devant la justice, l’intéressé a démissionné pour mieux organiser sa défense.  Outre cette affaire, comment expliquer que, comme avec Cahuzac, des personnes à des postes aussi importants se croient à l’abri de toute révélation sur leurs « casseroles » passées ?

Jean-Paul Mialet : La puissance de l’administration française donne à ceux qui accèdent à des postes de haute responsabilité des pouvoirs considérables. Puisque les exemples cités sont ceux de deux confrères, permettez-moi, guidé par une simple association d’idée, de choisir une image tirée du monde de la santé. Lorsque j’étais un jeune interne, le pouvoir du chef de service dans un hôpital universitaire était très important ; ceux que nous appelions des « patrons » - que l’on pouvait aussi désigner, de façon plus péjorative, de « mandarins » - contribuaient largement à notre carrière à travers leur réseau d’influence.  C’en est fini, aujourd’hui, des patrons et autres seigneurs de la médecine. Le pouvoir appartient à présent au directeur de l’hôpital : il a basculé vers l’administration. La gestion des soins a pris le pas sur la pratique des soins. N’en est-il pas ainsi, peu ou prou,  pour toute la France où ceux qui gèrent ont tout pouvoir sur les humbles gérés ?

Dotée de tels pouvoirs, l’administration française est naturellement courtisée par ceux qui voient en elle une aide précieuse pour leurs intérêts privés. Quand on est assis à un poste de ministre ou de conseiller des princes - et même plus simplement à celle d’un maire – nul doute que, pour ne pas céder aux tentations,  il faut un grand sens des responsabilités. Si l’on ajoute qu’un très haut fonctionnaire dispose également d’un grand pouvoir de nuisance et peut faire taire une bonne partie des gêneurs – alors, plus encore qu’un sens des responsabilités, il faut une véritable éthique pour mener à bien la tâche sans céder aux sirènes de la facilité. D’autant qu’à ce niveau, les affaires humaines doivent être menées avec un certain sens – un sens politique - des compromis,  sans s’encombrer toujours de trop de rectitude et en étant prêt, si nécessaire, à  accepter de collaborer avec des « amis » plus ou moins honnêtes pour les besoins de la cause.

Le sentiment d’impunité est-il seulement lié à la fonction occupée, ou bien peut-il y avoir aussi une part d’inné ? Comment cela se passe-t-il « en interne » ?

Nous rêvons tous, au fond, de disposer de toutes les libertés. Mais nous avons un sens des réalités ; nous savons qu’il y a des limites à ne pas franchir. Ces limites ne nous sont pas données que par la peur de la punition ; il y a aussi des bornes intérieures fixées par ce que l’on n’ose plus appeler, par peur de paraître désuet, le « sens moral ». J’ai suivi à une époque un patient  qui présentait une kleptomanie d’exception : il aurait été capable de dérober une valise en crocodile dans une boutique Hermès sous le nez du vendeur. Ce patient m’a appris une technique qui permet de voler une cravate sans prendre le moindre risque. Depuis, je m’interroge toujours sur la raison pour laquelle j’éprouve le besoin de passer à la caisse quand j’ai choisi ma cravate. La punition est donc un frein externe à notre avidité mais il y a également des freins internes.

Quelles sont les origines du sens moral ? Je laisse la question aux philosophes. Mais permettez-moi, face à ce vaste sujet, d’indiquer une piste qui, n’étant que celle d’un « psy », se limite à une vision très sélective et sans connotation morale de la perception des limites.  Les psychanalystes nous indiquent que la petite enfance est une époque de « toute-puissance mégalomaniaque ». Rappelons-nous ces personnages aux pouvoirs illimités – ogres, fées, etc.  -– qui habitaient notre imaginaire au bon temps de nos peluches. La magie de l’enfance est un monde où tout est possible : cela fait rêver mais aussi cauchemarder… Nous prêtons des pouvoirs extraordinaires à ceux qui sont au-dessus de nous  -  les « grands » : ils ont les pouvoirs des géants et nous rêvons d’en disposer un jour, comme eux. Comment quittons-nous ce monde, comment ouvrons nous les yeux sur la triste réalité, celle d’hommes et de femmes ordinaires aux pouvoirs limités ? Mystère. Les parents, l’environnement jouent certainement un rôle. Certains s’agripperont  à ces illusions-là parce que leur monde est trop dur. D’autres y sont encouragés par des parents qui les valorisent trop et réalisent à travers eux leur propre rêve d’enfant. Et puis il peut y avoir de grands dons dans un domaine donné qui autorisent à se prendre pour un géant avec l’approbation de tous.  Ainsi, les raisons pour lesquelles certains s’attribuent un pouvoir à part en gardant au fond d’eux un reste de la toute-puissance de leur enfance, sont complexes.

Cette dérive de toute puissance est-elle propre uniquement aux politiques ? Dans quels cas la retrouve-t-on également ? Jusqu’où ce sentiment de toute-puissance s’étend-il ? Est-il par exemple mis entre parenthèses dans le cadre familial ?

Etre habité par cette conviction constitue une prime à la réussite, quel que soit le domaine considéré : ceux qui sont doués pour le tennis termineront plus facilement champions ; pour le chant, diva ; pour la politique, ministre ; et pour l’entreprise, grands bâtisseurs. On pourrait même ajouter, pour ceux qui sont doués pour les soins et les conseils à autrui : gourous. Après tout, ce n’est pas un défaut, c’est même une qualité de croire en soi et de travailler son clavier personnel sans relâche dans le but d’enchanter les autres, tant qu’on n’est pas trop obsédé par sa propre personne. Mais  la prime à la réussite peut se retourner en une cause d’échec quand, se croyant au-dessus de tout, on en vient à tout s’autoriser. Même en dehors de ces cas,  il faut bien admettre qu’une forme d’aveuglement  fait de ces individus à part des personnalités écrasantes pour leur entourage. Leur vie ne se conçoit que comme une mission consacrée à leurs priorités personnelles. Le conjoint en souffre souvent, mais plus encore les enfants.  A force de vouloir suivre leurs parents en se dressant sur la pointe des pieds,  les rejetons des  géants sont fréquemment pris de crampes sévères…  Paradoxalement, ces grands enfants au pouvoir merveilleux qui n’ont pas tout à fait quitté l’île de Peter Pan se montrent incapables de se mettre à la hauteur de leurs  propres enfants.


Propos recueillis par Gilles Boutin

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