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Dérapages en vue à l'Est : l'Europe saura-t-elle garantir le respect de la démocratie dans tous ses Etats membres ?
©Pixabay

En péril ?

La Commission européenne a engagé un procédure contre Varsovie au sujet du respect de l'Etat de droit. En effet, les actions du nouveau gouvernement polonais dirigé par Jaroslaw Kaczynski ont fragilisé les contre-pouvoirs. Or il n’est pas certain qu’une pression extérieure dissuade la Pologne de tordre le bras aux valeurs européennes : l’UE doit également être capable de montrer que les valeurs qu’elle défend sont également celles de ses citoyens.

Michael Begorre Bret

Michael Begorre Bret

Michael Begorre Bret est un économiste basé à Paris et à Budapest, mathématicien et statisticien. Ancien expert de l'OCDE et de l'Institute for Fiscal Studies, il a dirigé le département recherche thématique de la banque d'investissement AXA IM. Il enseigne l'économie et la géopolitique de l'énergie à Sciences Po Paris, codirige le site Eurasia Prospective et dirige la société Partitus, cabinet de conseil spécialisé dans le développement durable et les marchés émergents.

Son compte twitter : @m_bret

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Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Ce mercredi 27 juillet, la Commission européenne a donné trois mois à Varsovie pour revoir le fonctionnement de son tribunal constitutionnel. Dans quelle mesure l'Etat de droit a-t-il été dégradé en Pologne depuis l'arrivée au pouvoir du chef du parti conservateur, Jaroslaw Kaczynski ?

Cyrille Bret : La Pologne est traditionnellement très pro-européenne mais sourcilleuse en ce qui concerne le respect de sa souveraineté par les institutions de l’Union européenne. En réalisant cette démarche à l’égard des pouvoirs publics polonais, l’Union européenne souhaite éviter les erreurs commises lors du passage du FPÖ au gouvernement en Autriche au début des années 2000 : la Commission émet un avis, et le Parlement européen une résolution pour alerter la société civile, l’administration et la classe politique polonaises. Les Polonais sont aujourd’hui très présents à Bruxelles : c’est aussi un message des Polonais de l’extérieur aux Polonais restés au pays.

Florent Parmentier : La Commission européenne est dans son rôle lorsqu’elle veille au respect des valeurs fondamentales, parmi lesquelles se trouve le respect de l’Etat de droit, qui permet la défense des Droits de l’homme autant que la responsabilité gouvernementale. Sans l’Etat de droit, un régime pluraliste, dans lequel des partis peuvent se présenter au suffrage universel, ne saurait être au mieux qu’une démocratie illibérale.

Il est certain que le nouveau gouvernement polonais a mauvaise presse, du fait de ses actions qui fragilisent les contre-pouvoirs ; le PiS rappelle à qui veut l’entendre que sa légitimité démocratique doit l’affranchir de certaines règles. Le suffrage électoral et le soutien d’une partie importante de la population permet à des autorités élues de dénoncer les injonctions européennes comme des injonctions étrangères, et non comme des rappels aux engagements internationaux.

Dans ce contexte, s’il est vrai que la Pologne ne deviendra pas un régime autoritaire du jour au lendemain, les autorités polonaises ont toutefois joué avec les règles, et non plus selon les règles, en ce qui concerne l’Etat de droit. Longtemps, les populations centre-européennes ont considéré que l’Europe leur permettait de vivre à l’abri de tentatives autoritaires nationales. Aujourd’hui, une partie des opinions publiques européennes s’est persuadée que le contrôle qu’exercent les institutions européennes constitue un problème démocratique et de souveraineté. 

Michael Begorre Bret : On assiste depuis la fin 2015 à un véritable bras de fer politico-juridique en Pologne. Ce n'est pas un simple dialogue de sourds mais bien un affrontement entre les plus hautes institutions du pays : d’un côté, le tribunal constitutionnel et, de l’autre côté, le gouvernement de Beata Szydło et le Parlement. C’est un affrontement entre les pouvoirs judiciaire d’un côté et politique de l’autre (exécutif et législatif). Quoi qu'on pense de la légitimité de chaque position, l'Etat de droit souffre car la plus haute juridiction du pays ne peut tout simplement pas fonctionner : sa marche est paralysée. Le Parlement a, quant à lui, réalisé deux réformes institutionnelles d’ampleur en six mois ce qui diminue largement le temps qu'il peut passer à la rédaction de réformes moins médiatiques mais dont le pays a grandement besoin. Et le gouvernement construit son capital politique en rassemblant le plus grand nombre possible de corps intermédiaires pour s'indigner officiellement contre les déclarations allemandes, et en s’affichant contre les positions de l’Union européenne. On appréciera particulièrement l’interview de Jaroslav Kaczynski dans Bild déclarant que l'Union crée des problèmes là où il n'y en a pas. Effectivement, le pays a peu de difficultés économiques : la Pologne s’est placée en tête de l’Union européenne par le taux de croissance en 2015 (2,2%). Mais il a des problèmes politiques lourds à résoudre notamment pour l’équilibre de développement entre régions.

Ces atteintes à la démocratie sont-elles comparables à celles observées au sein de la Hongrie de Viktor Orban ? Sinon, dans quelle mesure se distinguent-elles ?

Cyrille Bret : Viktor Orban en Hongrie, le PiS en Pologne, Fico en Slovaquie aujourd’hui, et le FPÖ de Norbert Hofer peut-être demain en Autriche, poursuivent tous le même but : garder certaines formes de la démocratie (notamment la tenue régulière d’élection) et réduire les garanties accordées aux minorités, qu’elles soient politiques, sociales, ethniques, linguistiques ou encore médiatiques. La "démocratie" illibérale souhaite infléchir le paradigme bruxellois.

Michael Begorre Bret : Dans leur esprit, les démarches sont très proches puisque l'objectif clairement affiché est de changer l'équilibre des institutions en faveur de l'exécutif, et de limiter les contre-pouvoirs. Dans leur habillage politique également puisque le débat politique vise à présenter les alternatives comme le parti de la fierté nationale contre le parti de l’étranger, plutôt que comme deux visions de l'organisation des pouvoirs. Cependant, le détail de la mise en œuvre est assez différent puisque le gouvernement polonais de PiS (Droit et Justice) a d'abord choisi l'affrontement direct : il a annulé dès le 2 décembre l'élection de cinq juges constitutionnels alors qu’il s’avérait que seule la nomination de deux juges posait problème. Puis il a passé une première réforme constitutionnelle limitant le pouvoir et retardant le travail du Tribunal constitutionnel. Il a ensuite refusé de publier un arrêt du tribunal concluant à l’inconstitutionnalité de la réforme qu’il avait fait voter. Le gouvernement hongrois a choisi quant à lui une tactique de plus longue haleine, en réduisant progressivement les différents contrepouvoirs et en renouvelant les responsables en parallèle, sur une longue durée.

Florent Parmentier : Viktor Orban a en effet été le champion de la "démocratie illibérale", avant même la Pologne, cumulant respect des élections et déclin de l’Etat de droit. Derrière, ce sont également la Slovaquie et la Croatie qui menacent de suivre très étroitement ces exemples.

Attention toutefois, il n’y aurait pas d’un côté une Europe qui s’enfoncera dans un déclin démocratique, sabordant l’Etat de droit, et de l’autre une Europe des valeurs. La lutte contre le terrorisme, l’Etat d’urgence, l’affaiblissement de l’indépendance des médias, l’empiètement sur les libertés et les données privées ne sont pas l’apanage des Etats centre-européens.

Les dérives actuellement observées en Pologne sont comparables à celles de la Hongrie, mais il faut bien prendre garde à ne pas en exagérer l’ampleur ; Varsovie n’est pas Minsk. Il existe de nombreuses forces qui s’indignent de la régression et qui se manifesteront ultérieurement. 

De quels moyens l'Europe dispose-t-elle pour exercer une pression sur ces pays ? Est-ce efficace ? Quel est le risque que des sanctions européennes radicalisent davantage les positions de Viktor Orban et de Jaroslaw Kaczynski sur un certain nombre de sujets comme l'accueil des réfugiés ? Comment faire alors pour que les principes démocratiques et l'Etat de droit soient respectés ? 

Michael Begorre BretIl est certain que le mode actuel de pression, par voie de résolution du Parlement européen et de demandes de la Commission, n’est pas suffisant pour faire bouger le gouvernement du PiS, au contraire : une nouvelle réforme constitutionnelle passée le 22 juillet a modifié certains points marginaux qui avaient été pointés par l’Union. Non seulement elle n’a pas changé le coeur de la première réforme, mais elle est aussi allée plus loin en rendant encore plus long le travail du Tribunal constitutionnel et en changeant le statut du ministère public. La démarche du Parlement européen est censée être le premier pas vers ce qui pourrait être une suspension du droit de vote de la Pologne dans l’Union, mais la menace est totalement dénuée de crédibilité puisqu’il faudrait l’unanimité des autres membres de l’Union. On voit mal la Hongrie ou même d’autres pays y prêter la main. Le budget de l’Union est un levier potentiellement puissant. Mais croire que des réactions externes malvenues radicaliseraient les positions de PiS ou du Fidesz est fantaisiste. La ligne de ces partis est fixée en fonction de l’opinion publique intérieure et d’une conception du pouvoir bien précise. Il faut distinguer des réactions opportunistes à des réactions internationales et un mouvement de fond qui s’en soucie peu.

Florent Parmentier : La question est effectivement de savoir si la Commission européenne peut effectuer une pression efficace pour contraindre un gouvernement déjà à l’intérieur de l’Union européenne à respecter ses engagements internationaux ; elle dispose évidemment de davantage de leviers quand un pays est candidat.

Il n’est pas certain cependant qu’une pression extérieure suffise à dissuader les Etats concernés de tordre le bras aux valeurs européennes : l’UE doit également être capable de montrer que les valeurs qu’elle défend ne sont pas seulement les siennes, mais celles de citoyens. Elle ne peut pas faire l’économie d’une plus grande implication du Parlement européen.

La radicalisation des positions de Viktor Orban et de Jaroslaw Kaczynski n’aura pas lieu sur la question des migrants (leur position étant déjà très tranchée), mais sans doute plutôt sur le débat institutionnel : le groupe de Visegrad entend mettre en avant le concept d’Europe des nations, rejetant une trop grande influence de la Commission. Dans le même temps, cette position est inconfortable car une Europe où la Commission recule engendrerait également un recul du pouvoir des Etats de taille modeste.

Ainsi que je l’avais montré dans mon ouvrage Les chemins de l’Etat de droit (Presses de Sciences Po, 2014), la formation de l’Etat de droit est un processus du temps long et dépend souvent de l’alliance entre des organisations de la société civile, de groupes sociaux et de soutien de l’extérieur face à des autorités qui doivent accepter de limiter leur propre pouvoir. La démocratie illibérale pose donc un problème renouvelé et montre que les chemins de l’Etat de droit ne sont pas linéaires. 

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