Dépressifs chroniques ? Comment le choc pétrolier a façonné notre univers mental<!-- --> | Atlantico.fr
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Le choc pétrolier a brisé violemment le rêve de la croissance infinie.
Le choc pétrolier a brisé violemment le rêve de la croissance infinie.
©Reuters

Série : anniversaire du choc pétrolier

Le choc pétrolier de 1973 marque en Europe la fin des sociétés d'abondance qui ont émergées au sortir de l'après-guerre. Moins progressiste, plus replié sur lui même mais aussi moins paranoïaque, l'imaginaire collectif européen est encore marqué par un événement vieux de 40 ans. 3ème épisode de notre série sur le choc pétrolier.

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Atlantico : Perçu comme le principal coup d'arrêt à la prospérité économique issue des Trente Glorieuses, le choc pétrolier de 1973 reste dans l'imaginaire européen l'événement qui marque le déclin des sociétés du Vieux Continent. Peut-on voir dans cet épisode l'origine d'une nouvelle mentalité commune, moins conquérante et moins positive sur l'avenir ?

Michel Maffesoli : Je pense que c’est à partir de la seconde moitié du XXème siècle que s’opère progressivement un changement d’importance dans l’imaginaire collectif. Pour faire bref, on est confronté à une lente saturation des valeurs modernes et à l’émergence en contrepoint de ce qui va constituer la postmodernité. Les révoltes juvéniles dans les années 1960 en témoignent, le choc pétrolier en 1973 est un symbole des plus importants en la matière. Dans cette perspective, la prospérité économique, ou le règne du quantitatif tend de plus en plus à être considéré comme une valeur désuète. Faut-il parler à cet égard d’un déclin des sociétés du Vieux Continent ? Je ne le pense pas, mais on assiste plutôt à l’émergence d’une nouvelle atmosphère mentale, moins « paranoïaque » et moins préoccupée par le mythe progressiste, c’est-à-dire par cette tension vers l’avenir, la recherche de la société parfaite ou pour reprendre un leitmotiv des utopies marxisantes, les lendemains qui chantent. En d’autres termes, l’énergie individuelle et collective n’est plus dans la recherche d’un avenir radieux, mais par contre tend à se focaliser sur le présent. On peut dire que c’est ce « présentéisme » qui met l’accent sur le qualitatif de l’existence : un "mieux être" n’étant pas réduit à un bien-être.

Pour en savoir plus, retrouvez l'épisode précédent de notre série "anniversaire du choc pétrolier" : Ce qui reste du choc de 1973 sur la carte des puissances mondiales.

Les prédictions apocalyptiques se sont par ailleurs multipliées, plus d'une vingtaine, à partir des années 1980. Peut-on dire que notre inconscient collectif est aujourd'hui entré dans une logique de fin du monde ou s'agit-il d'un trait récurrent des sociétés humaines ? 

Il est certain que la saturation des grandes valeurs modernes va s’exprimer comme c’est toujours le cas quand on assiste à la fin d’un paradigme, par l’émergence de toute une série d’apocalypses. Mais il faut rappeler que le mot apocalypse, à l’encontre de ce qu’on a l’habitude de penser signifie révélation. C’est ainsi qu’il s’agit moins d’une logique de fin du monde que de celle de la fin d’un monde. Et corrélativement, qui dit la fin d’un monde souligne l’émergence d’un autre monde. Rappelons-nous à cet égard la position du philosophe Anaximandre de Milet : « Genesis kai phtora, Phtora kai genesis » (genèse et déclin, déclin et genèse). C’est ce qu’on peut appeler une structure anthropologique : quand une manière d’être et de penser cesse, on peut en voir dans le même temps, une autre émerger. 

Le choc pétrolier vient aussi briser violemment le rêve de la croissance infinie qui caractérisait les sociétés d'abondance des années 1960. Peut-on dire que l'on est sorti à ce moment là du positivisme européen pour entrer dans un fatalisme désabusé ? 

A cet égard, le choc pétrolier dont il a été question est symptomatique, en ce qu’il souligne la saturation du grand mythe progressiste, c’est-à-dire d’un développement économique indéfini. Ce qui était l’utopie de la société d’abondance, telle que les observateurs des années 1960 la prédisaient. J’ai indiqué qu’il s’agissait là d’une conception paranoïaque, quelque peu agressive qui était la conséquence du rationalisme dominant à partir du XVIIIème siècle et qui s’est achevé dans un rationalisme morbide, celui de la dévastation du monde, dont les saccages écologiques sont l’expression. A l’encontre de ce « développentalisme » exacerbé, un autre imaginaire est actuellement en gestation, que l’on peut nommer « enveloppementalisme », c’est-à-dire un souci de la nature, une autre attitude moins agressive vis-à-vis de ce « monde-ci ».

S’agit-il d’un fatalisme ? Pas forcément, mais du retour d’une sagesse humaine reposant sur le fait que tout ne peut être résolu, qu’il n’y a pas une solution à tous les problèmes que l’on se pose. Ainsi que l’ont dit quelques bons esprits, c’est le retour d’un « sentiment tragique de l’existence ». On va dès lors moins vouloir régler le chômage que s’en accommoder. De même les problèmes sociaux et économiques qui vont se poser ne le seront plus en termes de solutions, mais d’ajustements.

Le mythe de la "voiture pour tous" a aussi été clairement ébranlé avec la flambée des prix du pétrole. En quoi cela a t-il pu modifier notre perception du monde ?

Le mythe de « la voiture pour tous » était certainement la forme achevée d’une société d’abondance et l’on voit bien, actuellement, qu’émergent des attitudes quotidiennes de covoiturage, d’utilisation des transports collectifs, voire le fait de ne pas avoir de voiture personnelle, le développement des locations et d’autres exemples de la même eau, tout cela montre bien qu’est en gestation une perspective que je nomme pour ma part « écosophique », faite de prudence, de solidarité, de générosité, de partage, en bref de bénévolance vis-à-vis de l’environnement naturel, ce qui a un contrecoup sur l’environnement social. Il y a là une modification dans la vision du monde et comme cela commence à se dire de plus en plus, c’est l’émergence d’un nouveau paradigme, dont les jeunes générations sont les protagonistes essentiels.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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