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Dépasser les clivages droite gauche, cette nouveauté printemps été 2017 au fort goût de vintage
©Capture d'écran

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Dépasser les clivages n'est pas une formule politique inventée par Emmanuel Macron. Nombreux sont les cas de négation de l'opposition droite gauche dans l'histoire de la Ve République, et l'expérience devrait nous encourager à bien plus de méfiance.

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Gilles Richard

Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud et agrégé d'Histoire, Gilles Richard a été professeur à l'IEP de Rennes et enseigne aujourd'hui à l'Université de Rennes 2. Il est notamment l'auteur de Histoire des droites en France 1815-2017 (Perrin, 2017).

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Atlantico : En nommant un Premier ministre "de droite" après avoir lui-même exercé dans un gouvernement de gauche, Emmanuel Macron concrétise son ambition de casser le clivage gauche-droite pour former un gouvernement que son premier ministre a qualifié de "progressiste". Cette volonté de casser le clivage gauche-droite est-il une nouveauté dans l'exercice présidentiel de la Ve République ? Sur quels fondations politiques s'est construite cette idée d'une rupture avec la dichotomie gauche-droite ? 

Gilles Richard : Pour comprendre la situation politique dans laquelle nous sommes, il faut être rigoureux dans l'usage des mots, c'est-à-dire bien comprendre le sens des mots employés par les acteurs. D'un côté, E. Macron, ancien ministre de l'Économie dans un gouvernement "de gauche" qui a remis en cause, avec la loi El Khomri, les conquêtes du Front populaire ; de l'autre, É. Philippe, nouveau Premier ministre "de droite" qui a été rocardien dans sa jeunesse : de ces deux données, je déduis surtout que les deux hommes, malgré leurs parcours personnels différents, appartiennent à la même famille de pensée. Ils sont tous deux des néolibéraux convaincus. Et ce à quoi nous assistons n'est somme toute que l'aboutissement des évolutions des deux grands partis qui ont voulu monopoliser la vie politique, prétendant résumer à eux seuls les aspirations de la société et surmonter les contradictions que cela impliquait. Un PS dont la majorité des cadres et des élus se sont peu à peu ralliés, depuis trois décennies, au néolibéralisme en rompant avec la culture politique de leur parti. Une UMP, rebaptisée LR en 2015, fondée par A. Juppé en 2002 sur une base néolibérale mais reprise en main par N. Sarkozy et réorganisée autour d'une synthèse (jamais réussie, par la force des choses) entre néolibéralisme économique et discours identitaire. Ces deux partis ont, logiquement, fini par imploser. Le processus, amorcé avec les primaires, suit son cours sous nos yeux et l'on s'achemine vers la naissance prochaine d'une nouvelle force partisane qui rassemblera tous les néolibéraux, ex-PS, ex-UDI et ex-LR associés dans un cadre qui reste à définir.

Si le processus arrive à son terme, ce qui est probable, ce sera la réussite de ce qu'A. Juppé avait souhaité créer en 2002 sous le nom de "Maison bleue" (É. Balladur avait ouvert la voie dès 1988 en appelant à une confédération RPR-UDF) et, avant lui, V. Giscard d'Estaing lorsqu'il créa l'UDF en 1978. Rappelons-nous que "VGE" en 1972 proclamait que "la France souhait[ait] être gouvernée au centre" puis qu'il se réclama en 1976 du "libéralisme avancé" : ce que l'on nomme volontiers aujourd'hui "progressisme".

Cela casse-t-il le clivage droite-gauche ? Non car c'est déjà fait : les élections présidentielles se sont achevées au second tour sur un affrontement entre "mondialistes" et "patriotes", selon la formule de M. Le Pen, reprise de B. Mégret en 1997. Depuis 1984 (le choix définitif de "la rigueur" avec la formation du gouvernement Fabius) et, plus encore, depuis l'expérience Jospin (1997-2002), les gauches sont incapables de porter collectivement un projet politique de gauche ou, dit autrement, de "République sociale" (J. Jaurès) qui ose s'attaquer aux fondements du capitalisme – certes, J-L Mélenchon a tenté de faire renaître l'ancien clivage mais sur des bases ambiguës et sans réussir à se qualifier au second tour.

En revanche, l'opération Macron/Philippe achève de briser le système partisan structuré autour de l'affrontement PS/UMP puis LR – "l'UMPS" dans le vocabulaire frontiste – qui ne correspond plus aux réalités du rapport des forces : l'aile gauche du PS est définitivement marginalisée ; la "radicalisation" de la campagne de F. Fillon, sur la base d'une alliance avec Sens commun et La Manif pour tous, a conduit à la défaite électorale.

Quelles furent les conséquences politiques de ce refus du clivage gauche-droite dans l'histoire politique de la France ?

Le refus du clivage droite-gauche est consubstantiel de l'histoire politique française. Depuis la Révolution, il y a toujours eu des citoyens qui ont refusé de s'inscrire dans cet affrontement bipolaire. On les nomme et ils se nomment eux-mêmes volontiers "centristes". Mais les gauches ont durant près de deux siècles toujours réussi à imposer ce clivage. Sur la question du régime tout d'abord (la République contre les partisans du pouvoir personnel, monarchistes et bonapartistes confondus) puis, une fois la République établie en 1877-1879, sur l'opposition République libérale/République sociale.

Les nationalistes (pour eux, tout ce qui divise la nation l'affaiblit) ainsi que les démocrates-chrétiens (rejet de la lutte des classes au nom de la doctrine sociale de l'Église) ont été les deux grandes familles politiques qui, sur la longue durée, ont systématiquement – bien que pour des raisons différentes – refusé le clivage droite-gauche. D'où leur place longtemps secondaire dans la vie politique nationale, sauf moments exceptionnels. Le gaullisme a lui aussi proclamé sa volonté de "rassemblement" des Français et de dépassement des partis au nom de la grandeur de la France mais sans parvenir à imposer son point de vue, excepté le temps de la guerre d'indépendance de l'Algérie. Dans l'ensemble, on le sait, le "centre" n'a jamais pesé durablement. J. Lecanuet, figure du MRP puis du Centre démocrate, a finalement soutenu VGE contre F. Mitterrand en 1974, avant de prendre la présidence de la très giscardienne UDF. Et son lointain héritier, F. Bayrou, a tout autant échoué : il est aujourd'hui rallié au président E. Macron, nouvelle figure dominante de la famille néolibérale.

Comment se passe généralement la cohabitation de personnalités de droite et de gauche dans un gouvernement sous la Ve République ? 

Les cohabitations sous la Ve République ont été au nombre de trois : 1986-1988, 1993-1995, 1997-2002. La constitution de 1958 les permet, son article 5 faisant du chef de l'État un "arbitre" et son article 20 disant que le gouvernement conduit la politique du pays. Mais au-delà de cet aspect juridique, les cohabitations ont surtout été possibles, sans jamais menacer la stabilité du régime, parce que PS d'un côté (une fois le PCF entré en agonie), RPR et UDF de l'autre étaient d'accord sur l'essentiel : l'acceptation des principes du capitalisme néolibéral et l'intégration de la France dans le "grand marché" européen. Elles ont au bout du compte, malgré quelques frictions entre les hommes et des concurrences étroitement partisanes ou politiciennes, largement contribué à la situation politique d'aujourd'hui où d'anciens membres du PS et d'anciens membres de LR participent au même gouvernement.

En 1988 déjà, M. Rocard, alors Premier ministre, avait pris plusieurs giscardiens dans son gouvernement. À ce moment-là, le tout jeune É. Philippe, étudiant à Sciences Po, était justement rocardien.

Plus que jamais, les néolibéraux sont maîtres du pouvoir. Ils vont donc continuer à remodeler la société française sur principes qui sont les leurs. Face à eux, les gauches apparaissent plus que jamais divisées et le principal pôle d'opposition reste du côté des nationalistes. Pour surmonter les difficultés – temporaires – qu'ils traversent depuis les derniers jours de la campagne présidentielle, leur réorganisation partisane ne devrait pas tarder.

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