Déni, mépris ou impuissance… : mais comment expliquer le renoncement politique sur les missions régaliennes de l’Etat ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse avec Gérald Darmanin à l'hôtel de ville de Tourcoing. 2 février 2022
Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse avec Gérald Darmanin à l'hôtel de ville de Tourcoing. 2 février 2022
©LUDOVIC MARIN / AFP

Renoncement politique

Que ce soit sur les missions régaliennes traditionnelles de l'État, mais aussi sur l'éducation et la santé, le macronisme engendre une certaine forme de renoncement politique provoqué par un déni de réalité et un mépris de ce que vivent les Français, notamment les plus modestes. Mais force est de constater que ce déni et ce mépris dépassent de loin la macronie et caractérisent aussi le discours médiatique dominant (de gauche radicale), alors que les Français, dans leur grande majorité, donnent désormais la priorité à la protection du pouvoir d’achat, devenu le principal « sujet régalien » au détriment de tous les autres.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
Voir la bio »

Atlantico : A quel point observe-t-on actuellement un renoncement politique sur les missions régaliennes de l’Etat ?

Christophe de Voogd : Il faut d’abord s’entendre très précisément sur ce qu’on entend par « les missions régaliennes de l’Etat », dans lesquelles la tendance actuelle est de mettre à peu près tout, jusqu’à notre régime alimentaire ! En tant qu’historien ma réponse est claire : « régalien » renvoie à « royal » et donc aux missions de sécurité (intérieure et extérieure) et de justice (prérogative première des rois de France qui a entraîné toutes les autres). L’héritage révolutionnaire y a ajouté l’éducation et la santé, ayant marginalisé l’Eglise dans ces deux domaines où elle avait la primauté.  Deux domaines où le devoir de l’Etat est essentiel, comme le veut aussi la tradition libérale, mais qui se distingue fondamentalement des deux premiers en ce qu’il s’agit ici d’ « objectifs fondamentaux » (comme vient de le rappeler le Conseil constitutionnel à propos de la santé publique) mais qui n’impliquent pas le caractère public des moyens qui y sont affectés : et cela à la différence des missions de sécurité et de justice où les agents et le droit applicable sont, eux, intégralement publics. En termes plus simples, il y a un enseignement privé et une médecine privée en France, mais pas d’armée, de police ou de justice privées. Or l’on mesure que le pouvoir actuel, dans son double programme présidentiel et législatif - programme d’ailleurs très flou - ne parle explicitement que de santé et d’éducation (en plus de l’écologie), et ne fait donc pas, de son propre aveu, une priorité des missions régaliennes traditionnelles : ou plus exactement il se contente d’en augmenter les moyens mais ne se soucie pas de leurs résultats. D’où l’augmentation des crédits et des agents pour la police, la justice et l’armée, mais sans aucun changement de leur « doctrine d’emploi ». Autrement dit la question du but et de l’efficacité de ces missions régaliennes est tout simplement évacuée.


Dans quelle mesure ce renoncement politique sur les missions régaliennes de l’Etat est-il lié à un déni de réalité de la part du macronisme ? 

Il ne faut pas accabler le macronisme. Cette culture du déni est générale en France. Les faits ne comptent plus, et pas seulement pour les missions régaliennes. Toutes les réalités sont déformées, notamment dans le discours médiatique dominant. Tout ce que l’on entend aujourd’hui sur les « inégalités », « l’ultra-libéralisme », « l’austérité », « la mise à l’os des services publics », « le partage des richesses », le nucléaire, le pesticides, les énergies renouvelables, les chiffres de l’immigration et de la délinquance etc., tout est factuellement faux. Eric le Boucher vient de dresser la liste de ces contre-vérités dans un article historique pour Les Echos. Or, j’observe que le Président, sans jamais évoquer les enjeux de sécurité et de justice, sans jamais rappeler les vérités premières sur tous les sujets, notamment en matière d’écologie - où la France est exemplaire et n’a qu’une prise dérisoire sur l’avenir du climat - a été réélu largement. Je pense donc que ce déni est aussi le fait de l’opinion publique, qui place désormais le pouvoir d’achat et sa passion égalitariste au-dessus de tout. Le succès croissant de NUPES, qui est dans un déni ou un mensonge total sur ces sujets, va dans le même sens. Les enjeux de sécurité et d’identité si importants il y a six mois sont passés au second plan. Et la plupart des Français ne sont pas prêts à mourir pour Kiev : ni même à baisser leur chauffage pour moins dépendre de la Russie.


Quelle est la part de mépris de ce que vivent les Français et notamment les plus modestes ? Quelle est dans cette équation la part d’impuissance, soit par manque effectif de pouvoir ou par manque d’imagination sur les solutions à apporter ? 

Là encore, allons aux faits : les plus modestes - et les plus riches - ont été les grands bénéficiaires du premier quinquennat. Les chiffres de l’INSEE sont sans appel. De même, le mépris est une réalité qui dépasse le macronisme, car il est la caractéristique première des élites françaises, on le sait depuis Molière, y compris à gauche. Observons au demeurant que Mélenchon méprise au moins autant « les gens » (« ne me touchez pas ! »), que Macron, « ceux qui ne sont rien ». Il est vrai que le macronisme, qui est philosophiquement un dérivé du saint-simonisme, ayant la religion de « la science » et des « flux » sous la houlette d’un chef suprême quasi-christique, et qui est sociologiquement une émanation de la technocratie, est très doué en matière de condescendance. Les citations et les comportements, plus maladroites les unes que les autres, abondent dans ce sens. Mais il faut, pour expliquer l’action ou l’inaction de nos gouvernants, ajouter la véritable tétanisation du pouvoir provoquée par la crise des Gilets jaunes et, du coup, l’impuissance réformatrice du premier quinquennat dans une société incandescente. Il faut aussi faire la part de la tactique : convaincu – à tort selon moi - que la gauche (en l’occurrence l’extrême gauche) ne représentait aucun danger, le Pouvoir l’a outrancièrement flattée pour éliminer Marine Le Pen, Eric Zemmour et LR. Enfin, au moins aussi important à mes yeux, est le règne du politiquement correct, qui contrairement à ce qu’on lit partout, reste dominant et que, sur le fond, le Président partage dans sa conviction profonde, notamment sous son dernier avatar « woke ». En témoigne cet adjectif « nauséabond » que vous évoquez et qui est devenu un véritable leitmotiv péjoratif chargé, sans le moindre début d’argumentation, non seulement de disqualifier toute opinion contraire, mais aussi d’« écarter tous les faits » comme disait Rousseau. Nous sommes décidément dans un pays où les faits « sentent mauvais ». Ce qui n’est pas bon signe…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !