Déni de réalité : Emmanuel Macron dans "l’inversion accusatoire"<!-- --> | Atlantico.fr
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Le chef de l'Etat a accordé un entretien à la rédaction de "Challenge(s)".
Le chef de l'Etat a accordé un entretien à la rédaction de "Challenge(s)".
©Ludovic MARIN / AFP

Vision du chef de l'Etat

Le président de la République considère que les opposants à la « réforme » des retraites sont dans le déni et complices de l'arrivée potentielle des extrêmes au pouvoir, dans l’entretien qu’il a accordé au magazine « Challenge(s) ».

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Le Président de la République considère que les opposants à sa « réforme » des retraites sont dans le déni. Dans l’entretien qu’il a accordé au magazine « Challenge », il va même jusqu’à les pointer du doigt en les accusant de se faire les complices de l’arrivée potentielle des extrêmes au pouvoir. La réthorique reste inchangée, reposant tout d’abord sur un procédé bien connu, celui de « l’inversion accusatoire » qui consiste à imputer la responsabilité des maux dont on est à l’origine à ceux qui en sont les victimes directes ou collatérales. Le pouvoir en France n’a jamais peut-être, depuis que la démocratie est la règle, été aussi minoritaire. Rarement le consentement populaire y aura été aussi malmené et sans doute faut-il remonter loin dans le temps, peut-être au milieu du XIXème siècle pour se confronter à un tel repli gouvernemental sur lui-même. Cette crispation tient beaucoup de la psycho-politique : à proportion que le réel se dérobe à sa compréhension du monde, tout pouvoir tend à se recroqueviller sur ses certitudes, et à s’isoler dans un face-à-face mortifère avec la société.

Manque d’expériences? Oubli ou méconnaissance de l’histoire? Mépris pour les contradicteurs et les convictions autres? Un concentré de tous ces ingrédients explique cette déconnexion, voire cette sécession dirigeante.

Le chef de l’Etat semble ignorer les critiques, ou si ce n’est les ignorer, les balayer d’un revers de la main en les réduisant à des phobies souvent exagérées et fantasmées, telles que le populisme, le gauchisme ou le complotisme, mais tellement opportunes pour ressouder ce vieux parti de l’ordre qui toujours en France, au nom de la préservation de ses intérêts, ne demande qu’à faire barrage au sentiment démocratique. C’est bien ce dernier qui aujourd’hui est en jeu, et qui pour une grande part caractérise au mieux le moment de rupture qui se cristallise au quotidien sous nos yeux. Le sentiment démocratique n’est autre qu’une conscience, ou une acceptabilité d’une part du caractère réfutable de ses propres certitudes et de la nécessité de retremper d’autre part toute légitimité politique dans l’orbe de la souveraineté nationale. Or, il n’existe pas de démocratie sans réinitialisation permanente de ce sentiment, de cette aptitude à l’humilité en quelque sorte sans laquelle les institutions ne peuvent que s’abîmer dans une usure formelle. Car à trop considérer que la démocratie n’est qu’une formalité, on en vient à la déprécier, à la vider de sa substance, à l’égarer dans des chemins de traverses où elle n’est plus que le lointain écho d’elle-même, alors qu’elle est par construction une matière vivante qu’il ne faut pas confondre avec la sécheresse d’un protocole ou exclusivement d’une procédure. Le texte n’a de sens que si l’esprit en est sauvegardé et fécondé. La démocratie exige une prédisposition, réactivée sans cesse, au respect des désaccords. Au travers de ses propos le Président de la République estime, encore une fois, qu’il détiendrait, lui et ses soutiens, le monopole de l’intérêt général , mais il manifeste également une forme de morgue dès lors que des points de vue adverses en viendraient à contester sa vision de la chose publique. Cette « dispute commune » qui est le grain de la République et dont parle le politologue Stéphane Rozès dans nombre de ses analyses n’est pas à l’agenda de la majorité qui ne voit qu’agression là où des oppositions légitimement peuvent se lever. Enfant du déni d’une partie des élites qui depuis Maastricht se défient du peuple, Emmanuel Macron prolonge mécaniquement le fil de sa naissance, sans voir qu’il prend le risque d’accentuer par la même occasion le fossé grandissant entre les Français et leurs gouvernants. Le déni qu’il invoque pour décrédibiliser ses contradicteurs n’est rien d’autre que la mise en abime de son propre déni. Il signe de manière quasi psychanalytique un aveu, comme si l’inconscient finissait toujours par parler. Un Président de la République ne peut avoir raison tout seul, ou presque, contre la grande majorité de ses concitoyens : ne pas voir cette réalité c’est non seulement faire fi de tout sentiment démocratique mais par ailleurs concourir à sa propre délégitimation, et mutadis mutandis, à l’affaiblissement des institutions.

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