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Démences séniles, troubles de la mémoire et Alzheimer : ces régimes alimentaires dont la science commence à penser qu’ils peuvent être bénéfiques
©MARTIN BERNETTI / AFP

Mangez sain, mangez méditerranéen

Plusieurs études médicales rapportent que le régime crétois permet de préserver et même d'améliorer les fonctions cognitives, c'est-à-dire le fonctionnement psychique de notre cerveau.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Alors que le Daily Mail relayait le 22 avril dernier le cas d'une octogénaire ayant retrouvé la mémoire suite à un régime méditerranéen, plusieurs études médicales avaient déjà pu faire état d'effets positifs d'une telle alimentation sur les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Ainsi, une étude de l'Université de Californie, datant de 2016 et publiée par l'American Journal of Geriatric Psychiatry indiquait que le risque de démence et de perte de mémoire avait diminué de 53% chez les personnes qui avaient suivi leurs recommandations d'un régime "crétois". Comment expliquer ce processus sur les facultés cognitives des patients ?

Stéphane Gayet : Isolée en Méditerranée, loin des richesses, ne connaissant pour ainsi dire ni le luxe ni l'opulence, la plus grande île de Grèce nous donne des leçons sans le vouloir, car son peuple est discret et modeste. Grâce à des études épidémiologiques – quelle science admirable que l'épidémiologie -, on a pu constater et affirmer que les Crétois avaient une grande espérance de vie et ne connaissaient que très peu la maladie d'Alzheimer. Cela alors que le niveau de vie y est plutôt bas et le système de santé assez rudimentaire. Certes, la Crète a un niveau économique nettement au-dessus de la Grèce métropolitaine et un taux de chômage très inférieur au sien, mais ce n'est pas difficile. En vérité, la Crète est une contrée plutôt pauvre, mais où l'on vit bien et en bonne santé. Le climat y est agréable de mars à novembre et pendant la saison chaude il est souvent idyllique sur les zones côtières. C'est dans cette île mythique que Zeus aurait choisi de naître.

Le fameux régime crétois, celui qui maintient en bonne santé et fait vivre longtemps, les Crétois ne l'ont pas inventé : il leur est naturel. Il faut reconnaître que l'île vit assez bien du tourisme pendant la saison chaude et que cette activité est lucrative. Mais le reste de l'activité économique est essentiellement agricole et artisanal. Pratiquement chaque famille possède des oliviers et la récolte ainsi que le traitement des olives occupent déjà pas mal de temps. Le sol y est très fertile et les pluies abondantes, ce qui explique la richesse et la diversité de la production de fruits et légumes, le soleil et la chaleur aidant. Aubergines, tomates, concombres et avocats y abondent ; agrumes (en particulier les mandarines), kiwis, melons, pastèques, bananes et raisins aussi. Ajoutez-y des céréales, des fruits secs (dont le raisin séché), du lait de chèvre et de brebis et les nombreux et célèbres fromages qui en sont dérivés, des yaourts, des œufs, beaucoup de poisson et un peu de viande de mouton ou de chèvre, et votre menu crétois est pratiquement fait. Ah, pardon, j'oubliais le fameux vin crétois ancestral, car il fait partie du repas. Mais ce n'est pas tout : les Crétois mangent globalement peu et ont une faible ration calorique. Le voici dévoilé, ce fameux régime crétois. Rien de bien compliqué, mais c'est efficace. Évidemment, nous sommes aux antipodes de la restauration rapide importée des États-Unis d'Amérique et dont certains écologistes aiment à démonter les bâtiments.

Comment opère donc le régime crétois pour préserver et même améliorer les fonctions cognitives, c'est-à-dire le fonctionnement psychique de notre cerveau ? Il y a au moins quatre explications à cela. Premièrement, les Crétois mangent assez peu et en particulier peu de sucre raffiné ; ils ont de ce fait un indice de masse corporelle proche de la normale, ce qui constitue déjà une protection contre la maladie d'Alzheimer, comme cela été prouvé par plusieurs études (la masse grasse excessive favorise en effet le développement des plaques amyloïdes, directement et indirectement en prédisposant au diabète de type 2). Deuxièmement, les nombreux fruits et légumes qu'ils consomment ont généralement une action antioxydante, qui contribue à ralentir la dégénérescence cellulaire, dont celle des cellules nerveuses. Troisièmement, ils consomment beaucoup moins de graisses animales que nous qui apprécions la viande de bœuf, la viande de porc, la charcuterie, le lait de vache et tous ses dérivés gras. Or, ces graisses animales saturées apportent beaucoup d'éléments qui facilitent la constitution des plaques amyloïdes dans le cerveau. Enfin, les Crétois ont un habitat principalement dispersé, vivent souvent en plein air, marchent beaucoup et ont d'autres activités physiques quotidiennes, ce qui fait partie intégrante du régime bienfaisant.

Quelles sont les recommandations à faire pour les personnes atteintes ? Quelles sont les limites de telles recommandations alimentaires ?

Ce régime crétois - que l'on s'est empressé de rebaptiser régime méditerranéen, parce que l'on avait un peu honte, nous peuple industrialisé et scientifique, de reconnaître que les Crétois étaient plus forts que nous en prévention médicale – fait en réalité partie d'un art de vivre. Et cet art de vivre, si tant est que nous l'ayons déjà connu en France, nous l'avons perdu. Alors maintenant, comment abandonner du jour au lendemain le stress, la viande de bœuf ou de porc bien grasse, la charcuterie, le sel en abondance, les fritures, le beurre, la crème fraîche, l'huile d'arachide ou de palme, les boissons sucrées et les desserts chocolatés, les viennoiseries, les crèmes glacées, le pop-corn caramélisé et toutes les confiseries, alors que nous en sommes gavés ou presque depuis notre plus tendre enfance ?

Pour les personnes qui auraient déjà un début de régression des fonctions cognitives, il est grand temps de se mettre au régime crétois dit "méditerranéen". Schématiquement, il s'agit de consommer des céréales complètes (avec l'écorce ou son), des fruits et des légumes, des légumineuses (haricots, fèves, lentilles, petits pois), de l'huile d'olive, des graines (blé, maïs, mil, riz, seigle, orge, sarrasin), des fruits secs (noix, noisettes, raisins séchés), du poisson et des œufs. Quant à la consommation de produits laitiers, elle doit rester assez limitée et se tourner de préférence vers le lait de chèvre ou de brebis. Celle de viande également et se tourner de préférence vers des viandes peu grasses, comme des moutons non engraissés et des chèvres. Et puis la ration calorique quotidienne doit être limitée et proportionnée à l'activité physique. L'alcool n'est pas interdit, mais sa quantité ingérée quotidiennement doit être très faible.

Il ne faut pas sous-estimer l'impact de ces mesures diététiques : il est véritablement important. Mais en vérité, ce régime est difficile à tenir quand on a fait tout l'opposé pendant des décennies. Il faut cependant se convaincre qu'il peut réellement freiner l'évolution d'un processus dégénératif de type Alzheimer, à la condition de le suivre strictement et tous les jours. Toutefois, attention au risque de dépression : on constate qu'une personne obèse a tendance à devenir triste lorsqu'elle perd beaucoup de poids ; et puis l'abandon radical de mets de prédilection (tartines de beurre, charcuterie, crèmes glacées…) risque également de rendre triste, surtout à un âge où la vie se rétrécit beaucoup et où les repas sont parfois parmi les meilleurs moments de la journée.

D'un point de vue médical, quels sont les autres bienfaits d'un régime méditerranéen ? Quelles en sont les composantes les plus importantes pour un maximum d'efficacité sur la santé ?

Les premiers bienfaits du régime crétois dit "méditerranéen" qui ont été découverts, il y a des années de cela, concernent l'appareil cardiovasculaire. Il faut savoir que l'être humain vieillit surtout par son réseau artériel. C'est un truisme que de dire que nos artères, artérioles et capillaires irriguent et nourrissent tous nos tissus de la tête aux pieds et en continu. Le sang artériel apporte essentiellement de l'oxygène et du glucose à tous nos tissus qui les distribuent à leurs cellules constitutives, par le biais du liquide interstitiel. Il est moins évident de comprendre que toutes nos artères vieillissent plus ou moins vite selon les individus et leur mode de vie, et que c'est la vitesse de vieillissement de nos artères qui conditionne amplement notre vieillissement général : "nous avons l'âge de nos artères."

Alors, comment vieillit notre réseau artériel ? Le stress, l'hypertension, le sel en excès et les graisses animales saturées comptent parmi les principaux facteurs de vieillissement de nos artères. À ceux-là s'ajoute une composante héréditaire, bien sûr : nous sommes très inégaux physiologiquement, sur le plan de notre état santé. Le processus essentiel de sénescence des artères est constitué de l'athérogénèse (processus de formation de l'athérome). Elle consiste en la formation de plaques dites d'athérome dans la paroi des artères. Ces plaques grossissent et rétrécissent le diamètre utile de ces artères et donc le débit sanguin artériel. Le cœur essaie de compenser cette baisse de débit et se fatigue au fil des ans. De plus, les plaques d'athérome durcissent la paroi des artères qui perdent peu à peu leur élasticité, ce qui ajoute à la gêne éprouvée par la pompe cardiaque. Au maximum, l'athérome peut obstruer complètement une artère, le plus souvent par constitution d'une thrombose ("caillot") qui est facilitée lorsque le diamètre et le débit artériels sont devenus très faibles. L'obstruction complète constitue une "ischémie", c'est-à-dire un arrêt complet de la circulation artérielle dans le territoire concerné, ce qui provoque en général une nécrose (mort des cellules de ce territoire). De plus, une plaque d'athérome peut sortir de la paroi artérielle (par déchirure interne de cette dernière) et passer dans le flux artériel pour aller constituer en aval un bouchon, bientôt complété d'une thrombose (ischémie).

Or, si la démence d'Alzheimer est essentiellement liée à une dégénérescence neuronale en rapport avec la formation et le développement de microplaques amyloïdes, il existe d'autres types de démence (régression sévère des facultés cognitives avec notamment d'importantes pertes mnésiques) qui sont en rapport avec la réduction du flux sanguin artériel cérébral. On les appelle des démences vasculaires. Il est certain qu'elles sont influencées par le régime alimentaire. Et précisément, le régime crétois contribue efficacement à prévenir l'athérogénèse et l'hypertension artérielle, en un mot le vieillissement artériel, mais aussi cardiaque.

Pour un maximum d'effet sur la santé, on peut retenir les aliments suivants. De l'huile d'olive, des fruits, des légumes, des légumineuses et des graines presque toute la journée. Le moins de viande grasse possible (bœuf, porc, mouton engraissé) et le moins de produits laitiers gras d'origine bovine possible. Des exemples de régimes crétois sont proposés sur différents sites et blogs internet. Attendez-vous à y trouver des tartines d'huile d'olive, des fruits et légumes en quantité et du fromage de chèvre ou de brebis. Le régime crétois n'est pas un régime végétarien : c'est un régime à tendance végétarienne, peu carné, évitant les graisses animales et quantitativement modéré. Il consiste donc en une frugalité naturelle. La charcuterie, c'est appétissant ; la tartine de beurre et de confiture, c'est délicieux ; le pop-corn caramélisé également ; les crèmes glacées très sucrées aussi ; mais il faudra mettre une croix sur ces mets. Et surtout, surtout, manger moins : cela se verra rapidement au tour de taille. Il faut manger moins, nous mangeons beaucoup trop. À cette lecture, beaucoup se diront "oui, c'est vrai, il faut que je change" ; mais qui le fera vraiment ? Évidemment, ce n'est pas à la portée de toutes les bourses, mais commencer par un bon avocat le matin au petit-déjeuner, c'est une excellente mesure qui permet de bien se défendre contre le vieillissement. Les ouvrages sur la nutrition sont légion. L'un d'eux, publié il y a une dizaine d'années, avait un titre saisissant, du type "Arrêtez de consommer toutes ces vacheries". L'auteur faisait bien sûr allusion à tout ce qui vient de la vache ou du bœuf : viande grasse, lait gras, crème fraîche, beurre… Mais c'est toute notre économie agroalimentaire qui est ainsi remise en question, tonnerre de Zeus.

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