Demain, j'arrête : comment mettre fin à la procrastination, un sérieux trouble du comportement<!-- --> | Atlantico.fr
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La procrastination est désormais un mal reconnu.
La procrastination est désormais un mal reconnu.
©Reuters

L'heure, c'est l'heure

La rentrée approche et c'est l'heure de s'occuper de certains dossiers mis de côté cet été. Pour certains, remettre sans cesse ce que l'on a à faire au lendemain est un trouble du comportement sérieux. Aujourd'hui, il est possible de se débarrasser, à condition, entre autres, d'identifier les causes profondes de ce blocage.

Alexandra Rivière Lecart

Alexandra Rivière Lecart

Alexandra Rivière est une psychologue clinicienne et psychothérapeute exerçant à Paris. Elle traite diverses troubles allant du manque de confiance en soi, aux troubles alimentaires en passant par la procrastination. A ce sujet, elle a donné de nombreuses interviews.

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Atlantico : Procrastiner se rapporte au fait de repousser au lendemain un certain nombre de tâches. Comment lutter contre ce problème, parfois élevé au rang de pathologie par certains psychologues ?

Alexandra Rivière : Les approches thérapeutiques de ce type de pathologies varient. A ce jour, la technique la plus efficace reste l'approche cognitive et comportementale. On parle alors de reconstruction cognitive.

Il faut travailler sur les pensées –les cognitions- des patients procrastinateurs qui sont généralement perfectionnistes et anxieux. Ils se réfugient dans "il faut que", "je dois faire", "je n'ai pas le temps"... Ces pensées sont toujours en rapport avec les notions de temps et de réussite. Alors que les cognitions peuvent parfois faciliter le comportement, ici elles le bloquent. La peur de l'échec, le ressenti… bloquent l'action chez ce type de patients. On rentre alors dans un comportement pathologique. Il faut travailler sur l'appréhension qu'amène l'idée de devoir accomplir une tâche. C'est parce qu'il y a une attente que les patients se bloquent, si l'on enlève cette notion d'attente ils accomplissent leur devoir sans problème.

En plus de travailler sur les pensées, il faut également se concentrer sur les émotions. En d'autres termes, il faut découvrir ce qu'impliquent les deadline, pourquoi elles font peur. Il faut mettre le doigt sur les causes analytiques : sortir le procrastinateur de son fantasme, de sa toute puissance.

L'important est de briser la boucle qui s'installe chez le "malade". Ce concept théorisé par Eric Jaffe dans Psychological Science démontre que repousser sans cesse rend nerveux entraînant ainsi une baisse d'énergie nous rendant d'autant moins productif et nous poussant à ne rien faire ce qui augmente d'avantage notre niveau de stress et ainsi de suite.

Quelles méthodes sont les plus usitées et les plus efficaces dans ce cadre de thérapies ? 

Dans le cadre des thérapies comportementales et cognitives, diverses techniques sont utilisées. Les exercices sont toujours actifs, il s'agit de mises en pratique, de restructurations cognitives dont voici une liste non exhaustive :

  • Faire un planning pour la semaine peut s'avérer très utile. Cette méthode est notamment récurrente lorsqu'il s'agit de "soigner" des adolescents. Il faut alors diviser le travail (les devoirs par exemple), en petites tâches pour éviter que l'individu se sente confronter à une montagne. En voyant que la tâche est divisible et pas si longue à accomplir, la personne se retrouve propulsée dans le réel et l'accomplie. 

  • Faire un bilan. Il s'agit de s'intéresser à tous les domaines touchés par l'inertie, que ce soit les tâches ménagères, professionnelles, financières… Il faut les interroger sur les pensées qu'ils associent à ces tâches et les forcer à regarder les conséquences de leur comportement (celui de toujours repousser l'action dans le temps).

  • Se pencher sur les déclencheurs de l'inertie. En général, ils sont liés aux idées de plaisir ou déplaisir. Un procrastinateur marche au plaisir, il fera ce qui lui plait et si la tâche, lui déplait elle sera repoussée. Imposer une deadline les freine, ils l'associent à ce qui leur fait peur que ce soit l'autorité parentale ou l'école.

  • Il faut identifier les excuses. Travailler avec les patients sur ces mauvaises raisons qui les poussent à tout remettre au lendemain. Ce travail se rapporte aux notions de locus internes et externes analysés par Julian Rotter en 1954. Les individus qui possèdent un locus interne sont ceux qui parviennent à trouver les causes de leur flegmatisme et agir sur celles-ci d'eux-mêmes. Les autres attribuent les causes de leurs déboires à autrui, à la société. Ils manquent de capacités d'adaptation et de ressources internes pour parvenir à se motiver seuls.   

  • Identifier les détourneurs de temps, toutes ces actions qui sont chronophages. Il s'agit de mettre la main sur les activités telles que le sommeil, regarder la télévision, aller sur internet… qui ne sont pas nécessaires et que l'on peut faire après avoir accompli la tâche principale.

  • Travailler l'estime de soi, un procrastinateur est quelqu'un qui manque de confiance en lui-même, qui ne se sent pas à même de réussir. Il faut donc lui faire des compliments, le pousser à réaliser qu'il est tout à fait capable de réussir.

  • Définir les priorités, avec la métaphore du bocal par exemple. Cette métaphore fait référence à un bocal rempli au ¾ avec du sable, on doit pouvoir y glisser un certain nombre de cailloux. Comment faire ? Mettre le sable en premier ou alors les cailloux ? Ici les cailloux représentent les tâches importantes, celles que l'on se doit de réaliser (d'où l'obligation de mettre tous les cailloux dans le bocal) quant au sable il représente ces tâches chronophages, que l'on peut –quant à elles- repousser.  

  • Mettre en application la matrice d'Eisenhower par laquelle on définit les tâches urgentes et importantes, les tâches urgentes mais non importantes, les tâches importantes mais non urgentes et enfin les tâches qui ne sont ni importantes ni urgentes. Cette méthode permet aux patients de mettre ces tâches dans des cases, d'y voir plus clair.

Diverses études, dont une publiée dans le "Journal of consumer research", conseillent d'imposer des limites de temps aux procrastinateurs. Pourquoi imposer des deadlines peut-il aider les patients ? Comment faire en sorte qu'elles soient respectées ?

Les troubles de procrastination sont psychologiques et affectifs. On ne peut donc garantir que les deadlines seront respectées. Néanmoins, comme le montre les études de Dan Ariely et celle du "Journal of consumer research", s'imposer diverses petites deadlines proches dans le temps peut être un bon moyen de se forcer à agir.

Mais attention, comme toutes les méthodes cherchant à mettre un terme à ces troubles, elles ne durent qu'un temps. Rapidement, la psychologie du patient reprendra le dessus. La technique la plus efficace reste celle qui conduit à découvrir les causes profondes du blocage.

Cette "maladie" est de plus en plus médiatisée, avance-t-on vers une prise en charge plus lourde ? Sa reconnaissance en tant que pathologie ?

D'une manière générale, on peut dire que la prise en charge de ce comportement pathologique est légère, puisqu'il n'est nullement reconnu comme tel et que peu de professionnels de la santé ne le traite. Pour autant, bien qu'il n'existe aucun traitement médicamenteux, une thérapie spécifique est mise en place, ce qui demeure une prise en charge complète, lourde même.

Ce trouble –qui est encore trop largement pris à la rigolade- pourrait dans un avenir proche être reconnu comme étant une pathologie notamment parce que le nombre de cas déclaré ne cesse d'augmenter. En outre, il s'agit d'un problème réel : la personne ne peut pas s'empêcher de toujours tout repousser dans le temps, elle ne le choisit pas et en souffre.

Cet article est une mise à jour de "Briser le cercle vicieux de la procrastination, c’est possible : voilà ce qu’il faut savoir" publié le 12 juin 2015

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