Délinquance : y-a-t-il une hausse des actes les plus traumatisants ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le nombre de cambriolages a connu une envolée en 2013, avec +6,4% en zone urbaine.
Le nombre de cambriolages a connu une envolée en 2013, avec +6,4% en zone urbaine.
©Reuters

Sentiment d'insécurité, vraiment ?

L'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a rendu public son bilan chiffré de la délinquance en France en 2013. Conclusion : les cambriolages et les vols sur des particuliers sont encore en nette hausse.

Christophe Soullez

Christophe Soullez

Christophe Soullez est criminologue et dirige le département de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Il est l'auteur de "Histoires criminelles de la France" chez Odile Jacob, 2012
et de "La criminologie pour les nuls" chez First éditions, 2012. 

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Atlantico :  Le nombre de cambriolages a connu une envolée en 2013, avec +6,4% en zone urbaine (+10% pour les résidences secondaires) et +4,7% en zone rurale (+17,7% pour les résidences secondaires). Comment expliquer cette hausse massive de ce type de délit traumatisant pour les victimes ? 

Christophe Soullez : Certes, certains cambriolages peuvent être très traumatisants pour les victimes car elles ont l’impression que leur intimité a été violée. Mais il faut aussi savoir raison garder. Un cambriolage reste moins traumatisant que des violences physiques ou sexuelles.  De même, s’il est juste d’évoquer une « hausse massive », celle-ci ne se mesure pas sur un an mais depuis 2008. En 5 ans, le nombre de faits constatés de cambriolages de locaux d’habitations principales a augmenté de 44,4% en zone police (+ 43 686 faits constatés) et de 63,9% en zone gendarmerie (+ 34 047 faits constatés). Par ailleurs si la hausse en zone police est plus élevée que l’an dernier, en revanche, on note un ralentissement en zone gendarmerie puisque l’an dernier la hausse était de 11%. Elle était d’ailleurs aussi supérieure en 2009 avec +6,9%.

On dispose de deux éléments d’interprétation complémentaires de cette tendance : l’intérêt pour les objets en or, notamment les bijoux, et l’implication croissante de la criminalité organisée dont une partie des membres sont originaires des pays de l’Est. On a mesuré, dans l’enquête nationale de victimation que l’Observatoire mène chaque avec l’INSEE, une hausse de la part des ménages qui, se déclarant victimes de cambriolages de leur logement, ont dit que des bijoux leur ont été volés. Nous avons, de plus, publié une étude sur le profil des personnes mises en cause par la police nationale pour vols, qui a révélé une part en forte augmentation des mis en cause de nationale roumaine, géorgienne, et plus généralement en provenance d’Europe balkanique ou d’ex-URSS en matière de vol avec effractions.

Les réseaux criminels ont bien compris l’intérêt de s’investir dans les cambriolages. Ils en commettent des dizaines en très peu de temps, ne restent pas plus de 5 minutes dans le logement, volent les bijoux puis les écoulent ensuite. A l’inverse d’un vol à main où ce qui est important c’est la valeur du butin, en matière de cambriolages, c’est le nombre de ceux-ci qui va être l’élément le plus important.

Je précise d’ailleurs que la France n’est pas le seul pays touché par ce phénomène et que la plupart des pays européens, même ceux du Nord, connaissent aussi une hausse des cambriolages depuis plusieurs années.

Des cambriolages se font maintenant alors que les habitants y sont présents, et les agresseurs ne craignent plus d'user de violences. Peut-on quantifier la part des cambriolages qui dérapent en violence aux personnes ? Pourquoi ce qui avant constituait une barrière pour les cambrioleurs ne les arrête plus aujourd'hui ? 

Les cas de vols avec violences ou menaces représentent moins de 2 % des cambriolages ou tentatives de cambriolage de résidence principale décrits par les ménages s’étant déclarés victimes lors de l’enquête annuelle de victimation INSEE-ONDRP. Au contraire, la présence croissante de la criminalité organisée dans ce qui était précédemment des vols « locaux » comme les cambriolages, concerne des actes sans violence car ils sont d’une gravité pénale très inférieure à celle des actes commis avec violences. Le cambrioleur a tout intérêt à ce que la victime soit absente. Les cas de confrontation sont donc très rares même s’ils peuvent exister. 

Les homicides sont en nette baisse en ville (-4,2%) alors qu'ils s'envolent à la campagne (+14,9%) de même que les violences faites aux personnes, alors qu'elles restent stables en zone urbaine. La campagne, qui renvoyait jusque là l'image d'une zone mieux préservée de la délinquance violence et du crime, est-elle en train de devenir plus dangereuse que la ville ? Pourquoi ?

On ne peut pas s’appuyer ainsi sur les tendances sur un an en matière de faits constatés d’homicides (hors tentative). On observe surtout, pour le taux d’homicides pour 100 000 habitants, des différences des territoires comme la Guyane, la Guadeloupe et la Corse et la plupart des autres régions métropolitaines. Une étude en cours de l’ONDRP sur le sujet sera susceptible de répondre en intégrant des éléments de contexte détaillés sur la nature des homicides.

Par ailleurs ce sont les homicides non crapuleux qui augmentent, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas liés à un vol. Ils regroupent notamment les homicides intrafamiliaux. Or, pour ce type de faits, on sait très bien que la police et la gendarmerie ne peuvent pas être au sein de chaque foyer et que c’est une question de société bien plus qu’une problématique policière.    

Enfin les coups et blessures volontaires enregistrés n’augmentent pas en zone gendarmerie. Ils sont stables tout comme en zone police. On note toutefois là aussi une hausse des faits concernant les mineurs et cela peut également nous renvoyer à la violence intrafamiliale. N’oublions pas que, de manière générale, l’enquête de victimation a montré que sur 100 violences physiques déclarées par les 18 à 75 ans, la moitié était perpétrée dans la sphère familiale.

Malgré la médiatisation de quelques cas ayant mis en lumière la question de l'autodéfense, les attaques à mains armées sont en net recul, une tendance lourde depuis plusieurs années. Moins de braquage, mais plus de cambriolages et de vols à la tire : une inégalité nouvelle entre des commerces aux systèmes de sécurité toujours plus performants, et des particuliers qui ne peuvent pas se protéger est-elle en train de se mettre en place ?

On ne peut pas exclure que les cas d’autodéfense puissent être un signe visible de la volonté d’une profession de ne pas rester inactive devant une hausse des vols à main armée. Les solutions par des mesures de protection passive sont celles à privilégier puisqu’elles ont montré, par le passé, dans le cas des banques ou des véhicules, qu’elles avaient une grande efficacité. Toute cible qui n’a pas encore ajustée son comportement à un changement de son degré d’exposition au vol risque de voir son taux de victimation s’accroître. L’amélioration de la protection des commerces tout comme celles des logements des particuliers est prédite dans le modèle de la théorie des opportunités comme la réponse qui mettra un terme au cycle de hausse.

Il ne faut pas non plus omettre le phénomène de transfert des cibles. Si une cible est protégée, elle n’élimine pas pour autant celui qui a envie de passer à l’acte, elle rend sa tâche plus difficile. Or plus elle sera protégée plus le délinquant se dira qu’il doit en trouver une plus accessible et moins risquée. Les banques ne sont quasiment plus attaquées car les risques sont trop importants donc les délinquants se tournent vers les commerces. On pourrait utiliser le même raisonnement pour d’autres types d’infractions.

La hausse des cambriolages était déjà la tendance en 2012, et Manuel Valls avait fait de la lutte contre ce type de méfait sa priorité pour cette année. Pourquoi, selon vous, les pouvoirs publics ont été impuissants à enrayer la hausse des cambriolages ?

Ce n’est pas une question d’impuissance. C’est une question de temps, de moyens et de priorités. Déjà il est trop tôt pour juger de l’efficacité ou non des mesures prises par le ministère de l’Intérieur. Les renversements de tendance ne se font pas en quelques mois. On verra ce que donnera 2014. On peut d’ores et déjà dire que la hausse observée au second semestre 2013 est déjà beaucoup moins élevée que celle du premier semestre 2013.

Mais n’oublions pas que les cambriolages sont des infractions difficiles à élucider. Elles sont commises par des individus qui sont mobiles, qui laissent de moins en moins de traces de leurs passages, qui se professionnalisent et qui agissent en toute discrétion. Le travail policier est donc complexe et long et ce d’autant plus que nous devons faire face aujourd’hui à des organisations criminelles. Il faut procéder à des recoupements judiciaires sur les modes opératoires, exploiter le peu d’indices laissés grâce à la police scientifique, localiser les membres d’une organisation, organiser des filatures si des individus ont pu être identifiés, etc. C’est un travail de longue haleine mais qui peut être payant si des réseaux sont démantelés comme cela a été le cas en Bretagne il y a quelque semaine avec le démantèlement d’une organisation géorgienne. Il faut ensuite que policiers et gendarmes aient des moyens : police technique, développement des fichiers de rapprochement judiciaire, etc. Nous sommes dans un pays de droit et pour pouvoir poursuivre et condamner une personne il faut des preuves tangibles. Ces preuves sont parfois difficiles à réunir et à matérialiser notamment lorsque des dizaines de faits sont commis par les mêmes personnes. Il faut à chaque fois avoir la preuve que tel cambriolage peut être imputé à tel ou tel individu. Cela est rendu d’autant plus difficile que les objets volés sont très vite écoulés sur le marché parallèle ou renvoyés dans les pays d’origine des cambrioleurs d’où l’impossibilité pour les services de police ou les unités de gendarmerie de les retrouver en possession des auteurs.

Il faut enfin que la lutte contre les cambriolages soit aussi appréhendée de la même manière par l’ensemble des acteurs de la filière pénale : policiers, gendarmes, magistrats. Si des individus sont mis en cause pour des cambriolages il faut aussi que la réponse pénale soit ferme pour éviter les tentations de réitération et aussi, ainsi, faire perdre au cambriolage son attractivité au regard des faibles risques qui peuvent être encourus par les auteurs. La hausse ou la baisse de tel ou tel type délinquance ne peut être portée par le seul ministère de l’Intérieur. Policiers et gendarmes ne sont que des acteurs parmi d’autres. Ils n’ont pas l’exclusivité des politiques publiques de prévention ou de lutte contre la criminalité.

Propos recueillis par Damien Durand

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