Défigurée pour tenue incorrecte : la France face à la montée d'un islamisme d'atmosphère ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme plongé dans la lecture du Coran, image d'illustration.
Un homme plongé dans la lecture du Coran, image d'illustration.
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Revendications religieuses

Alors qu'une jeune femme a été défigurée à coups de tessons de bouteille, place du Capitole, à Toulouse et après la polémique des archéologues harcelées à Saint-Denis, y a-t-il une forme d’islamisme d’atmosphère en France, comme Gilles Kepel avait théorisé la notion de « djihadisme d’atmosphère » ?

Malik Bezouh

Malik Bezouh

Malik Bezouh est président de l'association Mémoire et Renaissance, qui travaille à une meilleure connaissance de l'histoire de France à des fins intégrationnistes. Il est l'auteur des livres Crise de la conscience arabo-musulmane, pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol),  France-Islam le choc des préjugés (éditions Plon) et Je vais dire à tout le monde que tu es juif (Jourdan éditions, 2021). Physicien de formation, Malik Bezouh est un spécialiste de la question de l'islam de France, de ses représentations sociales dans la société française et des processus historiques à l’origine de l’émergence de l’islamisme.

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Atlantico : Alors que les faits divers se multiplient (une jeune femme défigurée à coups de tessons de bouteille, place du Capitole, à Toulouse et la polémique des archéologues à Saint-Denis), peut-on considérer qu’il y a une forme d’islamisme d’atmosphère en France, comme Gilles Kepel avait théorisé la notion de « djihadisme d’atmosphère » ?

Malik Bezouh : Il conviendrait plutôt de parler de wahhâbisme d’atmosphère, voire de salafisme d’atmosphère mais certainement pas d’« islamisme d’atmosphère » et encore moins de « djihadisme d’atmosphère » car les actes mentionnés, graves du reste, relèvent bien plus de l’ultra-rigorisme religieux, propre au wahhâbisme, qu’à ce l’on a coutume d’appeler l’islam politique. En effet, l’une des caractéristiques du courant wahhâbite, fondé par Mohammed Ibn ‘Abd al-Wahhab au XVIIIe siècle dans ce qui deviendra plus tard l’Arabie saoudite, est le contrôle strict de l’espace public. En effet, dans la pensée de Mohammed Ibn ‘Abd al-Wahhab, qui n’était pas un théologien mais un prédicateur exalté, l’Homme, s’il n’est pas contraint par une sorte de police des mœurs, tend à suivre sa pente. D’où l’impérieuse nécessité, au nom du respect de l’orthodoxie et de l’orthopraxie islamiques, de surveiller, avec zèle, les individus. Avec la prudence qu’il convient lorsque l’on opère par comparaison, il n’est pas déraisonnable d’affirmer que la vertu par la terreur, principe cher à Robespierre, sied à parfaitement aux théologiens wahhâbites. Il s’en suivra alors la création de milices dévotes dans toutes l’Arabie dont la fonction est de s’assurer que les croyants se conforment bien aux règles religieuses. Et gare aux contrevenants. Voilà, à titre illustratif, le portrait que dressa de cette inquiétante « police des mœurs », appelée Muttawa, William Gifford Palgrave , un voyageur du XIXe siècle :

« Vingt-deux (…) fervents wahhabites, (forment) un conseil auquel (l’émir Faysal a confié) des pouvoirs absolus pour extirper l’impiété, d’abord à Riyad, puis dans tout l’empire. (…) Non seulement les (wahhabites) devaient dénoncer les coupables, mais ils pouvaient aussi (…) appliquer (…) la peine prononcée ; la nation entière fut mise, corps et biens, à leur merci (…). Ne pas assister cinq fois par jour aux prières publiques, fumer, (…) porter de la soie ou de l’or, parler ou avoir de la lumière dans sa maison après l’office du soir, chanter, jouer de quelque instrument de musique, (…), en un mot tout ce qui semblerait s’écarter de la lettre du Coran et du rigide commentaire de (Mohammed Ibn ‘Abd al-Wahhab) devint un crime sévèrement puni[1]. »

Ainsi donc, les Mutawwa veilleront scrupuleusement à l’homogénéisation religieuse de la société saoudienne en s’appuyant sur le principe du Commandement du bien et l’interdiction du mal, élevé au rang d’une institution par décret royal, le 10 septembre 1926. Et l’influence grandissante de l’Arabie saoudite au XXe siècle, grâce au soutien sans faille des États-Unis, heureux de trouver dans le wahhâbisme une digue puissante au nationalisme arabe, laïque et socialiste, permettra la diffusion, à l’échelle planétaire, de cette théologie ultra-conservatrice, intolérante au possible, et dont l’un des piliers est le contrôle rigoureux de la société via ces zélotes que sont les terribles Mutawwa. Cette terreur religieuse-là, officielle dans les pays d’obédience islamiste, et sociale dans les pays musulmans non-islamistes, fera tache d’huile.

Après ce préambule historique, on comprend aisément qu’en France, pays comportant la plus grande communauté musulmane d’Europe, l’on trouve, ici et là des individus, qui, acquis à la théologie wahhâbite, s’attèlent à réprouver « le mal » et à ordonner « le bien ». Or, une femme vêtue de façon trop légère, et donc en infraction avec la loi islamique, peut, en vertu des principes découlant de la théologie wahhâbite, subir les foudres de ces néo-Mutawwa « made in France ».

Quelle est la part de revendication religieuse et quelle est la part de revendication identitaire derrière ces faits et cette pression exercée par la violence ou des faits de harcèlement ?  

Il convient d’être prudent en ce qui concerne les faits, absolument dramatiques, qui se sont déroulés à Toulouse dans la mesure où l’on ne sait pas exactement ce qu’il s’est passé. En outre, il apparait que les individus, à l’origine de ce fait divers sinistre, sont des délinquants notoires. Nous sommes loin, à priori, de la milice religieuse agissant au nom des commandements émis par le prophète du wahhâbisme, Mohammed Ibn ‘Abd al-Wahhab. Concernant les attaques visant les femmes archéologues à Saint-Denis, l’on peut dire qu’elles dérivent de ce que j’appelle le fond diffus wahhâbite qui imprègne l’ensemble du monde musulman du fait de l’influence mortifère de la doctrine wahhâbite qui, rappelons-le, s’est diffusée dans le monde islamique à coups de milliards de pétrodollars. Et en Europe, ce fond diffus wahhâbite pousse, par essence, au séparatisme chez les croyants musulmans et au trouble identitaire aigu, doublé de francophobie, chez certains jeunes non religieux et en crise identitaire. À cela s’ajoute le choc de la désacralisation. En effet, que ces jeunes individus issus de l’immigration soient croyants ou pas, la notion du Sacré fait toujours sens chez eux. Conséquence, l’islam de France, un islam de diaspora, recroquevillé sur lui-même, a les plus grandes difficultés à accepter cette modernité qui se joue, sans difficulté aucune, du sacré. L’institution catholique, qui, depuis Vatican II, compose avec la modernité, a pris acte, depuis fort longtemps déjà, de la victoire de ce phénomène de désacralisation devenue un élément constitutif de l’identité française. Ce n’est pas encore le cas de l’islam de France qui, comme tous les islams, de Rabat au Caire, n’a jamais été aux prises avec un processus de sécularisation et de désacralisation.

A quel point cette pression s’exerce-t-elle sur les musulmans eux-mêmes ? Quelle est la part de Français de confession musulmane ou de musulmans installés en France qui seraient soumis de facto à cette pression-là ?

Plus la doctrine wahhâbite se diffusera et plus ce phénomène de police des mœurs sera intense. C’est mécanique. Or, il est bien difficile d’estimer l’influence de ce courant qui malgré tout demeure minoritaire au sein de l’islam de France. Pour autant, l’on aurait tort de le mésestimer car chaque jour il gagne de nouveaux adeptes. L’on peut d’ailleurs parler de phénomène sectaire. Il agit de deux façons. Précisons-les. La première est directe. Elle consiste en la diffusion de cette théologie-là par les adeptes eux-mêmes. La seconde est nettement plus pernicieuse. Elle se fait indirectement. Elle est dans l’air, dans le regard, dans le jugement social, dans la peur d’être montrée du doigt. C’est ce que j’appelle leDieu social à tel point que ce n’est plus Dieu que l’on craint et vénère mais le jugement inquisitoire d’une petite partie de la communauté musulmane toujours prompte à dénoncer le péché chez les autres. Et c’est ce phénomène-là qui est à l’origine de ce j’ai nommé plus haut le fond diffus wahhâbite.

En 1890, le voyageur français, Gervais-Courtellement, présent à la Mecque, s’inquiétait en ces termes du risque lié à une propagation du wahhâbisme via l’imprimerie naissante en Arabie :

« Qui sait ce que ces presses imprimeront un jour, à l’heure de la guerre sainte si jamais elle éclate (…) ces vieilles races (arabes) endormies ne s’éveilleront-elles pas de leur torpeur séculaire ? J’exprime le vœu que ce soit lentement, car le réveil sera pénible pour nous s’il était brusque et violent[2]. »

Ce voyageur français du XIXe siècle finissant s’inquiétait de la possible montée en puissance de cette théologie mortifère qu’est le wahhâbisme. L’avenir, hélas, donnera raison à ses craintes. Et aujourd’hui, hélas, cette lecture sectaire de l’islam a triomphé dans le monde musulman à tel point que le wahhâbisme est devenu peu à peu l’islam orthodoxe. Faut-il rappeler qu’en Egypte, pays prétendant combattre l’islamisme et l’extrémisme religieux, les homosexuels et les athées sont persécutés au nom des valeurs de l’islam. Ainsi, en 2017, une mère de famille égyptienne ayant perdu la foi en Dieu s’est vue notifiée par le Tribunal des affaires familiales une déchéance des ses droits parentaux. Plus concrètement, la justice égyptienne lui a retiré la garde de ses enfants.

Bref, cette pression, conséquence dufond diffus wahhâbite, s’exerce ici et là sans qu’on ne puisse réellement la mesurer. Une certitude : elle est présente et gagne du terrain… en France. Et, au risque de nous répéter, elle peut être portée par des dévots de la « police des mœurs » ou par des individus areligieux et souffrant, sans même le savoir très souvent, d’un mal identitaire plus ou moins fort dont l’un des symptômes est le rejet de la France devenue un exutoire à ce mal-être identitaire.

Est-ce qu’il y a une volonté, derrière ces actes, de projets plus larges afin de faire peser sur la société française dans son ensemble cette pression culturelle ? Est-ce que ce mécanisme a été repéré dans les écrits islamistes afin de s’imposer en Europe, le « ventre mou de l’Occident » ?

La réponse à cette première question est plus complexe qu’il n’y parait. Car cela dépend de l’obédience du porteur du projet : celui-ci peut être islamiste (de la tendance des Frères Musulmans) ou wahhâbite, voire salafiste. Rappelons que le salafisme, courant ultra-conservateur de l’islam sunnite, est plus modéré que le wahhâbisme. Sans nous perdre dans des considérations quelques peu complexes, disons que tous ces groupes visent un même objectif : la transmission du message coranique au plus grand nombre. En France, les jeunes personnes qui reviennent à la religion musulmane le font sous l’influence de prédicateurs appartenant le plus souvent à la tendance salafisante de l’islam. L’influence des Frères Musulmans n’est pas négligeable cependant. Beaucoup d’observateurs, par ignorance, expliquent à longueur de temps que les islamistes considèrent l’Europe comme en effet étant « le ventre mou de l’Occident ». Les islamistes, ceux proches des Frères Musulmans, tous comme les salafistes et les waahâbites ont un même objectif : la prédication à l’échelle non pas européenne mais planétaire car l’islam, selon eux, et ils sont tous d’accord sur ce point-là, est une religion universelle dont la vocation est d’être transmise à l’humanité entière. L’Europe est juste une opportunité. Si les vagues migratoires venues du monde musulman s’étaient établies en Amérique du sud, les courants religieux, qu’ils soient d’essence islamiste ou ultra-conservatrice, auraient agi pareillement en tentant de gagner à la foi islamique les immigrés musulmans et les autochtones d’Amérique du sud. D’ailleurs, le fondateur historique de la confrérie des Frères Musulmans, Hassan al Banna, expliquait qu’il faut procéder par étape dans la prédication et la transmission, da’wa en arabe, du message coranique : convertir l’individu, la cellule familiale, le quartier, le village, la ville, le pays, le continent, etc. Peu importe l’endroit où l’on se trouve. Il n’y a donc pas de « ventre mou » mais des « ventres » à gagner en fonction des opportunités. Et là-dessus salafistes, wahhâbites et Frères Musulmans s’accordent.


[1]Sabrina Mervin & Nabil Mouline, Islams politiques – Courants, doctrines et idéologies, CNRS Éditions, 2017, p. 49.

[2]Hamadi Redisi, Une histoire du wahhabisme – Comment l’islam sectaire est devenu l’islam, Édition du Seuil, 2007, p. 15.

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