Début de la fin : comment les multinationales sont en train de perdre la guerre des impôts<!-- --> | Atlantico.fr
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Amazon est en train de relocaliser ses sièges sociaux.
Amazon est en train de relocaliser ses sièges sociaux.
©Reuters

Evasion & optimisation fiscales

Le projet BEPS lancé par l'OCDE il y a 2 ans cherche des solutions pour éviter que les multinationales qui font des bénéfices dans toute l'Europe puissent transférer tous leurs revenus dans un seul pays où l’imposition est faible, comme le font Starbucks ou encore Amazon, qui sont en train de relocaliser leurs sièges sociaux.

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi est président de Société, auteur d’ouvrages financiers, Enseignant à Sciences Po Aix et Neoma.

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Comme le disait Georges Elgozy "Il faut définirpour débuter, si l'on ne veut pas finir par buter". Qu’est-ce donc que le BEPS ? Il faut entendre : l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice (en anglais Base Erosion and Profit Shifting – BEPS) que nous désignerons ci-après par l’acronyme BEPS.

Le rapport publié par l’OCDE le 17 juillet 2013 dénommé  "plan d’action concernant la base d’imposition et le transfert des bénéfices" avait servi de base aux travaux du G20 qui entendait lutter contre la politique très agressive d’optimisation fiscale des multinationales (Tax Planning). Le rapport faisait un constat lucide selon lequel la fiscalité longtemps perçue comme l’apanage de technocrates a fait irruption dans le débat public : "Ces évolutions qui offrent aux multinationales des possibilités d’alléger considérablement leur charge fiscale, ont abouti à une situation tendue dans laquelle les citoyens sont aujourd’hui plus sensibles aux questions d’équité fiscales".

La question du BEPS est très technique et très ardue et ne résout pas de nombreux problèmes très ancien néanmoins elle aborde la fiscalité internationale sous un regard neuf. Ainsi par exemple le serpent de mer des prix de transfert fait l’objet d’une approche innovante fondée sur la "création de valeur". On s’éloigne du concept traditionnel finalement assez juridique du "prix de pleine concurrence" pour rechercher la réalité d’un partage entre les entités qui ont concouru au profit d’où un partage ("profit split"). On perçoit derrière le débat technique un profond bon sens :

  • Pourquoi des multinationales resteraient dans des pays si elles n’y gagnent pas d’argent ?
  • Et si elles y restent pourquoi n’y acquitteraient donc t-elles aucuns impôts localement ?

L’autre force du BEPS est son caractère concret on peut citer par exemple le focus qui est mis sur la déclaration des montages, la lutte contre les "pratiques fiscales dommageables" (un "ruling" ou confort accordé par un pays pouvant avoir un impact sur un autre Etat). On le perçoit, une vision pays par pays n’a pas de sens, il faut avoir une vision globale dans un monde globalisé.

L’OCDE résume ainsi les 15 aspects du projet BEPS (voir ici sur le site officiel ndlr) :

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L’OCDE veut avancer selon un calendrier ambitieux et les premiers effets favorables semblent perceptibles depuis 2015. L’OCDE essaie en outre de passer du cadre du G20 a celui du monde en intégrant au BEPS les pays émergents et en prenant en compte un soutien aux pays en voie de développement dotés de faibles capacités. 80 pays ont été consultés par l’OCDE. Le processus de dialogue structuré autour du projet BEPS repose sur trois piliers : 

Le pilier 2 permet une vraie approche multilatérale : les réseaux s’organisent autour de 5 groupements régionaux/linguistiques formés en étroite coopération avec d’autres organisations internationales et organisations fiscales régionales :

  • Pour l’Afrique, avec l’ATAF (Forum sur l’administration fiscal en Afrique)
  • Pour l’Amérique latine et les Caraïbes, avec le CIAT (Centre interaméricain d’administrateurs fiscaux)
  • Pour l’Asie, avec le SGATAR (Study Group on Asian Tax Administration Research)
  • Pour les pays francophones, avec le CREDAF (Centre de rencontre des administrations fiscales)
  • Pour l’Europe centrale et le Moyen-Orient, avec l’IOTA (Intra-European Organisation of Tax Administrations)
  • Pourquoi les Etats marquent-ils des points actuellement ?

Le rapport de l’OCDE sur le BEPS, s’il soulignait deux évidences (les pouvoirs publics et les contribuables sont lésés), soulignait aussi un paradoxe : les entreprises aussi peuvent être lésées et notamment, selon des modalités très variables :

1- Les entreprises multinationales traditionnellement habiles en Tax Planning  "peuvent être confrontées à un risque élevé en termes de réputation si leur taux effectif d’imposition est jugé trop faible". Une vision à courte vue peut donc s’avérer désastreuse. Certaines multinationales commencent à rebrousser chemin et ont décidé de payer des impôts dans les pays ou elles opèrent. Il suffit de lire la presse pour le constater : Apple, Amazon, Starbucks, Google … semblent avoir changé d’avis.

2- Les entreprises limitées à la dimension nationale et les entreprises familiales ou innovantes "ont du mal à rivaliser … les pratiques d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices nuisent à une concurrence loyale".  

Après le comportement socialement responsable des entreprises va-t-on assister au développement d’un comportement fiscalement responsable, les deux étant d’ailleurs intimement liés ?  J’avais écrit il y a quelques années dans un ouvrage co-écrit sur les Paradis Fiscaux que je ne pensais pas que les Etats ne gagneraient leur guerre avec les firmes multinationales, je serais moins pessimiste aujourd’hui notamment à l’aune de l’irruption du BEPS.

Pour conclure, notons que dans les années 30 aux Etats-Unis J.P. Morgan déclarait : "Je m'oppose vigoureusement à ce que l'on traite l'évasion fiscale comme une question morale. Si le gouvernement a des objections contre ceux qui la pratiquent, il n'a qu'à changer la loi". Les Etats ont semble t-il enfin tiré les conséquences en changeant avec le BEPS les règles du jeu dans un cadre multilatéral par essence plus efficace. Espérons que Saint-Exupéry aura raison : "l’avenir tu n’as point à le prévoir mais à le permettre"

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