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La France et l'Europe qui décrochent... et pas un mot. Le débat a-t-il vraiment eu lieu ?
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Le débat de l'entre deux tours, entre Nicolas Sarkozy et François Hollande a essentiellement tourné autour de questions nationales ou techniques. Comme si le monde autour de la France ne changeait pas, comme si les pays émergents ne rebattaient pas la donne de notre puissance économique ou géopolitique...

Nicolas Tenzer

Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris et non-resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA). Il écrit des articles de fond sur les questions internationales et de sécurité notamment sur son blog Tenzer Strategics (107 articles parus à ce jour). Il est l’auteur de trois rapports officiels au gouvernement français, de milliers d’articles dans la presse française et internationale et de 23 ouvrages, dont le dernier Notre Guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire.

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Atlantico : Selon vous, de quels sujets cruciaux les deux candidats à la présidentielle ont-ils oublié de parler pendant le débat de l’entre deux tours ?

Nicolas Tenzer : Essentiellement de politique internationale. Aucun des deux candidats n’a parlé des relations avec les Etats-Unis, de la façon de créer un dialogue plus fort avec l’Amérique,  au niveau politique, mais aussi académique et économique, de la relation entre l’Otan et la défense européenne…

Cet oubli n’est pas propre au débat, mais à la campagne de manière générale. Il s’agit pourtant de sujets absolument cruciaux pour le devenir de l’Europe et son positionnement géopolitique.

Le fait que le nom « Chine » n’ait pas été prononcé est-il révélateur de ce manque ?

Ils n’ont pas du tout parlé des pays émergents. Même lorsqu’il a été débattu du déficit du commerce extérieur, qui s’élève à 70 milliards, il n’a pas été question de ce que les Français peuvent faire pour conquérir des marchés dans les pays émergents, notamment asiatiques, qui vont durablement soutenir une grande partie de la croissance mondiale.

Comment renforcer notre présence commerciale à l’étranger, pas seulement celle des grands groupes ? Comment répondre à l’ensemble des appels d’offres qui sont lancés dans les grands pays émergents, en Asie, au Brésil ou en Europe de l’est, pas les Etats et les bailleurs internationaux ? Comment reformater notre diplomatie économique et intellectuelle, qui représente 80% de notre diplomatie globale ? Comment être plus présents dans les débats, dans les think-tanks ? Comment défendre nos normes, nos valeurs, nos bonnes pratiques à l’étranger ? Voila autant de sujets sur lesquels rien n’a été fait depuis bien longtemps et où nous avons été doublés par l'Allemagne, le Royaume-Uni, certains pays nordiques, l'Italie, les Etats-Unis, le Japon, la Corée du Sud. Or, il y a à mon sens un lien extrêmement étroit entre la politique internationale et la croissance interne, la création d’emploi et la compétitivité des entreprises. Plutôt que de faire peur, il faut, sans naïveté, comprendre que notre entrée dans un monde globalisé crée essentiellement des opportunités.

Comment expliquer les grandes difficultés des candidats à aborder cette question ?

Ils pensent à tort que ces sujets, très largement ignorés des Français, ne les intéressent pas. Beaucoup estiment, à tort aussi, qu'il est difficile de faire de la communication là-dessus.

De plus, du côté de Nicolas Sarkozy, c’est problématique car il y a eu un échec majeur sur ce sujet, dont je vois les conséquences immédiates en points de PIB et de croissance des entreprises. Il y aurait eu tant à faire, mais l'internationalisation n'a pas été la grande cause nationale qu'elle aurait dû être.  Pour François Hollande, je pense qu'il s'agit de sujets que son équipe de campagne ne maitrise peut-être pas.

C’est tout à fait dommage. Je pense qu’ils ont seulement vu que l’opinion exprime, quand il est question du monde, un besoin de protection, mais ce sentiment tient au fait que personne ne leur a expliqué la face positive d'une mondialisation régulée et contrôlée, avec un pays, des entreprises et des administrations en ordre de bataille. Nous devons nous restructurer. C'est pour moi la priorité du prochain quinquennat. 

Cette tendance des candidats à éviter ces questions est-elle inquiétante ?

C’est inquiétant pour l’avenir. Il y a énormément à faire pour que les équipes des uns et des autres reprennent cette question-là.

L’Europe aussi, dans la campagne, a été essentiellement vue de manière défensive. Or, il y a un intérêt à montrer que l’Europe est un atout, qu’elle a apporté des acquis considérables à la France en termes de développement. Ce sont des choses qu’il aurait fallu rappeler.

Pensez vous que les candidats sont conscients de l’évolution de la position de la France par rapport au reste du monde ?

J’espère que oui. Je le mesure mal, car la France a encore un certain nombre d’atouts. Mais la plupart des candidats n’a pas pris la mesure de notre recul sur le plan international. C’est le défi qui va être posé au président élu : mettre l’international au cœur de quasiment toutes les politiques, notamment celles concernant les universités, la recherche, l’innovation et bien sûr l'industrie et les services. François Hollande l'a compris pour les universités, car l'effet des circulaires Guéant sur les étudiants étrangers a été un signal désastreux. Maintenant, il reste à conjuguer ouverture intellectuelle, économique et dans les échanges humains.

Je crois qu’il serait important de créer, au-delà du pole « affaires étrangères » au sens de la diplomatie classique, une sorte de ministère de l’Expansion internationale, qui regrouperait le commerce extérieur, l’internationalisation des universités, les partenariats intellectuels, l'offensive sur les normes et les standards, la conquête des marchés d’expertise : c'est-à-dire l’influence au sens large du terme. Il faudrait aussi un ministère des Affaires européennes de plein exercice, placé auprès du Premier ministre, avec une personnalité européenne de premier plan forte et visible portant les dossiers européens aussi devant l'opinion.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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