Débat présidentiel : chaque candidat rejette la France que représente son adversaire, et c'est le discours d'adhésion qui en pâtit<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Débat présidentiel : chaque candidat rejette la France que représente son adversaire, et c'est le discours d'adhésion qui en pâtit
©PATRICK KOVARIK / AFP

Dialogue de sourds

Les débats de l’entre-deux tours suscitent toujours de fortes attentes et de vives déceptions. Celui-ci n’a pas échappé à la règle, avec peut-être encore plus d’intensité que les précédents du fait de la présence de Marine Le Pen, souhaitée par les uns et redoutée par les autres.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

Voir la bio »

Contrairement à 2002, lorsque Jacques Chirac avait refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen, le débat a bien eu lieu. Mais une impression pour le moins mitigée en ressort. Les supporters de chaque camp auront naturellement le sentiment que leur champion a terrassé son rival. Il faudrait cependant être de mauvaise foi pour clamer son enthousiasme à l’issue de ces deux heures de pugilat, où chaque protagoniste a alternativement gagné et perdu des points, sans parvenir à convaincre pleinement, ni surtout à rassurer vraiment sur la suite des événements pour l’avenir du pays. On en vient presque à s’interroger sur l’intérêt d’un tel débat : lorsque les désaccords atteignent un certain niveau, est-il raisonnable de prétendre discuter ? 

Car ce débat ne ressemble à aucun autre. Certes, les protagonistes sont restés relativement courtois et il y a eu peu d’invectives explicites, à l’exception du terme de "parasite" utilisé par Emmanuel Macron pour qualifier Marine Le Pen, ce qui est pour le moins étrange quand on sait que ce terme est typiquement issu du registre de l’extrême-droite.

Cela dit, l’ambiance était particulièrement tendue ; les échanges ont été constamment nourris par de violentes attaques contre les projets ou les personnes. Rarement les deux journalistes présents n’auront paru aussi superflus : c’est à peine s’ils ont pu réguler les échanges, leur rôle se limitant finalement à lancer les grands thèmes. Leur agacement était d’ailleurs palpable à la fin, surtout lorsque Marine Le Pen a repris la parole après la conclusion d’Emmanuel Macron, contrairement à son engagement. 

Mais fallait-il s’attendre à autre chose ? Au-delà des différences entre les personnalités et leur style, ce débat a mis en scène l’affrontement désormais majeur entre deux France irréconciliables. Les deux candidats ont choisi l’attaque frontale, ce qui fait plaisir aux partisans de chaque camp, mais débouche sur une certaine sclérose. Marine Le Pen a dénoncé une "France soumise" et un candidat issu du système ; Emmanuel Macron s’en est pris à "l’esprit de défaite" et au vide du projet de sa rivale. 

Sur la forme, Emmanuel Macron a adopté une attitude très offensive dès le début, ce qui lui a manifestement permis de désarçonner Marine Le Pen, au moins dans la première partie, et plus particulièrement sur les questions économiques, où il a pu montrer une certaine aisance sur les dossiers. Marine Le Pen a un grand talent oratoire, mais elle est apparue moins à l’aise dans la discussion. Inversement, Emmanuel Macron est loin d’être un tribun, mais il s’est révélé ici comme un redoutable bretteur, se montrant particulièrement pugnace, coupant fréquemment la parole, soulignant certaines faiblesses du projet de Marine Le Pen, déstabilisant régulièrement son adversaire par des sentences morales durement assénées. Mais cette stratégie s’est essoufflée. Dans la seconde partie, notamment sur les thèmes du terrorisme ou de la politique étrangère, Marine Le Pen a été moins passive et a su regagner du terrain. Elle est même parvenue à inverser les rôles en interpellant Emmanuel Macron, en le mettant en difficulté sur l’UOIF ou sur le djihadisme des jeunes. Sur la sécurité, Emmanuel Macron était moins à l’aise. Il a pris soin de se démarquer de Christiane Taubira, mais Marine Le Pen n’a pas manqué de railler sa proposition visant à permettre aux policiers d’infliger des amendes. On peut quand même se demander pourquoi, lorsqu’Emmanuel Macron lui a reproché d’avoir un programme inconsistant, Marine Le Pen n’a pas rappelé que c’est justement lui qui affirmait que le programme est secondaire dans une campagne présidentielle.

Au final, ce choc n’a fait que confirmer que deux France se font désormais face. A l’image de leur représentant respectif, ces deux France sont différents sur le plan sociologique et s’opposent sur pratiquement tous les sujets : l’Europe, le rôle de l’Etat, la mondialisation, l’immigration, la politique sociale. Ces deux France ne représentent que 45% des suffrages mais elles vont structurer la vie politique dans les années à venir. Or, le problème est qu’aucune des deux ne semble en mesure de réduire les tensions qui ne cessent de s’accroître. Du côté de Marine Le Pen, on a une culture qui reste finalement très protestataire, très forte pour pointer les problèmes, pour souligner les failles, pour demander des comptes, pour critiquer les gouvernements de ces dernières années, mais qui a du mal à définir un véritable projet, comme l’a montré la question de l’euro ; de son côté, Emmanuel Macron peut mettre en avant son pragmatisme et ses soutiens, mais il a du mal à faire oublier qu’en plaidant pour un authentique fédéralisme européen, il se soumet à des contraintes très fortes qui vont réduire ses marges de manœuvre encore plus sûrement que sa volonté de rassembler largement le spectre politique de la gauche à la droite. On voit mal, dès lors, comment il va pouvoir aller vers une « France réconciliée », pour reprendre son expression. En assistant à cet affrontement des deux protagonistes du second tour, on a plutôt le sentiment que cette perspective s’éloigne à grands pas. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !