Débat des Républicains américains : les lézardes du candidat Donald Trump seraient-elles en train d’apparaître là où on ne les attendait pas ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Donald Trump culmine à 32% d'intentions de vote d'après un sondage CNN.
Donald Trump culmine à 32% d'intentions de vote d'après un sondage CNN.
©Reuters

Eaux troubles

Le milliardaire est aujourd'hui un acteur central de l'échiquier politique américain. Loin du clown du début, son charisme et ses propositions séduisent bien des électeurs républicains. Pourtant, si à l'heure d'aujourd'hui sa domination est incontestable, ses idées, qui sont souvent incohérentes une fois mises bout à bout, pourraient se retourner contre lui.

Thomas Snegaroff

Thomas Snegaroff

Historien, spécialiste de la présidence américaine. Professeur en classes préparatoires et à Sciences Po Paris. 

Auteur de Faut-il souhaiter le déclin de l'Amérique? (Larousse, 2009).

A paraître en 2012: L'Amérique dans la peau. Regard sur la présidence américaine (Armand Colin). 

 

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Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Après un premier débat télévisé en juillet dernier, Donald Trump était à nouveau confronté à ses opposants sur CNN hier soir. Culminant à 32% d'intentions de vote d'après un sondage CNN, il n'est plus considéré comme loufoque par les électeurs de droite et ce peu importe leur milieu social. Qu'est-ce qui a pû les convaincre ? En quoi apparaît-il désormais comme un candidat crédible ?

Thomas Snegaroff : Donald Trump convainc une partie de l'électorat républicain en étant, avant tout, omniprésent dans les médias. Il a attiré la couverture médiatique à lui, ce qui est la source de bien des reproches de la part de ses opposants. Pour l'instant, c'est lui qui donne le rythme de ce début de campagne. Or, on sait bien que celui qui décide des thèmes centraux – telle que l'immigration par exemple - est généralement celui qui l'emporte. Cela étant dit, il est encore bien trop tôt pour se prononcer avec certitude. Il faut donc faire très attention à ne pas exagérer son importance dans l'échiquier politique américain.

D'autre part, il s'installe d'ores et déjà à un niveau élevé dans les sondages (d'après un sondage réalisé par CNN, il cumulerait 32% d'intentions de vote). Pourtant ces derniers temps, il semble stagner à cause d'un autre candidat républicain - Ben Carson - qui a quadruplé ses intentions de votes en un mois.  

Dire du milliardaire qu'il est crédible est aller trop loin. Ce qui est indéniable, c'est qu'il incarne une image de réussite individuelle tout en étant contre "l'establishment" (alors qu'il en fait lui-même parti), ce qui séduit énormément. Le ton qu'il emploie est également facteur de sympathie. Il parle simplement, sans hésiter à être parfois vulgaire et cet anti-intellectualisme marche très fort aux Etats-Unis.

Voter pour lui serait aussi un vote contestataire, un symbole du mécontentement global face à la classe politique. On retrouve la même attitude chez les démocrates qui déclarent être tentés de voter pour Britney Sanders. Elire quelqu'un comme Trump serait aussi un geste en réaction aux années Obama, une volonté de revenir à un discours plus simple.

En fait, Donald Trump s'apparente à un objet non identifié, ce qui le prédispose à plaire à divers classes sociales. Il est très conservateur en terme de politique étrangère mais plus à  gauche que les démocrates quand il s'agit de santé. C'est un personnage facilement attaquable de par ses opinions contradictoire mais il reste dangereux car il plait sans aucun doute à une large tranche de l'opinion publique. Bien qu'il soit parfois allé trop loin en parlant des "violeurs mexicains", par exemple. En réalité, c'est un tel électron libre qu'il pourrait changer de discours à tout moment. Son champs politique est tellement large et unique à la fois qu'il peut tout se permettre et modérer ses propos à terme.

Malgré cette écrasante popularité et des idées qui séduisent l'électorat (abolition de 'l'ObamaCare", construction d'un mur entre le Mexique et les Etats-Unis...), un certain nombre de failles demeurent apparentes. Si l'on s'attache au remplacement de "l'ObamaCare" par un système de "single payer", n'est-ce pas le risque de se mettre à dos la part très conservatrice de l'électorat républicain ?

Thomas Snegaroff : Les failles les plus apparentes sont les nombreuses contradictions qui parsèment son discours. Le manque de cohérence globale de ses propos, fait que, nombreux sont qui ne savent pas le situer sur l'échiquier politique. Or, les Américains aiment les candidats qu'ils peuvent facilement identifier politiquement parlant. Cette ambiguïté avait déjà perdu Mitt Romney.

En revanche, il est clair qu'en étant si variées, ses idées plaisent forcément à différentes catégories de l'électorat de droite. Construire un mur entre le Mexique et les Etats-Unis est un point qui plaît aux électeurs très conservateurs, quant à l'idée d'une "sécurité sociale" entièrement prise en charge par l'Etat, elle est massivement appréciée par les moins aisés.

En dehors de ses propositions en tant que telles et ce peu importe leur qualité ou non, le manque d'attaque dont il est aujourd'hui victime lui confère également une place significative. En étant charismatique, il a gagné beaucoup de terrain, mais une fois que les autres candidats républicains commenceront à l'attaquer il risque d'en souffrir. Ils pourront le mettre à mal sur plusieurs points : sa proximité encore d'il y a peu avec les Démocrates, les fonds dont il leur a fait don... Rien que ces points illustrent à quel point il est interchangeable et électron libre : une fois la machine électorale lancée, ses contradictions éclateront au grand jour. Tout en pouvant plaire, cela pourrait écarter les électeurs pour de bon.

Gerld Olivier : Mercredi soir, durant le débat qui réunissait les principaux candidats républicains, Donald Trump a été attaqué par ses adversaires sur ses positions au sujet de l'immigration et de la politique étrangère, notamment par Jeb Bush. Les premiers scrutins arriveront à la mi-janvier, on est donc encore loin du début de la vraie campagne. Mais, Trump étant en tête des sondages, les attaques à son encontre vont se multiplier et finiront, probablement, par le faire tomber. On en a vu le début ce mercredi lorsqu'il a été attaqué sur sa personne, ses manières (son côté brutal, son manque de respect...) et ses idées. Cependant, il demeure un "showrunner" face à un Jeb Bush, par exemple, qui manque de répartie, ennuie. D'autre part, le débat a aussi marqué le retour sur le devant de la scène de Carly Fiorina qui a réussi à s'imposer de part son caractère et ses capacités politiques.  

Au sein même des classes aisées, plus proches de ses préoccupations, certaines de ses idées ne risquent-elles pas de les effrayer à terme ? Rompre tout type de relations avec la Russie, la Chine et l'Iran, construire un mur... n'est-ce pas là un programme économique bien trop risqué qui risque de leur faire peur ? Cet isolationnisme économique que l'on retrouve dans l'idée de fermer les entreprises installées au Mexique n'est-il pas synonyme d'un programme peu réalisable et donc, à long terme, peu convaincant ?

Thomas Snegaroff : Ses positions géopolitiques - rompre les liens avec la Russie, la Chine, l'Iran par exemple - plaisent aux plus conservateurs, mais à un certain moment ceux-là même vont se rendre compte qu'elles entrent directement en opposition avec les opportunités économiques qui pourraient s'offrir à eux. Rompre les liens avec Cuba, pourquoi pas, mais le faire serait aussi renoncer à de conséquents intérêts économiques. D'autant plus que s'il est politiquement en défaveur de liens économiques avec ses nations, il en a lui-même profité en tant que businessman. Ici encore apparaît donc une nouvelle incohérence.

Ensuite il y a aussi son souhait de revenir à une Amérique isolationniste sur le plan politique, associée à un protectionnisme économique. Là encore, les très conservateurs seront charmés, mais tôt au tard ses propositions écarteront les électeurs en faveur d'un libre-échange avec l'Union européenne, de la mondialisation… D'autant plus que ça ne cadre pas du tout avec sa personnalité ! 

Gérald Olivier : Nous sommes au tout début d'une campagne présidentielle avec 16 candidats en bataille pour la nomination républicaine. A ce stade, les candidats se battent pour exister, notamment dans les médias et personne ne sait mieux le faire que Donald Trump. De là à prendre tout ce qu'il dit au sérieux, surtout pas!

En fait,Trump propose une sorte de "libéralisme-protectionniste" qui veut plaire à tous les Américains déçus de la mondialisation. D'où ses positions extrêmes sur l'immigration - alors qu'elle est aujourd'hui essentielle à l'économie américaine, qu'elle soit légale ou clandestine - d'où sa volonté de revoir le code des impôts pour aider la classe moyenne et faire en sorte que les riches payent leur part (c'est un classique des campagnes présidentielles), d'où sa volonté de faire revenir les entreprises industrielles et surtout les emplois industriels aux Etats-Unis (tout le monde le souhaite, mais ça ne se fait pas par décret) d'où sa volonté d'éliminer certaines règlementations qui freinent les entreprises (également un leitmotiv républicain qui se heurte toujours à la réalité des groupes de pression)...Trump est aussi très "anti-Wall Street" parce que cela résonne dans l'Amérique profonde à laquelle les candidats républicains s'adressent aujourd'hui. 

Il faut aussi se rappeler que Trump est un New-yorkais "nouveau riche", il a son bagout, ne respecte rien ni personne, et en dépit de ses milliards, s'identifie à l'Américain moyen. Il est beaucoup plus "populiste" qu'un Bush par exemple ou même un Rubio. Il s'exprime de la même façon que les individus qui n'ont pas fait d'études supérieures, utilise les mêmes expressions que les tabloïds américains (le New York Post par exemple). 

Bref, on ne peut pas prendre toutes ses propositions au mot pour l'instant. Trump a promis de détailler son programme économique de façon formelle d'ici quelques jours. On pourra revenir sur le sujet alors. Cela étant dit, sa poussée dans les sondages est plus le résultat du tapage médiatique qu'il génère, que de la vraie popularité de ses positions. Les Américains n'en sont pas encore a étudier dans le détails les propositions des uns et des autres. 

Pendant le débat de mercredi, a été notamment critiqué sa posture au regard des impôts. Le côté peu réalisable de ses propositions économiques a, entre autres, été mis en avant comme l'ont été ses idées politiques, trop dispersées.

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