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De plus en plus de lait produit par de moins en moins de vaches : la vérité sur la surexploitation des bovins par la filière laitière
©Reuters

Vache qui rit, vache à moitié dans ton lit

60 litres de lait par jour : c'est la quantité pouvant être produite par une vache à l'heure actuelle. Bien au-delà de ses capacités de lactation naturelles, cette surproduction témoigne de la surexploitation des vaches, préjudiciable aussi pour elles que pour nous en tant que consommateur.

Audrey Jougla

Audrey Jougla

Audrey Jougla est diplômée de Sciences Po Paris,. Elle a été journaliste avant de reprendre ses études de philosophie et se passionne pour l'éthique animale. Elle est co-auteur de Nourrir les hommes, Un dictionnaire (Atlande, 2009).

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Atlantico : Dans une étude récente, Temple Grandin, qui enseigne les sciences animales à l'Université du Colorado, montre que l'industrie du lait produit de plus en plus avec de moins en moins de vaches. Elle alerte que "ces vaches sont constamment dans la zone rouge". Le problème se pose-t-il de la même façon en France ?

Audrey Jougla : Absolument, notamment parce que la France est le deuxième pays producteur de lait en Europe et possède environ 3,7 millions de vaches laitières, principalement de la race Prim’Holstein. Mais alors que le cheptel baisse au fil des ans, le rendement augmente : en 2000, une vache produisait 5 700 litres contre 6 700 litres en 2014.

Dans un modèle de productivité maximale, on exige de plus en plus de rentabilité au corps de l’animal : une vache laitière doit produire plus. Une vache produit naturellement 4 litres de lait par jour. Dans ces usines à vaches laitières, les pics de lactation peuvent atteindre jusqu’à 60 litres de lait par jour. En conséquence, les vaches sont victimes d’infections, de boiteries, de mammites. La concentration animale provoque aussi des épidémies, des mutations incontrôlables de virus, et bien sûr l’utilisation d’antibiotiques

Pour produire du lait en continu, les vaches sont inséminées artificiellement seulement trois mois après avoir vêlé. Ces veaux, qui partent vers l’industrie de la viande et sont immédiatement séparés de leurs mères, manqueront quant eux de protéines et d’anticorps, et ont donc un système immunitaire très affaibli, qui sera alors lui aussi compensé par des antibiotiques et des médicaments. Les conséquences de l’industrie laitière intensive affectent donc directement la viande et notre santé. C’est tout un système qui est déséquilibré et malsain. 

Le professeur Grandin estime que l'action humaine a modifié le génome des vaches américaines de 22% depuis 1970. Est-ce également le cas en France ? Quels dangers faisons-nous courir à ces animaux ? Existe-il un danger pour l'homme ? 

L’homme a voulu adapter tous les animaux d’élevage à un système intensif et c’est pourquoi les porcs, les poulets , comme les vaches laitières, ont été adaptés génétiquement à des conditions de rendements antinaturelles. L’INRA travaille notamment à ces modifications : on transforme les animaux pour qu’ils produisent plus de viande, plus de lait, que des herbivores s’adaptent à une nourriture à base de farines animales et soient plus résistants à l’environnement industriel et concentré dans lequel ils vont vivre. C’est un usage du génome à des fins de productivité et en dépit de la santé et du respect du vivant.

Les dangers pour l’homme viennent directement de l’impact sur la viande ou le lait produits dans ces conditions : les antibiotiques et les médicaments que subissent ces animaux se retrouvent dans la chaîne alimentaire. Sans parler de l’impact environnemental dramatique.

Le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (BASIC) estime qu’entre la pollution de l’eau, des sols, et la nourriture nécessaire à ces vaches, l’empreinte carbone des vaches laitières en France est de 1,1 milliard d’euros. La concentration des vaches laitières est aussi une cause de pollution de l’air, avec le méthane et l’ammoniac qu’elles rejettent, et a pour conséquence des maladies respiratoires (bronchites, asthme, fibrose pulmonaire), qui touchent particulièrement les éleveurs, dont le coût sanitaire et environnemental est estimé à 1,4 milliard d’euros. Ce coût et cette détérioration de l’environnement sont supportés par l’ensemble de la société, alors que les bénéfices, eux, sont acquis par les industries. À titre d’échelle, le chiffre d’affaires de l’industrie laitière est d’environ 27 milliards d’euros. Même si les consommateurs ne sont pas sensibles au respect des animaux, ils devraient se préoccuper du tort que cette industrie créée à la société ne serait-ce que pour l’environnement et la santé.

Depuis quelques années, l'ouverture de la ferme des mille vaches enflamme les débats. Au-delà de cet exemple très médiatisé, n'y aurait-il pas d'autres exemples à pointer du doigt sur le même sujet?

Il faut savoir que cette usine, qui n’a rien d’une ferme, est l’enfer le plus absolu pour ces vaches, et que l’un des salariés, licencié depuis, rapportait en juin 2015 les détails suivants : "Ce qui frappe d’abord, c’est l’état des vaches : épuisées, elles tombent de fatigue, elles sont amorphes, comme mortes, sans réaction. (…) On doit utiliser un pince hanche pour les relever quand elles ne le peuvent plus ; au moins deux vaches tombent par semaine". Or, ce genre de situations concerne aussi des élevages moins connus mais où les animaux vivent entre béton et excréments. Pour comprendre la concentration des animaux, il suffit de regarder la mutation des exploitations laitières : elles sont passées de plus de 162 000 en en 1993 à 67 000 aujourd’hui, alors que la production de lait progressait de 5% dans le même temps.

Actuellement, il y a en France plus de 7 usines laitières de plus de 250 vaches, comme la ferme-usine à Monts, près de Tours qui concentre 420 vaches laitières et voudrait augmenter ce volume. Et à nouveau, même si l’État ne se préoccupe pas des conditions de vie des animaux, ni de l’impact environnemental, il devrait savoir que des 20 fermes de 50 vaches, c’est 40 emplois ; une usine de mille vaches, c’est quatre fois moins, comme le résumait Laurent Pinatel, de la Confédération paysanne. La ferme des mille vaches a simplement mis en lumière une tendance intensive qui s’accentue dans la filière laitière, au détriment des animaux, de notre santé, de l’environnement et des emplois, pour le profit d’un petit nombre. 

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